Les défenseurs de la neutralité du Net aux États-Unis appellent les internautes à se mobiliser, alors que le régulateur (la FCC) s'apprête à abroger le principe de non-discrimination le 18 mai. L'appel semble avoir été entendu, la commission se plaignant d'une « cyberattaque » contre son formulaire de contact...
Sans surprise, la neutralité du Net subit un feu réglementaire nourri aux États-Unis. D'un côté, le régulateur des télécoms, la FCC, a annoncé son plan pour revenir sur le décret qui a institué ce principe en 2015. De l'autre, le Congrès américain commence à analyser une proposition de loi empêchant ladite FCC d'assimiler les opérateurs Internet à un service d'intérêt public ; le biais utilisé pour introduire la neutralité.
Cet assaut en règle vient des républicains, qui ont la majorité à la FCC et au Congrès depuis fin janvier. Pour les associations de défense des internautes, l'heure est à la mobilisation. L'appel le plus retentissant a été celui de John Oliver, l'animateur de Last Week Tonight sur HBO. Il avait déjà pesé dans la balance en 2015 pour soutenir l'administration Obama, appuyant la légitimité de la FCC à s'imposer sur le sujet.
Dans son segment, Oliver attaque frontalement Ajit Pai, le nouveau président de la FCC, publiquement opposé à la neutralité, vécue comme une ingérence de l'État dans les affaires commerciales des opérateurs. Le présentateur critique l'hypocrisie de Pai, qui veut retirer les opérateurs Internet des services d'intérêt public, quand bien même il s'agit du seul moyen contraignant d'imposer la neutralité. L'occasion d'appeler les internautes à s'y opposer.
La contribution des internautes « entravée »
D'ailleurs, John Oliver tacle la FCC sur les possibilités de contact. Il y a trois ans, une consultation populaire avait été lancée par la commission, à l'époque démocrate, pour recueillir le maximum de soutiens citoyens. Quatre millions de messages d'internautes avaient été reçus, en majorité favorables à la neutralité. Selon Ajit Pai, 1,6 à 1,7 million y étaient tout de même opposés.
Désormais, la procédure est bien moins évidente pour s'exprimer. Comme l'explique le présentateur, il faut rechercher le dossier sur le site de la FCC, puis cliquer sur un bouton « S'exprimer » loin d'être mis en avant. L'émission a donc créé le très poétique nom de domaine GoFCCYourself.com, qui redirige automatiquement les contributeurs vers la bonne page.
Suite à la vidéo de John Oliver, la FCC se plaint d'une attaque par déni de service distribué (DDoS), « depuis dimanche [7 mai] minuit ». « Ces acteurs ne tentaient pas de commenter, mais de rendre difficile l'accès au site de la FCC » affirme la commission.
Pour sa part, l'Electronic Frontier Foundation (EFF) a lancé DearFCC, « le meilleur moyen de fournir vos commentaires à la FCC sur la neutralité ». À partir d'un modèle préétabli, il permet d'envoyer en quelques clics un message à la commission, avec un espace d'expression personnalisé. La méthode est bien plus simple que celle proposée par le régulateur. L'organisation des retours est donc bien le nerf de la guerre.
Des moyens de pression divers
En parallèle, Free Press tente de lever 100 000 dollars en 100 jours « pour sauver la neutralité du Net », estimant que Trump et la FCC veulent la « détruire ». La fondation Mozilla, elle, propose aux internautes de signer une lettre qu'elle enverra à la commission, affirmant entre autres que la non-discrimination des contenus est essentielle à la liberté d'expression et la concurrence en ligne. Pour elle, le soutien populaire jusqu'au 18 mai est essentiel.
Use EFF's Dear FCC tool and tell the FCC why net neutrality matters to you. https://t.co/Darkq5rUyQ https://t.co/quk46yBcul
— EFF (@EFF) 9 mai 2017
Mozilla propose aussi d'appeler Ajit Pai, qui est déjà cerné par d'autres moyens. Des militants de Protect Our Internet ont déposé des accroche-portes en évidence dans le quartier du président de la FCC, déclarant qu'il « compte donner aux opérateurs le pouvoir de contrôler les contenus sur Internet ».
Face à eux, les opérateurs sont en voie d'obtenir de la FCC et du Congrès le retrait de règles qui les agaçaient. Adoptée en février 2015, la neutralité du Net était attaquée dès le mois suivant par le lobby USTelecom. L'attaque a été rejetée par la justice en juin 2016, celle-ci déclarant que la commission avait bien la légitimité pour imposer la neutralité du Net, comme elle l'a fait.
Comme nous l'avons expliqué, le discours du secteur a pourtant bien porté du côté républicain. Si USTelecom a échoué en justice, neuf sénateurs ont déposé une proposition de loi empêchant concrètement la FCC de toucher à nouveau à la neutralité du Net.
La dérégulation en marche
Cet acte législatif vient appuyer le vote de la commission, prévu le 18 mai, qui doit remettre le contrôle de la non-discrimination des contenus entre les mains de la Commission fédérale du commerce (FTC), qui devra régler les différends éventuels entre opérateurs et services Internet, mais ne pourra pas imposer un principe général de neutralité des réseaux.
Cette dérégulation est le leitmotiv de l'autorité des télécoms, qui a rapidement supprimé des règles adoptées dans les dernières semaines du mandat Obama. Adoubement du « zero rating » (discrimination de services sur mobile), abandon de mesure de transparence commerciale et de protection de la vie privée (avec l'appui des parlementaires)... Les coupes ont été franches et rapides.
La commission tient pourtant certains de ses rôles à cœur. Ajit Pai a annoncé une enquête sur des propos de l'humoriste Stephen Colbert à propos de Donald Trump, après de nombreux signalements d'internautes. Une démarche automatique après ces complaintes, affirme la commission, attaquée par la Writers Guild of America (WGA), qui évoque une attaque contre le Premier Amendement de la Constitution américaine, garantissant la liberté d'expression.