Des éditeurs, journalistes, réalisateurs, photographes et politiques remontent au front pour s’attaquer à la décision de Google. D’un trait de plume, la firme de Mountain View est parvenue à désamorcer la loi sur les droits voisins. Mais contrairement aux affirmations de leur nouvelle tribune, Google ne bafoue pas ce texte.
« C’est comme si vous travailliez, mais qu’une tierce personne récoltait sans vergogne et à l’œil le fruit de votre travail ». Ce 27 août 2018, Sammy Ketz, reporter de guerre de l’AFP dépêché par l’une des responsables de l’agence, dénonçait la reprise des extraits d’articles sur Facebook ou Google Actualités.
Des termes durs et vifs en plein débat européen sur la directive DAMU (ou droit d'auteur dans le marché unique).
Ce 22 octobre 2019, nouvelle tribune pour fustiger cette fois la décision de Google… d’arrêter ce « pillage ». Joli paradoxe signe d’une incompréhension du texte, pour ne pas dire d’une certaine manipulation des faits.
Entre ces deux dates, la directive fut votée au Parlement européen. Le 20 mai 2019, le texte est publié au Journal officiel de l’UE. La France avait pris soin, à l’initiative du sénateur David Assouline, de déposer un texte de transposition bien en amont. Résultat des courses : Paris a pu s’enorgueillir d’une belle longueur d’avance sur les autres capitales européennes.
Demain, trois mois après sa promulgation, cette loi sur les droits voisins entrera en application. Comme le veut l’article 15 de la directive, elle consacre la possibilité de faire payer les sites commerciaux qui reprennent ces fameux « snippets » (extraits) au profit des éditeurs et agences de presse.
Après tant d’années de SEO (search engine optimisation), de mitraillage de millions de cookies sur les écrans des lecteurs, d’implantations de boutons de partage, éditeurs et agences rêvaient d’un scénario en or : tirer davantage profit de leur « Googlodépendance », maximiser leur présence sur les réseaux sociaux, en faisant payer ces géants du Web. Une presse aux abois qui allait pouvoir biberonner du droit voisin sur les mamelles de Google, comme ces subventions annuelles réclamées du ministère de la Culture.
D’un claquement de doigts, ce pilier du texte européen s’est cependant effondré. Le « voleur » Google a décidé de ne plus « voler » : dès demain donc, il désactivera l’affichage des extraits dans son écosystème que ce soit Google Search, Google Actualités, YouTube… Et voilà comment se referme la caverne que la presse croyait d’Alibaba.
Retour aux fondamentaux
Les éditeurs français, le ministre de la Culture et même le Président de la République sont montés au front pour dénoncer cette situation. La brèche était pourtant là, sous leurs yeux, mais les concernés ne l’ont pas vue, tout aveuglés par ces espoirs dorés.
Il est utile de rappeler la logique évidente des droits voisins qui semble aujourd’hui échapper à la raison :
- Si Google affiche des extraits, l'entreprise doit négocier et éventuellement payer des droits voisins.
- Si Google ne reprend pas d’extrait, elle n’a pas à payer.
Pour accentuer le psychodrame, la firme a offert une option au goût acidulé : éditeurs et agences peuvent réactiver ces extraits en jouant sur les balises « méta » incrustées dans le code source de leurs sites. Mais s’ils activent cette option, nul paiement. Le cas échéant, ce n’est pas Google qui aura « spolié », « volé », « dérobé » leurs contenus, mais eux-mêmes qui auront décidé d’alimenter l’estomac américain dans une logique contractuelle voulue par le législateur européen.
Google bafoue la loi qu'avaient mal lu les partisans du droit voisin
« Google bafoue la loi. Il en exploite les subtilités en détournant son esprit » affirme malgré tout la nouvelle tribune signée par Sammy Ketz, des éditeurs de presse et d’autres journalistes, mais aussi des personnes totalement étrangères à ces sujets comme des écrivains, des avocats, des cinéastes, des producteurs de TV et, sans surprise, les eurodéputés Jean-Marie Cavada et Axel Voss, fervents partisans de la directive sur le droit d’auteur.
À aucun moment, ils ne rappellent que la directive n’impose pas aux sites, qu’ils soient gros ou petits, de reprendre ces extraits et de payer inévitablement. « L'autorisation de l'éditeur de presse ou de l'agence de presse est requise avant toute reproduction ou communication au public totale ou partielle de ses publications de presse sous une forme numérique » explique en ce sens la loi Assouline, qui exige non des reprises monnayées, mais avant tout des reprises négociées.
Alors que la presse se morfond d’une crise de confiance, cette prose a été reprise en chœur par une ribambelle de titres dont le Parisien, le Journal du Dimanche, Nice Matin, l’AFP, la Tribune de Lyon, L’Équipe, Libération ou Marianne. Pas une seule fois ces titres n’ont révélé le nombre de visiteurs que drainaient les moteurs de recherche, contrairement au numéro un du journal Die Zeit.
Selon une étude réalisée par le Journal du Net, 26 des 30 plus gros sites ont déjà accepté le « deal » proposé par Google : autoriser les reprises des extraits, gratuitement… « Fondamentalement, notre secteur doit désapprendre à utiliser son pouvoir politique pour se créer des rentes garanties par la législation. Son indépendance, clé de la confiance du public dans ses contenus, est à ce prix » implorait début octobre le Syndicat de la Presse Indépendante d'Information en Ligne, dont est membre Next INpact.