Cloud : le projet européen Gaia-X « ne veut pas réinventer la roue »

On a déjà essayé, ça n’a pas marché
Internet 8 min
Cloud : le projet européen Gaia-X « ne veut pas réinventer la roue »

Gaia-X se présente comme une place de marché pour les services liés au cloud (stockage, IA, etc.), mais où les partenaires doivent montrer patte blanche avant d’entrer. Mais à quoi doit exactement servir ce projet, devant mettre en avant les entreprises européennes respectant les données de leurs clients et l’interopérabilité.

Après être revenus sur les fondements de Gaia-X, analysons son mode de fonctionnement. Pour cela, nous avons échangé avec Anne-Sophie Taillandier, directrice de la plateforme TeraLabs de Mines-Telecom, et Yann Lechelle, directeur général de Scaleway ; les deux entités étant membres fondateurs de Gaia-X. Ils nous livrent leur vision et attente du projet.

Gaia-X est pensé comme « une place de marché »

Commençons par ce que n’est pas Gaia-X : un nouveau service de cloud souverain. Lors de la conférence de presse début juin, Bruno Le Maire ne laissait pas de place au doute sur le sujet : c’est « une place de marché avec différents services et offres interopérables ». Il ne s’agit donc pas non plus d’un nouvel Airbus.

Mais plutôt d’une alliance comme Skyteam dans le secteur des compagnies aériennes pour reprendre la métaphore de Yohann Prigent (Scaleway). Dans ce document on en apprend davantage sur son fonctionnement : Gaia-X joue « un rôle d'orchestration, mais il n'est pas impliqué dans les transactions individuelles entre les participants ».

Oliver Vallet, PDG de Docaposte, ajoute que l’interopérabilité tant voulue par ce projet s’applique aussi bien aux données, qu’aux services et aux infrastructures. Elle n'est d'ailleurs pas fermée aux services américains, tant que c'est réciproque.

Notre dossier sur Gaia-X : 

Du « passage de plats », au niveau européen

L’Institut Mines-Télécom (IMT) confirme et ajoute son grain de sable sur les ambitions de Gaia-X : « le projet n’a pas vocation à créer une nouvelle entreprise leader européenne du cloud, mais plutôt à favoriser, par ses directives et ses standards, l’essor d’acteurs déjà existants, tout en harmonisant les pratiques des acteurs déjà en place ».

Il ne faut donc – heureusement – pas y voir le successeur de feu Numergy ou Cloudwatt, deux tentatives bien douloureuses de clouds souverains français, qui se sont soldées par de cuisants échecs au bout de quelques années. Cette « infrastructure européenne de données » doit ainsi permettre aux acteurs – européens dans un premier temps – respectant certaines valeurs d’être mieux mis en avant auprès des utilisateurs (professionnels comme particuliers).

Yann Lechelle décrit cette situation à sa manière : « le vernis marketing des dominants [Google, Amazon, Microsoft…, ndlr] est très important » ; il faut donc arriver à l’enlever pour voir la réalité qui se cache en dessous. Il reconnaît tout de même une chose aux géants du Net : « ils sont une locomotive, on bénéficie tous des avancements ». 

Selon l’IMT, l’objectif « n’est pas d’empêcher les acteurs américains ou d’autres pays […] d’accéder au marché européen : nous voulons arriver à éditer des standards respectant les valeurs européennes, et ainsi dire à qui veut venir sur le marché européen qu’il le peut, à partir du moment où il respecte les règles ». « La preuve du respect de ces règles peut être apportée sous la forme d’une certification », expliquent les responsables du projet (nous y reviendrons).

Dans le discours officiel, personne n’est exclu, pas même les géants hors d'Europe, à condition qu’ils respectent les règles du jeu (notamment sur ce qui est au non soumis au Cloud Act). « On ne veut pas réinventer la roue », nous résume Anne-Sophie Taillandier. Même son de cloche chez Yann Lechelle (Scaleway) pour qui Gaia-X doit servir au « passage de plats ».

Ce projet se place ainsi comme un tiers de confiance, permettant en plus d’articuler différents services entre eux. Dans l’absolu, les hébergeurs de données doivent pouvoir « discuter » avec les fournisseurs de solutions logicielles afin que tout le monde travaille en bonne intelligence.

Pour du stockage, des services, de l’IA, etc.

Anne-Sophie Taillandier nous précise que le projet Gaia-X ne concerne « pas que les cloud providers, mais aussi les utilisateurs ». Les premiers s’inscrivent sur la « place de marché » afin de proposer leurs services, les seconds viennent y faire leurs courses. Les données des utilisateurs « peuvent être mises à disposition, rassemblées et partagées en toute sécurité et confiance » entre les acteurs de la plateforme.

Ces deux derniers points revenaient souvent dans les échanges « techniques » de la conférence début juin. Si vous n’êtes pas content du service et/ou qu’il devient trop coûteux, « vous pouvez en changer sans perdre aucune donnée », promettait Bruno Le Maire. Pierre Gronlier d’OVHcloud ajoute qu’il « n’y a pas que les données au cœur de la discussion, il y a l’identité (comment on peut exporter et importer ses ACL, une application, des licences. C’est pas juste pouvoir récupérer ses données ».

But avoué : simplifier la vie des PME

Dans un billet de blog, Anne-Sophie Taillandier explique que « quand une entreprise choisit un prestataire cloud, c’est un peu comme lorsque vous acceptez des conditions générales d’utilisation ou de vente : vous ne savez jamais vraiment comment vous allez pouvoir changer de service ni combien cela va coûter ».

Ce n’est pas la seule problématique : « Les PME n’ont pas les mêmes équipes juridiques et techniques que les grandes entreprises. Lorsqu’elles signent avec un prestataire cloud, elles n’ont pas les ressources pour évaluer toutes les subtilités contractuelles »… et comme nous avons régulièrement l’occasion de le rappeler, elles sont nombreuses

Une des règles éthiques de Gaia-X est qu’il « ne doit pas y avoir de coût caché lorsqu’une entreprise souhaite sortir ses données de chez un prestataire pour basculer sur un autre fournisseur », explique la directrice du TeraLabs de l’IMT. Selon elle, la portabilité permet aussi aux entreprises de mettre plus facilement des données en commun avec des partenaires :

« Si chaque acteur héberge ses données sur un service différent, avec des architectures techniques de stockage et de traitement propre à chacun, il faudra passer par une étape très lourde d’harmonisation des espaces de données ».

Yann Lechelle précise qu’un « compte commun » pourrait même être proposé par Gaia-X à terme, évitant ainsi de devoir en créer un pour chaque service utilisé. Là encore, le but est le même : simplifier la vie des utilisateurs. Cela n’arrivera par contre probablement pas avant la « seconde phase du projet », sans plus de détails pour le moment.

Des attentes au niveau de la France et de l’Europe

Quelques semaines avant l’annonce de Gaia-X, une polémique a rapidement enflé sur Internet : le cas du Health Data Hub. L’hébergement des données de santé a en effet été confié à… Microsoft. Un scandale pour certains, compte tenu notamment du Cloud Act. Ce choix a d’ailleurs été attaqué devant le Conseil d’État.

La CNIL est même montée au créneau pour demander que, « eu égard à la sensibilité des données en cause, que son hébergement et les services liés à sa gestion puissent être réservés à des entités relevant exclusivement des juridictions de l’Union européenne ». Cedric O avait tenté de justifier son choix par « le retard européen dans le cloud ».

Pour lui, il n'y a « pas la possibilité de faire tourner des algorithmes d'intelligence artificielle aussi développés sur une infrastructure française que sur une infrastructure américaine ». Cette déclaration avait fait bondir OVHcloud qui affirmait au contraire que « la solution existe toujours » même si le « lobbying de la religion « Microsoft » arrive à faire croire le contraire ». Sur la même longueur d’onde que Scaleway.

De son côté, Bercy soufflait le chaud et le froid auprès des Échos : « Le Health Data Hub est un assez bon exemple de l'intérêt de Gaia-X. Gaia-X va garantir la possibilité de recourir à un acteur dans une phase initiale et de remettre en concurrence cet acteur dans les phases suivantes ».  

Il faudra maintenant voir si Gaia-X deviendra un passage obligatoire pour les marchés publics français et/ou certains projets impliquant des sociétés françaises en fonction de la sensibilité des données par exemple. Certains l’espèrent, mais rien n’a été officiellement annoncé pour le moment.

La situation est la même au niveau européen même si, point important, Gaia-X a déjà été « approuvé » par la Commission européenne qui a été impliquée dans le développement du projet. Nous demandons alors à Yann Lechelle s’il est prévu que la Commission utilise Gaia-X pour orienter et/ou valider les financements sur des appels à projets.

C’est effectivement l’idée qu’il se fait d’un projet comme Gaia-X, mais il reconnait que ce point précis reste « à confirmer », car il n’y a sa connaissance aucun engagement signé.

« Nous ne sommes pas maîtres de nos données »

L’objectif de Gaia-X, selon Yann Lechelle, pourrait être que des sociétés européennes fournissent « au moins un tiers de la demande de cloud européen ». Pour le moment, c’est plutôt entre 10 et 20 %… « on ne pèse rien » lâche le dirigeant de Scaleway. Corollaire de cette situation : « nous ne sommes pas maîtres de nos données ».

Si les États-Unis décident que fermer les vannes − que ce soit pour des raisons économiques, politiques ou sanitaires, peu importe – alors une quantité non négligeable des données des Européens se retrouveraient inaccessibles. On a pu voir avec le cas des équipementiers chinois placés sur liste noire que cette menace doit être prise en considération.

Gaia-X entend donc redonner de la souveraineté aux entreprises, ou au moins leur mettre sous le nez des alternatives aux géants américains et chinois. Le projet européen met aussi en avant la promesse d’interopérabilité, de portabilité et de transparence. Les premières briques de Gaia-X sont attendues pour début 2021.

Il sera alors temps de comparer les promesses à la réalité du terrain.

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