Le psychodrame des droits voisins n’est pas terminé. Les éditeurs de presse se sont regroupés autour d’une future société de gestion collective. Google, premier des contributeurs attendus, a fait appel de la décision de l’Autorité de la Concurrence lui imposant une série d’obligations. Et le moteur n’a plus que quelques jours pour les respecter.
Le 30 juillet dernier, les éditeurs français et allemands, représentés par l’Alliance de la presse d’information générale et l’allemande VG Media, annonçaient la création d’une nouvelle société de gestion collective. Des grandes manœuvres : la première regroupe 300 journaux d’information politique et générale, quand la seconde fédère outre-Rhin 222 sociétés détentrices de droits, issues de l’industrie de l’édition de télévision, de radio et de presse (dont ProSiebenSat.1 et Axel Springer)
Raison d'être de ce nouvel organisme de gestion collective (OGC) ? « Assurer conjointement la négociation, la perception et la répartition du droit voisin créé par la directive sur le droit d’auteur », et ce pour l’ensemble des titres européens désireux de devenir membres.
L’idée est donc de faire naître un guichet unique où les éditeurs pourront toucher leur part de « taxe Google » au titre des droits voisins. « L’enjeu de ce nouveau droit est d’assurer une rémunération de la part des plateformes pour leur utilisation des publications de presse, afin que la valeur créée en ligne soit équitablement partagée avec les éditeurs » détaille le syndicat.
L’instance devrait être créée en France, mais inutile de rechercher trace de son existence sur la liste des organismes de gestion collective tenue par le ministère de la Culture, sa naissance effective n’est programmée que pour septembre.
France, terre d'asile
Le choix de la France s’explique facilement : le pays a été le premier à transposer ce droit à « rémunération » pour l’usage fait par les plateformes des titres de presse. La disposition a été programmée en effet par la nouvelle directive sur le droit d’auteur, avec pour cible principale Google et sa page Actualités.
Il est reproché en substance à ce géant du numérique comme à tant d'autres, de profiter des articles de presse, et donc de l’investissement des éditeurs, pour muscler davantage encore les résultats. Et ce, quand bien même si Google News est dénué de publicités ou draine des millions de visiteurs sur les titres du groupe la Dépêche du Midi, du Figaro, de Sud Ouest, de l’Equipe, de la Voix du Nord, le Monde, Libération, tous membres de l’Alliance.
La balise en carton
Juridiquement, le régime a été prévu par la loi du 24 juillet 2019 publiée l’an passé au Journal officiel. Dans cette loi de transposition, lorsqu’un service en ligne comme Google News veut reproduire ou communiquer à son public un article, une photo, une vidéo de presse, il doit avoir préalablement obtenu l'autorisation de l'éditeur ou de l'agence.
L’alternative est alors simple : ou bien le site n’a pas d’autorisation et il risque alors une action en contrefaçon. Ou bien il conclut un accord avec les éditeurs et le voilà couvert juridiquement.
C’est évidemment à l’occasion de cette négociation que la question du partage de la valeur se doit d’être réglée. L'union de petits David étant plus efficace face à Goliath, la loi a pris soin d'autoriser les éditeurs à confier leurs droits à un organisme de gestion collective.
Sur le papier, tout était donc fin prêt pour faire de ce système une machine rémunératoire. Sauf que le G des GAFA a sorti son épingle du jeu.
Le législateur européen ayant fait de la négociation le cœur des droits voisins, le moteur a placé les éditeurs face à un dilemme : ou bien accepter de diffuser « à prix nul » leurs extraits d’articles sur Google News, ou bien interdire ces reprises. Un choix exprimé par balises dans le code HTML de chaque titre.
Cet arbitrage ressenti par la profession comme un choix entre peste et choléra, a été lourdement critiqué par toute l’industrie, le ministère de la Culture et évidemment David Assouline, sénateur à l’origine de la loi de transposition. Le contentieux a été tel qu’il a été porté, victorieusement, devant l’Autorité de la Concurrence.
Une alternative non satisfaisante pour l'AdlC
En avril 2020, saisie par le secteur de la presse, l’AdlC rendait sa décision d’urgence en attente de celle au fond. « Si l’existence d’une position dominante n’est pas en soi condamnable, il incombe toutefois à l’entreprise qui la détient, indépendamment des motifs d’une telle position, une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte, par son comportement, à une concurrence effective et non faussée sur le marché intérieur de l’Union » écrivait-elle alors.
Et celle-ci de reprocher à Google d’avoir contraint les éditeurs « ne disposant d’aucune alternative satisfaisante à la reprise de leurs contenus par Google, à renoncer par avance au bénéfice attendu de la Loi sur les droits voisins, à savoir autoriser, aux termes d’un processus de négociation effective, un rééquilibrage de leurs relations. »
Finalement, l’Autorité a prescrit une série de « mesures conservatoires » à l’égard de Google, comme l’obligation de négocier de « bonne foi » avec les éditeurs et agences de presse, de leur communiquer les informations nécessaires à une évaluation transparente de la rémunération due, ou encore d’ouvrir les négociations.
La date butoir du 18 août
Selon nos informations, et sous réserve d’un report consécutif à la crise du Covid, c’est le 18 août que l’Autorité vérifiera si Google a respecté effectivement ces obligations. Rien n’est donc encore scellé, d’autant que dans le même temps, Google a décidé d'attaquer la décision initiale devant la cour d’appel de Paris.
Un recours non suspensif dont l’audience est fixée début septembre selon nos informations.
Google n’est pas le seul attendu parmi les entreprises débitrices. La contribution de Facebook aux paiements des droits voisins est également attendue.
Facebook, Twitter, Bing et les autres
Si le réseau social avait promis, en octobre 2019, d’engager des discussions avec les éditeurs, c'était surtout pour leur promettre un traitement aux petits oignons : « les éditeurs de presse décident en effet de la publication de leurs contenus sur notre plateforme. Nous allons ainsi continuer d’afficher leurs contenus dans un format enrichi, en y incluant les images, les titres, les extraits et autres champs qu’ils publient via leur flux RSS ».
Certes, admettait Facebook, « une très petite part des contenus sur notre plateforme est cependant publiée par des utilisateurs, et ce sans avoir reçu le consentement des éditeurs de presse ». Pour ce petit résidu, les éditeurs se sont vus cette fois reconnaître la possibilité de donner leur accord pour que « les liens publiés par les utilisateurs s’affichent dans un format enrichi sur Facebook ».
Le réseau social semble ainsi moyennement prêt à payer pour des diffusions organisées par les éditeurs eux-mêmes, depuis leur page officielle...
Remarquons que Twitter devait également être dans la boucle, tout comme Microsoft Bing et évidemment Qwant, quoique pour ce dernier, la présence d’Axel Springer parmi ses principaux actionnaires devrait faciliter la prise de décision.
Le champ des droits voisins étendu aux titres ?
Une fois les nuages passés, restera à savoir ce que couvrira ce droit à rémunération. La loi prévoit certes l’indemnisation de l’éditeur, sauf dans deux hypothèses : les liens hypertextes et « l'utilisation de mots isolés ou de très courts extraits d'une publication de presse ».
Apprécions le juridisme : si un site reprend « un court extrait », il doit payer, mais si l'extrait est « très court », non. L'interprétation du juge devra dénouer ces finesses.
Pour limiter le risque hémorragique, le législateur a pris soin de réduire le champ de ces exceptions : elles ne valent que si les extraits ou les suites de mots ne se substituent pas à la publication de presse ou dispensent le lecteur de s'y référer. Dès lors, pour le ministère de la Culture, les titres sur Google News ou ailleurs « pourraient ne pas être couverts par l’exception soit par principe eu égard à leur caractère spécifique, soit au cas par cas en fonction du nombre de mots qu’ils contiennent ».
Ainsi en théorie, le titre « Quel est le résultat du match PSG - Marseille ? » ne devrait pas entraîner de rémunération, contrairement au titre « Marseille l’emporte 3 à 0 contre le PSG », puisqu'avec ce dernier, le lecteur n'a pas nécessairement à cliquer.
Inutile d'anticiper les consignes qui seront données dans les rédactions.