Le projet de loi audiovisuel examiné cette semaine en commission de la Culture consacre la fusion de la Hadopi au sein du CSA. Le conseil, rebaptisé Arcom, va récupérer l’ensemble des compétences de la rue de Texel. À cette occasion, Aurore Bergé, corapporteure du texte, veut introduire la transaction pénale dans la riposte graduée. Le point.
Aux articles 22 et suivants, le projet de loi donne naissance à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ou Arcom). Cette nouvelle entité aura trois missions, que les rapporteures souhaient hiérarchiser ainsi :
- La protection des œuvres à l’égard des atteintes aux droits d’auteurs commises sur Internet
- L’encouragement au développement de l’offre légale et d’observation de l’utilisation licite et illicite
- La régulation et la veille dans le domaine des mesures techniques de protection
Aurore Bergé (LREM) et Sophie Mette (MoDem) entendent même ajouter une quatrième mission : la promotion du « respect des droits d’auteur et des droits voisins sur Internet » et l’information du public « sur les dangers des pratiques illicites en ligne ». L’Arcom mettrait à cette fin « des ressources et des outils pédagogiques à disposition de la communauté éducative ».
Le projet de loi prévoit une trousse à outils contre le piratage des œuvres en ciblant les sites de streaming et de direct download, notamment ceux spécialisés dans les compétitions sportives. Toutefois, le reléguer à un missile visant les seuls sites serait une erreur. La riposte graduée n’est nullement abandonnée. Les mesures se cumulent. Et surtout, Aurore Bergé entend profiter de cette fenêtre pour injecter l’amende transactionnelle, au bout du troisième avertissement pour négligence caractérisée.
Riposte graduée : de la loi Hadopi à la loi Arcom
À ce jour, lorsqu’une adresse IP a été repérée en plein échange illicite sur les réseaux P2P, les organismes de gestion collective comme la SACEM transmettent l’information personnelle à la Hadopi. L’autorité contacte à son tour les fournisseurs d’accès et après identification du titulaire de l’abonnement, elle lui adresse un avertissement pour négligence caractérisée : étant maître de sa ligne, il aurait dû imaginer des moyens pour sécuriser l’accès et faire en sorte que son IP ne soit pas associée à des échanges illicites en P2P.
Au bout de trois lettres, l’abonné peut alors être « renvoyé » devant le procureur de la République. Celui-ci décide alors de l’opportunité des poursuites. S’il décide de transmettre au tribunal de police, notre abonné si mal sécurisé encourt jusqu’à 1 500 euros d’amende. Théoriquement, puisque jamais un tel montant n’a été décidé.
Des millions d’avertissements, très peu de condamnation
Sur les 8 mois premiers de l’année 2019, près de 650 000 avertissements ont été adressés à des abonnés français. 1 149 dossiers ont fait l’objet d’une transmission au parquet.
Sur la même période, 31 jugements de condamnation ont été rendus. Le montant moyen des amendes atteint 350 euros. Ce « stock » a permis aussi de basculer trois personnes dans des actions en contrefaçon. L’hypothèse concerne par exemple les cas où l’abonné avoue lui-même avoir téléchargé les œuvres en cause.
En somme, si la Hadopi, née avec la loi de 2009, arrive à mitrailler des millions d’avertissements (elle a dépassé les 10 millions en 2017, depuis sa création), la justice n’arrive pas à suivre. Pourquoi ? D’abord, pour des questions de moyens, mais aussi parce que le défaut de sécurisation n’est pas nécessairement dans le haut de la pile des infractions que les juridictions pénales doivent traiter.
« La phase judiciaire qui intervient quand la pédagogie n’a aucun effet sur ces pratiques illicites, a montré ses limites : dans plus 85 % des cas, le contrevenant n’est condamné à aucune sanction » regrettent ainsi Aurore Bergé et Sophie Mette.
Elles assurent que malgré cette menace, « environ 3 millions d’internautes continuent d’utiliser les services pair-à-pair tous les mois pour pirater des œuvres protégées ». Et toujours selon ces deux députées chargées d’établir un rapport pour nourrir les débats et préparer le texte avant la séance, avec la démultiplication des procédures de blocage de sites, « une part importante de leurs utilisateurs se reportent vers le pair à pair ».
Pour contourner le goulot d’étranglement de la phase judiciaire, deux moyens : ou bien augmenter drastiquement le budget de la justice ou bien contourner cette phase. C’est la deuxième option qui est choisie dans le projet de loi : introduire une amende pénale au dernier stade de la riposte graduée. Une amende un peu particulière puisqu’elle serait transactionnelle.
L’introduction de la transaction pénale
Ce n’est plus un tribunal qui jugerait, mais une autorité administrative qui déciderait. « L’Arcom aurait la possibilité, en cas d’échec de la phase pédagogique de la procédure de réponse graduée, de proposer au contrevenant le paiement d’une amende transactionnelle, inférieure au tiers du montant de la peine maximale aujourd’hui encourue, pour éteindre l’action publique ».
Avec l’amendement AC1318 défendu par Aurore Bergé, l’amende transactionnelle serait ainsi au maximum de 350 euros.
Le couple Hadopi-CSA, rhabillé en Arcom, disposerait d’arguments de poids pour inciter l’abonné à signer cette transaction : ou bien il accepte et paye le montant, ou bien il pourrait faire l’objet d’une citation directe, autre nouveauté programmée par le texte. Il n’y aurait donc plus de passage devant le procureur, mais saisine directe du tribunal.
« La possibilité pour l’autorité de citer directement le contrevenant devant le tribunal de police aurait ainsi vocation à éviter que les abonnés soient incités à ne pas transiger, comptant sur le faible nombre de sanctions prononcées une fois le dossier transmis au Parquet » insiste l'auteure du texte.
Limiter la charge des tribunaux
Ces 350 euros sont présentés comme un modeste plafond, mais qui « se justifie par le fait que cette transaction sera avant tout dissuasive par sa rapidité et son efficacité », avance-t-elle. « La transaction pénale devrait ainsi limiter la charge pesant sur les tribunaux et permettre à l’action de l’autorité de trouver toute son efficacité. Ce dispositif permettrait en effet de renforcer l’approche pédagogique en associant le contrevenant au processus de sanction [et] renforcer l’effet dissuasif en donnant plus de probabilité à la sanction d’être prononcée lorsque la pédagogie échoue ».
L’abonné pourrait se faire assister d’un avocat et la transaction devra ensuite être homologuée par le procureur de la République.
L’amendement prévient que cette transaction « ne fait cependant pas échec au droit de la partie civile de délivrer citation directe devant le tribunal de police ». En somme, une société de gestion collective pourra toujours réclamer des dommages et intérêts devant un tribunal, composé d’un seul magistrat, qui ne statuera alors que sur les seuls intérêts civils.
Remarquons que les 350 euros ne concernent que les abonnés personnes physiques. Les personnes morales encourraient jusqu’à 1 050 euros. Notons aussi que d’autres élus sont favorables à cette initiative. Constance Le Grip et plusieurs autres députés LR préfèreraient toutefois porter ces plafonds à 500 et 2 500 euros respectivement.
Ce système impose en outre de mieux préciser les pouvoirs des membres du collège de l’Arcom qui pourront constater eux-mêmes l’infraction de négligence caractérisée).
Une idée plébiscitée par les industries culturelles…
« La coupure de l’accès à Internet n’était pas la réponse adéquate, car jugée disproportionnée. Elle n’était pas la bonne réponse, nous avait confié Aurore Bergé lors des dernières rencontres cinématographiques de Dijon. Par contre, dans ce processus, on doit pouvoir dire graduellement à la personne qu’elle est en infraction et que si elle persiste malgré plusieurs avertissements, alors elle peut faire l’objet d’une transaction pénale, qui pourra ressembler à une forme d’amende, même si juridiquement elles ne se confondent pas. La réponse doit être proportionnée, graduée, mais aussi efficace ».
Pascal Rogard, directeur général de la SACD, nous avait également fait part de son intérêt : « ce serait la méthode la plus simple pour rendre efficace la réponse graduée, sachant que la sanction initialement prévue, la suspension, est apparue disproportionnée, à juste titre. Je suis néanmoins pour qu’il y ait une sanction derrière les avertissements ». Le sujet avait été également plébiscité lors du congrès du FNCF en 2018.
La Hadopi elle-même plaide pour un tel levier. Juridiquement, le sujet tiendrait la route. C’est en tout cas la conclusion à laquelle étaient arrivés deux conseillers d’État, missionnés par la haute autorité, en 2018. « Le Conseil constitutionnel a accepté qu’un pouvoir de transaction soit confié à des autorités administratives distinctes du parquet, sans que cela méconnaisse la séparation des pouvoirs, à condition que l’autorité de poursuite compétente puisse choisir d’exercer ou non les poursuites, d’homologuer ou non la transaction ». Et ceux-ci de rappeler que la capacité de conclure une transaction pénale « a été également reconnue à une autorité administrative indépendante : la Halde puis le Défenseur des droits pour les faits de discrimination ».
…mais rejetée par le ministre de la Culture
Problème, cet édifice en construction n’est pas du goût du ministère de la Culture. En audition le 26 février dernier, Franck Riester a assuré ne pas vouloir de « dispositif qui renforcerait des sanctions sur les internautes » : « On ne veut pas renforcer ces sanctions en mettant notamment un dispositif de transaction pénale (…), les sanctions, on veut les renforcer contre les sites contrefaisants ».
Le ministre, qui fut rapporteur du projet de loi Hadopi en 2009, un vrai bourbier parlementaire, préfère ainsi porter l’attention législative sur l’armada des mesures dirigées contre les sites (nous y reviendrons), plutôt que d’imaginer des amendes transactionnelles de 350 euros contre les internautes. « Merci de nous suivre sur cet aspect-là » a-t-il imploré devant les membres de la commission.