La semaine dernière, Fleur Pellerin a confirmé une nouvelle fois sa volonté de voir modifier le statut juridique de l’hébergeur. Seul souci : cette réforme n’est pas vraiment à l’ordre du jour à la Commission européenne, laquelle souhaite plutôt dépoussiérer le droit d’auteur.
Dans une interview aux Échos, la ministre de la Culture a démultiplié les arguments pour justifier la réforme du statut des hébergeurs. « Ces statuts datent de la loi de confiance dans l’économie numérique, de 2004, qui transpose elle-même une directive européenne de 2000. Internet a évolué depuis ! ». L’argument calendaire est fragile puisque le droit d’auteur est plus vieux encore, mais dans le même temps la ministre assure que dans le cadre d’action en contrefaçon, les décisions de justice auraient du mal à être exécutées « rapidement ».
La locataire de la Rue de Valois a donc dans son chapeau une solution pour résoudre tous ces maux. Comment ? « Il ne s’agit pas de rendre les réseaux sociaux, les plates-formes vidéo responsables, de les muer en police de leurs contenus. Ce serait difficile, philosophiquement et matériellement » assure la ministre. Et pour cause : le statut de l’hébergeur est intimement lié à celui de la liberté d’expression. Seulement, pour la ministre, « il faut que chacun ait conscience de sa responsabilité, revoir nos modes de coopération, notamment en matière de protection du droit d’auteur, en allant peut-être vers un statut hybride, par exemple pour les grandes plates-formes, qui ne sont ni simplement des hébergeurs ni totalement des éditeurs. »
Des plateformes, du filtrage
Ce statut hybride n’est pas sorti de l’imagination fertile de Fleur Pellerin. Il est directement inspiré des travaux du Conseil d’État notamment (voir notre actualité). Dans son dernier rapport annuel sur le numérique, celui-ci propose en effet de créer entre éditeur et hébergeur, une nouvelle catégorie juridique, celle des plateformes.
Elle viserait les intermédiaires qui « proposent des services de classement ou de référencement de contenus, biens ou services mis en ligne par des tiers ». Ces plateformes seraient alors soumises à une obligation de loyauté envers les utilisateurs non professionnels (droit de la consommation) ou professionnels (droit de la concurrence). Elles mettraient par ailleurs à disposition des ayants droit des outils de détection des contrefaçons, outils qu’elles devraient elles-mêmes activer sur ordre d’une autorité administrative (proposition 28 du rapport) afin d’empêcher un temps durant, la réapparition d’un contenu ayant déjà fait l’objet d’un retrait. Pour résumer, il s’agit d’un système de filtrage, limité dans le temps et l’espace, un mécanisme qui menace bien la liberté d'expression lorsqu'il est trop musclé.
Les barrières du droit d'auteur intéressent davantage la Commission européenne
Seulement, ces propositions ne sont pas seulement critiquées par la doctrine (voir notre interview de Me Ronan Hardouin), elles sont aussi en déphasage avec la Commission européenne.
Si Bruxelles se montre prudente sur l'instauration d'une taxe Google, l'institution européenne envisage surtout de retoiletter le vieux droit d’auteur en Europe afin de faire tomber les barrières territoriales et de créer un grand marché européen de la Culture.
Le 27 janvier, le vice-président de la Commission Andrus Ansip l’a clairement exposé à Paris, tout en se montrant rassurant pour l’industrie culturelle : « les gens pensent que, quand on parle de réforme du copyright, c’est forcément qu’on va arrêter de protéger les droits d’auteurs et bafouer les droits des créateurs. Pas du tout. Mais la situation actuelle est perdante pour tout le monde, consommateurs et créateurs ». Il faut dire qu’un tel chantier est attendu fusil à l’épaule par les ayants droit français : une culture harmonisée, c’est autant de pouvoirs en moins à l’échelon local, avec des conséquences financières immédiates. Pour s'en convaincre, il suffit de se pencher un instant sur le statut de la redevance pour copie privée, un domaine où la ministre de la Culture refuse là aussi, tout « surcroit » d’harmonisation, alors que la France est le pays qui sollicite le plus les consommateurs.