Les flux (encore partiels) des 25 % de la copie privée pour 2019

Les flux (encore partiels) des 25 % de la copie privée pour 2019

Le flux enchanté

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Marc Rees

Publié dans

Droit

05/08/2020 11 minutes
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Les flux (encore partiels) des 25 % de la copie privée pour 2019

Depuis la loi Création, les organismes de gestion collective ont l’obligation de révéler en ligne la liste des aides qu’ils accordent au titre des « 25 % de la copie privée ». Les chiffres 2019 commencent à être diffusés.

La redevance pour copie privée est un prélèvement culturel perçu par la SACEM, la SCAM, la SCPP, l’ADAMI ou encore la SACD, à partir des supports mis en circulation en France. Elle est payée par les fabricants et les importateurs, mais son coût est ensuite déporté sur chaque maillon de la chaine commerciale jusqu’au consommateur final.

La SACEM et les autres organismes de gestion collective sont aux premières loges pour déterminer les montants et le périmètre de ces sommes qu’ils touchent, et ce au sein d’une commission administrative rattachée au ministère de la Culture, la Commission Copie privée. L’an passé, 260 millions d’euros ont ainsi été collectés, portant le total amassé depuis 2008 à 2,8 milliards d’euros.

La redevance Copie privée n’est pas un impôt, ni une rémunération, mais une indemnisation destinée à compenser le « préjudice » subi par les titulaires de droits sur la liberté accordée aux particuliers de réaliser des copies de leurs œuvres sans leur autorisation.

La loi laisse aux sociétés de gestion collective le soin de redistribuer ces flux, du moins 75 % du montant total, minorés des frais de gestion. Les 25 % restant sont conservés par ces sociétés pour financer ensuite des festivals, du spectacle vivant et même des actions de défense du secteur culturel, là aussi modulo les fameux frais administratifs.

Jusqu’à une date récente, les flux répertoriant ces 25 % pouvaient n’être consignés que dans des documents papier. Délicat, pour ne pas dire très difficile de retracer le cheminement de ces dizaines de millions d’euros. C’était en tout cas la conclusion à laquelle nous avions abouti en 2013 suite à notre procédure d’accès à ces documents contre le ministère de la Culture, où une copie de ces informations est consignée.

Sensibilisé par cette défaillance mise en exergue dans notre dossier, le député Marcel Rogemont avait déposé un amendement au projet de loi Création pour imposer l’ « open data » de ces sommes.

La mesure a ensuite été inscrite à l’article L326-2 du Code de la propriété intellectuelle. Selon cette disposition, « les organismes de gestion collective établissent et gèrent une base de données électronique unique recensant, avec le nom de leurs bénéficiaires, le montant et l'utilisation des sommes (…). Cette base est régulièrement mise à jour et mise à disposition gratuitement, sur un service de communication au public en ligne, dans un format ouvert et librement réutilisable ». Tel est l’objet du site.

Renforcer la légitimité de la redevance pour copie privée

Pourquoi donc imposer cet open data ? Selon Marcel Rogemont, l’idée fut « de renforcer la légitimité de la rémunération pour copie privée du point de vue des redevables et des consommateurs ». En commission, il avait rappelé que les citoyens « sont les premiers contributeurs ». Durant la séance néanmoins, Franck Riester avait soutenu un amendement  pour combattre cette transparence.

Un site dédié sur les aides accordées ? Voilà qui « n’est pas en soi une mauvaise idée », « toutefois il reste complexe dans sa mise en place et entraine des dépenses supplémentaires » exposait ce 24 septembre 2015 l’ancien rapporteur de la loi Hadopi et futur ministre de la Culture. Il avait donc jugé non nécessaire de créer cette base de données, préférant la simple incitation à la publicité de ces aides accordées par les sociétés de perception et de répartition des droits. L’amendement, peu en phase avec l’air du temps, fut finalement retiré par ses auteurs avant les débats.

D’autres raisons existent pour justifier l’« open data » : ces sommes ne sont pas neutres. En 2019, les 25 % de la copie privée ont ainsi représenté la bagatelle de 195 millions d’euros. De plus elles servent, de l’aveu même du numéro un de la SACEM, à « sensibiliser » les élus locaux, bien contents que les sociétés de gestion collective viennent financer les manifestations et donc la vie locale.

Cette part représente, toujours selon Jean-Noël Tronc, « un levier important de pédagogie, de sensibilisation, on peut même dire de solidarité entre décideurs publics et créateurs autour de la copie privée ». Et celui-ci d’expliquer en octobre 2012 que grâce à ces flux, des élus nationaux « se sont mobilisés quand on leur a demandé de le faire ».

Enfin, ces sommes viennent aussi combler celles que ne verse pas le ministère de la Culture, créant là cette fois un lien d’intérêts important entre l’industrie culturelle et la Rue de Valois. Dit autrement, plus le ministère soutient ces 25 %, moins il a lui-même à se saigner de subventions publiques pour soutenir les manifestations.

En attendant, les chiffres 2019 ont été mis en ligne sur AidesCreation.org, la plateforme dédiée à la mise en open data du quart de la copie privée. Toutes les sociétés de gestion collective n’ont malheureusement pas encore déversé leurs données, alors que la loi les y oblige. Cette lacune s’explique notamment parce que la plupart n'ont toujours pas publié leur rapport annuel. 

Les meilleurs élèves sont pour l'heure l’ADAMI (société représentant les artistes-interprètes), la SOFIA (auteurs de l’écrit), l’ADAGP (arts visuels), la SAIF (arts visuels), la SCELF (éditeurs littéraires), la SPEDIDAM, (artistes-interprètes) et la SCAM (réalisateurs, écrivains, traducteurs, journalistes, vidéastes, photographes et dessinateurs). Tous ont ouvert les robinets.

Manquent encore les données de l’ANGOA (droits de retransmission intégrale et simultanée de chaînes généralistes par les opérateurs tiers du câble, de l’IPTV et du satellite), de l’ARP (société civile des Auteurs Réalisateurs Producteurs), du CFC (droits des auteurs et des éditeurs pour les différentes copies papier et numériques de leurs œuvres), de la PROCIREP (gestion de la rémunération pour copie privée revenant aux producteurs de vidéogrammes), de la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques), de la SACEM ( Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique), de la SAJE ( auteurs de jeux de télévision et de téléréalité assimilable à un jeu), de la SCPP (majors de la musique), la SEAM (société civile de perception et de répartition pour la reprographie de musique et pour certains droits numériques) et de la SPPF (producteurs de phonogrammes indépendants).

De 220,45 à 766 291 euros (pour le moment)

5 104 entrées composent actuellement le tableau 2019. Le montant le plus bas se chiffre à 220,45 euros versés par la SPEDIDAM pour un ciné-concert. Remarquons également ces 400 euros pour récompenser des auteurs au titre des étoiles de la SCAM, prix attribué par la société de gestion collective éponyme « dans le cadre de sa politique culturelle d’aide aux auteurs ». Des auteurs ont reçu jusqu’à 4 000 euros d’aides, toujours dans le cadre de ce prix, financé sur le dos des 25 % de la copie privée. 

À l’autre extrémité, celle des montants le plus élevés, en l’état des données parcellaires, la médaille d’or est attribuée à l’ADAMI, spécialement pour le financement du Fonds pour la Création Musicale. Cette association interprofessionnelle créée en 1984 par six sociétés de gestion collective de droits d'auteur et de droits voisins représentant les auteurs, les artistes-interprètes et les producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes (ADAMI, SPEDIDAM, SACEM, SACD, SCPP et SPPF). Son objectif ? Mettre en œuvre des actions de soutien à la création, à la diffusion et à la formation musicale. Son budget est alimenté par les 25 % de la copie privée, mais également par les montants irrépartissables de la rémunération équitable outre des aides directes attribuées par le ministère de la Culture et le CNC.

En 2019, l’ADAMI a donc versé à ce fonds 766 291 euros. Récemment, ce FCM a par exemple attribué 10 000 euros au projet d’Aloise Sauvage, porté par Universal. Même somme pour Poupie, toujours chez la même major. Soulignons encore ces 35 000 euros versés récemment à IRMA, le Centre d'information et de ressources pour les musiques actuelles ou ces 85 000 euros attribués le 27 février dernier au Studio des Variétés, un centre de formation fondé en 1983 par le Ministère de la Culture et la SACEM. 

copie privée

D’autres SPRD ont également contribué au FCM, mais les informations ne sont pas encore référencées sur AidesCreation.org. Pour se faire une petite idée du classement définitif, rappelons qu'en 2019, c’est la SCPP, chère aux majors de la musique, qui était en tête, avec plus d’un million d’euros attribué un an plus tôt à ce fonds. Elle décrochait également la deuxième place grâce aux 962 323 euros versés au SNEP, le Syndicat national de l’édition phonographique. Non loin de là, trônait la SACD de Pascal Rogard, avec ces 718 000 euros généreusement accordés à l’Association Beaumarché-SACD.

Des actions de défense soutenues par les 25 % de la copie privée

Cette année encore, des actions de défense sont également à relever parmi les projets soutenus. La SOFIA a attribué à ce titre à la Société des Gens de Lettres un chèque de 150 000 euros l’an passé. Une association « reconnue d'utilité publique, fondée par Honoré de Balzac, Victor Hugo, George Sand et Alexandre Dumas, [qui] représente et défend les intérêts des auteurs de l'écrit depuis 1838 ».

L’ADAMI a également versé à… l’ADAMI 82 839 euros pour le poste « défense des droits, transpositions des directives et actions européennes ». Complètons avec ces 15 000 euros versés par la SOFIA à la Société des Gens de Lettres pour la « lutte contre le piratage » ou ces 22 000 euros versés par l’ADAMI à l’Association de lutte contre le piratage (l'ALPA). 

Les subventions versées à des organismes de défense avaient fait tiquer l’an passé la Commission de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits. Depuis la Cour des comptes, elle avait estimé que « les actions de défense (…) sont les actions directement engagées par elle à ce titre et excluent les subventions accordées à d’autres structures y compris lorsque l’objet social vise à la défense et à la promotion des créateurs ». Cette distanciation sociale avait déjà été expliquée dans un courrier du 13 septembre 2001 adressé aux SPRD et signé Jacques Vistel, directeur du cabinet de la ministre de la Culture. Cette doctrine avait exclu le financement par les 25 %, non seulement des « actions et structures de lobbying qui ne se rattachent pas à la défense de la création », mais aussi et surtout des « aides aux syndicats ou organismes de défense professionnelle ».

Auto-générosité

Il n’est pas rare qu’une société de gestion collective se verse à elle-même des fonds pour soutenir des projets. L’ADAMI a ainsi versé au total à l’ADAMI 768 343 euros. Si l'on ajoute d’autres projets où le même organisme est intervenu notamment dans le cadre de coproductions, l'addition frôle les deux millions d’euros (1 931 756 euros). 

adami

Dans le même sens, la SOFIA a versé à la SOFIA en tout plus de 111 111 euros, en particulier pour financer le « Baromètre du numérique 2019 » (plus de 32 000 euros), ou le projet « Littérature et musique » (près de 47 000 euros).

Nous reviendrons sur le sujet, une fois l’ensemble des données mis à jour conformément aux textes. 

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Écrit par Marc Rees

Tiens, en parlant de ça :

Sommaire de l'article

Introduction

Renforcer la légitimité de la redevance pour copie privée

De 220,45 à 766 291 euros (pour le moment)

Des actions de défense soutenues par les 25 % de la copie privée

Auto-générosité

Le brief de ce matin n'est pas encore là

Partez acheter vos croissants
Et faites chauffer votre bouilloire,
Le brief arrive dans un instant,
Tout frais du matin, gardez espoir.

Commentaires (12)


Ce sous-titre… il mériterait presque une auto-aide. <img data-src=" />


Mis à part le sous titre de compétition, c’est beau de voir ou passe (une partie de) notre fric.


Et après décortiquage , on va se rendre compte que la société A verse xxx € au fond B, qui lui aide l’association C , qui cotise auprès de la société D, qui subventionne le projet E qui paye à la société A un montant équivalent à xxx moins quelques € et l’évaporation classique en frais générauxeux de l’ordre de 40%



ps. Marc, on t’aime <img data-src=" /> quand tu nous fait ces beaux articles, mais pense à prendre des vacances.

<img data-src=" />


Autant d’associations, autant de sangsues. M’étonnerait plus que l’on ait une Société des Producteurs Amateur de Musique <img data-src=" />


Et les festivals ils ont eu combien de miette ?


Les auto aides… j’adore… -_-


” SOFIA en tout plus de 111 111”



Mais non on s’autofinance pas au pifomètre <img data-src=" />

Y en a une qui va oser du 999… ?








Bourrique a écrit :



Et après décortiquage , on va se rendre compte que la société A verse xxx € au fond B, qui lui aide l’association C , qui cotise auprès de la société D, qui subventionne le projet E qui paye à la société A un montant équivalent à xxx moins quelques € et l’évaporation classique en frais générauxeux de l’ordre de 40%







C’est tellement ça ! Ça doit être ça, l’économie circulaire xD.



Combien de types sont payés grassement sur le dos des artistes et des consommateurs avec toutes ces sociétés intermédiaires entre le consommateur et l’artiste ?



Certes, ça contribue au sacro-saint emploi, mais quand-même : si l’argent allait directement aux artistes, peut-être qu’ils ne crèveraient pas de faim, et du coup ces sociétés (censées les nourrir, justement, ne seraient pas nécessaires).

Je continue de penser qu’on ne peut pas faire confiance à une boîte pour résoudre un problème dont elle se présente comme la solution : c’est totalement contraire à son principe de survie.









Mimoza a écrit :



Et les festivals ils ont eu combien de miette ?





Intéressé par la question aussi









le hollandais volant a écrit :



Certes, ça contribue au sacro-saint emploi, mais quand-même





Mais est ce que c’est pas ça le but, justement ? Créer de l’emploi “fictif”, mais de l’emploi quand même.

Si on versait tout aux artistes ces derniers seraient plus riche, et la nuée d’intermédiaires pointerais à Pole Emploi, a indemniser au RSA.



Ce principe existe dans beaucoup de structures, non ? Il me semble que c’est un choix sociétal (Perso, à ce stade je suis davantage pour le revenu global)

&nbsp;



Même un logiciel libre bien conçu en remplacement serait fictif. <img data-src=" />


J’imagine la personne chez SOFIA qui a défini le montant de l’aide en appuyant six fois sur sa touche 1…