Google va changer la présentation des articles de presse placardés sur sa page News (ou « actualités »). Finis les extraits ! Mais les éditeurs et agences pourront les réactiver s’ils le souhaitent. Avec cette réforme, Google va éviter de payer les droits voisins issus de la directive Droit d’auteur. Explications.
La loi sur les droits voisins des éditeurs et agences de presse a été signée par Emmanuel Macron le 24 juillet puis publiée au Journal officiel cinq jours plus tard. Elle n’est pas pour autant applicable directement puisqu’un article prévoit que « la présente loi s'applique trois mois après sa promulgation ».
Ainsi, ce n’est que le 24 octobre que la mécanique se mettra en marche (notre présentation). Pour mémoire, cette loi vient transférer dans le droit interne l’article 15 de la directive sur le droit d’auteur. Ce régime a été plébiscité par les éditeurs et agences de presse, principaux créanciers des sommes espérées des plateformes et autres moteurs de recherche. Ils ont eu à cette fin le plein soutien des ayants droit de la musique, avec en tête de liste la Sacem.
Dans l’esprit du législateur, ces services en ligne profitent de ces publications, et donc de leurs investissements. Les éditeurs et agences devraient donc être compensés pour cette forme de préjudice, histoire que Google ou encore Facebook ne se taille la part du lion. La durée de ce droit patrimonial a été fixée à deux ans. Deux années durant lesquelles un article de presse repris en ligne pourra générer une obligation de paiement, sauf à risquer une action en contrefaçon.
Des exceptions, à portée de Google
Le texte prévoit enfin qu’à titre résiduel, les journalistes perçoivent une part « appropriée et équitable » des sommes encaissées par ces éditeurs et agences. Cette part sera déterminée par accord d’entreprise, de branche ou via une commission administrative paritaire.
D’immenses pans du Web vont donc être appelés à payer la presse, puisque la loi s’applique dès lors qu’il y a reproduction ou diffusion au public d’un article. Dans un tel cas, l’éditeur ou l’agence peut réclamer paiement de ses droits, comme ils peuvent décider de s’asseoir dessus.
Trois exceptions ont été prévues pour maitriser un peu cet emballement rémunératoire. Il s’agit :
- Des hyperliens
- Des mots isolés
- Des « très courts extraits »
L'exception des courts extraits, prévient la directive, « ne peut affecter l'efficacité des droits ouverts ». La loi publiée au Journal officiel prévient en ce sens que « cette efficacité [sera] notamment affectée lorsque l'utilisation de très courts extraits se substitue à la publication de presse elle-même ou dispense le lecteur de s'y référer. »
Retournement de situation
C'est à partir de ces ingrédients que Google a exploité les finesses de ce dispositif. En Allemagne, pays qui avait tenté d'introduire des droits voisins similaires en 2014, « Google a appliqué la loi stricto sensu en n'indexant plus que les articles sans aucun extrait ni « snippet », ce qui a entraîné une chute massive de fréquentation des sites. Finalement, les éditeurs se sont résignés à conférer au moteur de recherche des licences gratuites pour reprendre des extraits ». Des explications tirées de ce rapport signé du sénateur David Assouline.
Aujourd’hui, Google annonce qu’elle va peu ou prou s’inspirer de cette mesure à l ‘occasion de la transposition de la directive sur le droit d’auteur. « Nous allons procéder à des changements dans la manière dont les résultats d’actualités apparaîtront dans notre moteur de recherche. Si vous êtes en France, vous verrez que certains résultats apparaîtront différemment » annonce Richard Gingras, vice-président de News chez Google Inc.
« À l'heure actuelle, rappelle-t-il, lorsque nous affichons les résultats de recherches liées à l’actualité, vous voyez un titre, dont le lien renvoie directement vers le site d’information concerné ».
Ce n’est pas tout : « dans certains cas, ajoute le représentant du moteur, nous proposons également un aperçu de l’article, par exemple quelques lignes de texte ou une petite image appelée « vignette ». Ces titres et aperçus vous aident à décider si le résultat correspond à votre recherche et si vous souhaitez cliquer dessus ».
En octobre, quand la loi entrera en application, cette présentation va subir un profond ravalement : « Nous n’afficherons plus d’aperçu du contenu en France pour les éditeurs de presse européens, sauf si l’éditeur a fait les démarches pour nous indiquer que c’est son souhait. Ce sera le cas pour les résultats des recherches effectuées à partir de tous les services de Google ».
Avec de tels changements, Google ne prendra donc plus le risque de publier des « snippets » (ou extraits) d’articles de presse qui auraient pu justifier son obligation de paiement des droits voisins lorsque sa lecture se substitue à celle de l'article.
En n’affichant qu’un lien vers un article, le moteur et sa page « Actualités » vont donc s’engouffrer dans l’exception des liens hypertextes. Mieux, en laissant à chaque éditeur le soin de réactiver l’affichage des courts extraits, finalement Google laisse à chacun d’eux le soin d’assumer cette reprise dans une démarche purement contractuelle.
Conclusion : les éditeurs et agences vont avoir un mal fou à réclamer paiement d’un préjudice qu’ils ont eux-mêmes causé !
Google rappelle ses investissements en faveur de la presse
Google pingre avec la presse ? Pour prévenir cette critique, l’entreprise rappelle être « à l’origine de plus de 8 milliards de visites par mois sur les sites des éditeurs de presse, ce qui représente plus de 3 000 visites chaque seconde ».
Avec ces flux, « les éditeurs peuvent ainsi attirer un nouveau public et augmenter leur chiffre d’affaires au moyen de la publicité et des abonnements ».
Une étude Deloitte soutient ainsi « que chaque clic renvoyé par Google vers les grands éditeurs de presse représentait un potentiel de revenus supplémentaires compris entre 4 et 6 centimes d’euro ».
Et Google d’enfoncer le clou, pour rappeler son investissement de 300 millions de dollars sur trois ans dans Google News Initiative, un programme d’aide aux éditeurs pour « développer de nouvelles sources de revenus et à explorer de nouvelles manières innovantes de présenter l’information ».