Gaia-X veut devenir une « infrastructure de données en forme de réseau, berceau d’un écosystème européen vital ». Il met en avant le respect de la vie privée, la souveraineté des données et l’interopérabilité entre services. Nous avons discuté de ce projet avec deux membres fondateurs afin d‘y voir plus clair sur ses ambitions.
Début juin, Bruno Le Maire et son homologue allemand Peter Altmaier tenaient une conférence de presse commune sur la « concrétisation » du projet Gaia-X (le replay est disponible ici). Ce nom – provisoire – est une référence à la déesse de la terre dans la mythologie grecque. En gestation depuis des mois, Gaia-X se présente comme « une infrastructure européenne de données »… mais quelle en est la signification ?
Un projet lancé par l’Allemagne, rapidement rejoint par la France
Ce projet n’est pas sorti de nulle part. Ses racines ont plus d’un an et remontent à la publication d’un manifeste franco-allemand en février 2019, lui-même issu d’une initiative allemande sur la « stratégie industrielle nationale pour 2030 ».
Trois piliers étaient alors présentés : « investir massivement dans l'innovation », « adapter notre cadre réglementaire » et mettre en place « des mesures efficaces pour nous protéger ». Le tout était accompagné d’un billet de Bruno Le Maire publié sur la plateforme… Medium, américaine. Les vieux réflexes ont la vie dure.
Les Allemands ont lancé les premiers des pistes de réflexion l’été dernier sur ce qui deviendra Gaia-X. Les Français se sont rapidement joints à l’initiative et le projet a été présenté pour la première fois en octobre lors du Sommet Numérique, accompagné d’une feuille de route. Enfin, un document détaillant les grandes lignes a été mis en ligne en février de cette année. Début juin, il était question de l’« officialisation de l'organisation », avec de nouveaux détails.
Lors d’un entretien, Anne-Sophie Taillandier (directrice de la plateforme TeraLabs de l’Institut Mines-Telecom, l'un des cofondateurs de Gaia-X) ne cache d’ailleurs pas que les Allemands sont bien les initiateurs du projet. Elle ajoute que depuis les deux pays ont « bien travaillé ensemble » pour le faire avancer. Il est désormais géré à parité.
Notre dossier sur Gaia-X :
- Gaia-X : genèse et ambitions du projet européen
- Cloud : le projet européen Gaia-X « ne veut pas réinventer la roue »
- Entre sac de « nœuds » et auto-descriptions, comment Gaia-X pourrait révolutionner le multi-cloud
- Comment fonctionnent les groupes de travail de Gaia-X et que font-ils ?
Les 22 membres fondateurs, avec déjà 300 partenaires
Au moment de sa création début juin, 22 membres étaient présentés (aussi bien des sociétés privées que des établissements publics, instituts et centres de recherches) : 11 Français et 11 Allemands. Chacun apporte une contribution financière de 75 000 euros au projet, soit un peu plus de 1,5 million d’euros au total.
- En France : Amadeus, Atos, CISPE association, Docaposte, EDF, Institut Mines-Télécom, Orange, Outscale, OVHcloud, Safran et Scaleway
- En Allemagne : Beckhoff, BMW, Bosch, Deutsche Telekom, DEC-X, Fraunhofer institutes, Friedhelm Loh Group (via sa filiale German edge cloud), IDSA association, PlusServer, SAP et Siemens
Cette dimension bicéphale est vouée à disparaître, l'objectif étant de s'ouvrir à l’ensemble de l’Europe et même au reste du monde (nous y reviendrons). Les Pays-Bas, l’Italie et l’Espagne auraient déjà fait part de leur intérêt pour Gaia-X, affirmait Bruno Le Maire lors de son discours.
Pour donner du poids à cette ouverture affichée, le ministère de l’ Économie affirmait que, début juin, le projet comprenait aussi « des représentants de 300 entreprises européennes et internationales et des organisations scientifiques ». Nous n’avons pas plus de détails dans l’immédiat, car l’accent était mis sur les 22 membres fondateurs dont des représentants se sont succédés durant une session « technique ».
Ils ont surtout vanté Gaia-X pendant quelques minutes chacun. Les arguments tournaient un peu en boucle mais, cette fois, des partenaires déjà bien implémentés en France (et en Europe) étaient mis en avant. Gaia-X évite ainsi de retomber dans les travers du « cloud souverain » (ayant complètement laissé de côté des sociétés comme OVH et Scaleway lors du lancement). Côté français au moins, la leçon semble avoir été retenue.
Cloud Act et enfermement propriétaire : les deux ennemis de Gaia-X
Le constat de départ ayant conduit à Gaia-X se résume en deux points : lutter contre « l’enfermement propriétaire » mis en place par certains géants du Net afin d’éviter que les clients n’aillent trop facilement voir ailleurs, et respecter certains aspects légaux dont la notion est variable suivant les pays.
En ligne de mire, le « Cloud Act, pour ne pas le citer » nous rétorque Anne-Sophie Taillandier. Pour rappel, il permet aux autorités des États-Unis d’accéder aux données gérées par des sociétés américaines, quel que soit le lieu géographique où elles sont stockées (y compris en Europe donc).
Le respect de la vie privée (via le RGPD notamment) et la possibilité de migrer facilement d’un service à un autre étaient aussi largement mis en avant par les deux ministres et les multiples intervenants lors de la conférence. Ils parlaient même parfois de lutter contre l'« ennemi » virtuel que sont certains géants du Net.
Le soldat Gaia-X est donc envoyé au front, à charge pour lui de trouver des partenaires partageant la même vision.
« Nous ne sommes pas la Chine ni les États-Unis »
Durant son allocation, Bruno Le Maire « enfonçait le cloud » et ajoutait : « nous ne sommes pas la Chine ni les États-Unis, nous sommes l’Europe avec nos propres valeurs et intérêts économiques que nous voulons défendre ». Les membres de Gaia-X doivent ainsi promouvoir la transparence et s’engager à suivre quatre principes fondamentaux : « garantir la souveraineté des données, leur disponibilité, leur interopérabilité [et] leur portabilité ».
La mission de Gaia-X est ainsi « de développer une architecture de référence, de définir des standards, des critères de certification et des labels de qualité. Elle devrait être un médiateur neutre et un élément central de l’écosystème européen », expliquent les ministres allemands de l’Économie et de l’Éducation.
Première mission : « définir le socle commun minimum »
Maintenant que le projet est officiellement lancé, le gros du travail peut commencer. Il est notamment question de la création d’un « socle commun minimum » pour que des fournisseurs de services (hébergement, IA, algorithmes, etc.) puissent apporter leur pierre à l’édifice, nous précise Yann Lechelle, directeur général de Scaleway.
Les grandes lignes ont été tracées dans ce document :
- « Souveraineté des données, c’est-à-dire contrôle complet du stockage et du traitement des données ainsi que maîtrise de l’accès aux données.
- Utilisation de technologies ouvertes, compréhensibles et sûres, entre autres utilisations des principes de l’ « Open Source », en écosystème ouvert.
- Traitement décentralisé et distribué des données (Multi-Cloud, Multi-Edge ou Edge-to-Cloud) afin de réaliser des économies d’échelle.
- Interconnexion et interopérabilité sémantique – sur la base de standards – au niveau du réseau, des données et des services – en particulier, interconnexion des environnements « Cloud » et périphériques.
- Indépendance et automatisation de la certification des participants à l’écosystème GAIA-X ainsi que de la réalisation de contrats de participation et de leur respect en termes de sécurité informatique, souveraineté des données, accords de services et contrats-cadres.
- Mise à disposition de tous services centraux nécessaires pour garantir sécurité et convivialité du fonctionnement (par ex. authentification).
- Autodescription des nœuds du système GAIA-X visant à favoriser la transparence mais aussi le développement de nouveaux modèles d’affaires et d’application entre différents participants (par ex. distribution de données ou services) ».
Gaia-X est une association internationale de droit belge
D’un point de vue légal, Gaia-X est une association internationale sans but lucratif (AISBL) de droit belge, contrôlée par les 22 membres fondateurs. Le service public fédéral belge explique qu’une AISBL doit poursuivre « un but désintéressé d’utilité internationale » et que son siège social doit être en Belgique.
Une position certainement stratégique pour être proche de plusieurs institutions de l'Union européenne. Pour garantir son succès, Gaia-X doit en effet réussir à s’imposer auprès de la Commission et du Parlement (entre autres). La Belgique est aussi stratégiquement placée entre la France et l’Allemagne.
Chaque membre fondateur participe selon ses moyens et compétences. Les chercheurs de TeraLab vont ainsi « aider tout le monde à travailler sur des données réelles », nous explique Anne-Sophie Taillandier. Ils mettront aussi au service de la communauté leurs expertises sur leurs domaines de prédilection, la technique et le juridique par exemple.
Yann Lechelle nous indique que Scaleway sera principalement présente sur la partie technique, particulièrement le stockage en ligne dont c’est la spécialité. Le but n’est pas d’être présent dans toutes les instances de Gaia-X, mais de se faire confiance entre partenaires pour que chacun s’occupe en priorité de ce qu’il maîtrise le mieux.