Barème Copie privée : les ayants droit prêts à gérer les études d'usage ciblant Molotov

Barème Copie privée : les ayants droit prêts à gérer les études d’usage ciblant Molotov

De l'impartialité chère à Christine Maugüé

Avatar de l'auteur
Marc Rees

Publié dans

Droit

26/04/2018 7 minutes
16

Barème Copie privée : les ayants droit prêts à gérer les études d'usage ciblant Molotov

Le collège des ayants droit va prendre en main l’étude d’usage sur les services d’enregistrement en ligne de type Molotov.TV. Le nouveau barème d’assujettissement à la redevance copie privée est attendu pour le 1er août.

Depuis la loi Liberté de Création du 7 juillet 2016, les services d’enregistrement de flux radio ou vidéo à distance peuvent être soumis à la redevance pour copie privée, sous conditions. Il faut notamment que l’enregistrement soit demandé par une personne physique, sur un service linéaire, avant ou au cours de la diffusion du programme.

Le secret est de polichinelle : la disposition a été concoctée pour se caler sur les mensurations de Molotov. La plateforme de distribution de flux TV offre en effet un service de magnétoscope dans le cloud (baptisé sous l’expression Bookmarks, nettement moins vieillotte).

Comme déjà expliqué, en s’appuyant sur l’exception de copie privée, elle fait l’économie des autorisations normalement nécessaires auprès des titulaires de droit. En contrepartie, elle doit se délester d’une ponction que perçoivent les sociétés de gestion collective. C’est la fameuse redevance pour copie privée. 

En juillet 2017, était publié au Journal officiel le barème de la douloureuse. Alors que Molotov peut mesurer à l’octet près la consommation de chaque utilisateur, contrairement à l’assujettissement des supports physiques, ce tarif s’appuie sur la capacité d’enregistrement simplement disponible. Dura lex, sed lex. Cela permet donc de maximiser les retombées financières, quand bien même l’abonné ne consomme pas l’ensemble de l’espace réservé. 

Un psychodrame calendaire

Comme l'autorise la loi précitée, ce barème a été publié au plus vite, sans étude d’usages, afin d’embrasser le lancement de Molotov, quatre jours plus tard. La Commission Copie privée s’était à l’époque calquée sur le tarif des box Internet, afin d’aboutir à une « rémunération » mensuelle de 0,105 euro (jusqu’à 8 Go) à 0,75 euro (entre 320 et 500 Go).

Mais ce tarif n’a été voté que pour une durée d’un an. Au 1er août 2018, il devra laisser place à un barème dit définitif. C’est dans le cadre de cet agenda contraint que se déroule un petit psychodrame dont seule la Commission copie privée a le secret.

Pour évaluer un barème, il faut une étude d’usages. Une telle enquête, réalisée par des organismes comme l’Institut CSA ou Médiamétrie, permet de mesurer les pratiques de copie d’un panel où tant de personnes affirment avoir réalisé dans les derniers mois tant de duplications de musiques ou de films. La Commission en détermine ensuite les sommes à payer, évidemment au fruit de savants calculs.

Seulement, lorsqu’une entité publique doit organiser un tel chantier, elle doit impérativement passer par un marché public, lequel est enfermé dans des contraintes calendaires. Or, ces contraintes ne permettront pas à la commission de rendre sa copie à la bonne date, conduisant à un trou de perception au bénéfice de Molotov.

Des barèmes basés sur les données d'un seul acteur

Ce n'est pas tout. Molotov n’a pas de concurrent aujourd’hui. Comme l’a signalé Michel Combot, le représentant de la Fédération française des télécoms, « le fait que le barème soit basé sur les données d’un seul acteur a des conséquences en matière de concurrence ». La crainte ? « Que le barème définitif constitue une barrière pour les autres opérateurs intéressés par les nPVR » (Network Personnal Video Recorder).

Autre problème qui fut annoncé dès le début des travaux visant la plateforme : il n’est pas du tout certain que Molotov accepte de voir toutes ses données jetées en pâture au sein de la Commission copie privée, dont les comptes-rendus sont ensuite publiés.

Le sacrifice des sociétés de perception

Une solution, proposée par l’un des représentants de Copie France, se dessine : la mise en place d’un groupe de travail – dont les travaux ne font pas l’objet de publicité – où sera élaboré un cahier des charges et un questionnaire. Copie France a suggéré à la Commission que l’étude d’usage soit confiée à ce groupe, ou pourquoi pas à Copie France « en raison des délais extrêmement longs constatés jusqu’à présent pour le lancement des autres études de la Commission sous la gestion des services du ministère ».

L’intérêt pour ces sociétés est que le Conseil d’État a déjà adoubé une telle manœuvre. Lors d’un des nombreux contentieux qui ont émaillé les décisions de la Commission copie privée, la haute juridiction avait considéré en 2014 « qu’il ne résulte d’aucune disposition ni d’aucun principe que ces enquêtes [les études d’usage, NDLR] doivent nécessairement être financées par les pouvoirs publics ». Il ajoutait que le fait que la Commission copie privée donne les clefs à Copie France, aidé d’un euro symbolique versé par les associations de consommateurs, « n’est pas, en elle-même, de nature à porter atteinte à l’impartialité de la commission ».

Le juge administratif tenait alors compte que l’étude d’usage avait été « réalisée sur la base d’un questionnaire adopté à l’unanimité par la commission et que ses résultats ont été directement présentés à cette dernière ».

En 2011, la même juridiction avait néanmoins exigé que « la commission doit également apprécier, sur la base des capacités techniques des matériels et de leurs évolutions, le type d'usage qui en est fait par les différents utilisateurs, en recourant à des enquêtes et sondages qu'il lui appartient d'actualiser régulièrement en se fondant sur une étude objective des techniques et des comportements. » 

Il ressort de ces lignes que les sociétés de gestion collective sont prêtes à se sacrifier pour gérer les études qui permettront d’établir les niveaux de redevance qu’elles percevront des mains de Molotov. Une jolie boucle qui avait déjà été critiquée par le rapport Maugüé en juillet 2015, remis au ministère de la Culture : 

rapport maugue

Un panel représentatif ?

Pour que l’étude soit solide, la difficulté s’agissant du nPVR de Molotov sera de maintenant trouver un panel suffisant d’utilisateurs. Même si Molotov revendique 5 millions de clients en France, l’exercice risque d’être périlleux.

Certes, l'entreprise fait chaque mois ses déclarations auprès de Copie France, mais celles-ci ne sont pas assez fines et ne renseignent que sur les capacités attachées à chaque abonnement.

Reste la solution d'un sondage. Mais s'il est simple de trouver une personne disposant d’une clef USB ou d’une tablette, il sera plus difficile de tomber sur un abonné Molotov qui réalise en outre des copies.  Autant dire que les conditions de l’enquête gérée par les sociétés de gestion collective seront à examiner de près, c’est en tout cas ce que nous ferons.

Rappelons enfin que nous avons transmis à la Hadopi l’épineuse question des restrictions imposées par M6 et TF1 sur les enregistrements réalisés via Molotov. La Hadopi nous dira dans quelques semaines si ces verrous sont bien compatibles avec l’exercice de la copie privée.

16

Écrit par Marc Rees

Tiens, en parlant de ça :

Sommaire de l'article

Introduction

Un psychodrame calendaire

Des barèmes basés sur les données d'un seul acteur

Le sacrifice des sociétés de perception

Un panel représentatif ?

Le brief de ce matin n'est pas encore là

Partez acheter vos croissants
Et faites chauffer votre bouilloire,
Le brief arrive dans un instant,
Tout frais du matin, gardez espoir.

Commentaires (16)


Les ayants droits prêts à taxer les utilisateurs de Molotov



#traduisonsles








psn00ps a écrit :



Les ayants droits prêts à taxer les utilisateurs de Molotov



#traduisonsles





C’est plus précis que ça: les ayants droits souhaitent fixer eux-même la contribution exigée de molotov, dont ils vont justifier le montant sur la base d’une étude réalisée par eux-mêmes, c’est à dire en étant juge et partie, mais comme ils n’ont de compte à rendre à personne, ça n’a aucune conséquence ^^



Marc toi qui sait tout, plutôt que de faire des recours hadopi contre cette commission, tu ne peux pas nous dire comment on peut se faire embaucher au Conseil d’Administration ? <img data-src=" />



Un parfait exemple de la main mise (capture) en cours d’une institution publique par un groupe de pression pour son intérêt exclusif.



C’est beau quand la pratique valide la théorie. Surtout quand au pays des grenouilles, on fait tout au grand jour et sans remord.


J’aime, une société privée juge et partie qui décide du montant qu’elle va taxer selon ses propres règles.



Quelqu’un aurait l’idée de filer les clés d’une prison à ses occupants pour faciliter leur réinsertion ?








Arcy a écrit :



J’aime, une société privée juge et partie qui décide du montant qu’elle va taxer selon ses propres règles.



Quelqu’un aurait l’idée de filer les clés d’une prison à ses occupants pour faciliter leur réinsertion ?





Euh… tu as vu le projet de Loi de réforme de la Justice qui rend obligatoire le passage devant des sociétés privées (notamment en ligne) chargées (on ne sait à quel titre, ni qualité) de tenter une mesure de règlement du litige avant de pouvoir saisir un Juge? Tu as vu le passage sur le fait que c’est la CAF qui va fixer les montants des pensions alimentaires et plus le Juge, alors qu’elle est directement intéressée devenant là encore juge et partie ?



Si c’est pas le cas je t’invite à le faire pour découvrir que l’absence de garantie d’impartialité et le recours au privé va devenir la norme ^^



Pour un peu de lecture (les 4 fiches à droite):

http://www.syndicat-magistrature.org/Premier-decryptage-des-projets-de.html

(Le lien est celui du syndicat de la magistrature, mais c’est la position commune à l’USM (pas franchement à gauche et à l’inverse majoritaire chez les magistrats), aux personnels de Justice (dont l’UNSA là encore pas d’une rebellitude très marquée outre les classiques CFDT, FO etc…) et aux avocats).









crocodudule a écrit :



Euh… tu as vu le projet de Loi de réforme de la Justice qui rend obligatoire le passage devant des sociétés privées (notamment en ligne) chargées (on ne sait à quel titre, ni qualité) de tenter une mesure de règlement du litige avant de pouvoir saisir un Juge? Tu as vu le passage sur le fait que c’est la CAF qui va fixer les montants des pensions alimentaires et plus le Juge, alors qu’elle est directement intéressée devenant là encore juge et partie ?



Si c’est pas le cas je t’invite à le faire pour découvrir que l’absence de garantie d’impartialité et le recours au privé va devenir la norme ^^



Pour un peu de lecture (les 4 fiches à droite):

http://www.syndicat-magistrature.org/Premier-decryptage-des-projets-de.html

(Le lien est celui du syndicat de la magistrature, mais c’est la position commune à l’USM (pas franchement à gauche et à l’inverse majoritaire chez les magistrats), aux personnels de Justice (dont l’UNSA là encore pas d’une rebellitude très marquée outre les classiques CFDT, FO etc…) et aux avocats).



Le plus rigolo, c’est que tout le personnel Justice a recu un mail de l’autre momie inutile comme quoi sa loi merdique est ultra-importante et indispensable à mettre en oeuvre… <img data-src=" />









Patch a écrit :



Le plus rigolo, c’est que tout le personnel Justice a recu un mail de l’autre momie inutile comme quoi sa loi merdique est ultra-importante et indispensable à mettre en oeuvre… <img data-src=" />





Non mais “l’autre” comme tu dis elle est fabuleuse, elle a été partout dans les hautes strates des administrations, à l’éducation nationale, en passant au conseil constitutionnel pour finir ministre de la Justice, le tout en changeant de couleur politique en fonction du vent! Tu as le sentiment qu’elle est incolore et sans saveur juste là pour exécuter sans se poser la moindre question peu importe ce que “chef” du moment demande.



Elle s’est encore distinguée en sortant la semaine dernière, c’était sur France info si je ne me trompe pas, qu’il ne lui appartenait pas “de défendre les libertés” contre la Loi ayant intégré l’état d’urgence dans le droit commun au moment des débats, car, je cite, il ne s’agissait que de mesures de police administrative et non judiciaire, n’intéressant donc que le ministère de l’intérieur!



Et là, t’as mal à ta Constitution et ton Code de procédure pénale…

&nbsp; :eek:









crocodudule a écrit :



Si c’est pas le cas je t’invite à le faire pour découvrir que l’absence de garantie d’impartialité et le recours au privé va devenir la norme ^^







C’est dommage, d’autant qu’on a une excellente qualité de service public pour un cout vraiment modique.



#sarcasme




Budget pour la justice :

France : 72€ par habitants

Allemagne 146€ par habitants



Sachant qu’on a un taux de détention qui est en plus 25% supérieur à celui de l’Allemagne et bien il ne reste plus grand chose pour rendre la justice.



Donc oui, tu as raisons, la justice est rendu pour pas cher en France et vu qu’elle est quand même plutôt bien rendu (globalement, mais dans tout les pays tu as des masses de contre-exemples) on peut dire qu’elle propose un bon rapport qualité prix.


Allons y pour la comparaison…



impôt en France : 45 % du PIB

impôt en Allemagne : 37 % du PIB



Comment peuvent-ils avoir un meilleur budget pour la justice avec moins d’impôt ?

Peut-être une meilleure gestion ? une meilleure économie ? qui sait…


Peut-être que Certainement que l’autorité judiciaire est 1- une priorité budgétaire en Allemagne dans les dépenses fédérales et dans les dépenses des États-Régions (les “Länder”), 2- plus indépendante des pouvoirs exécutif/législatif en Allemagne par rapport à la France, 3- plus décentralisée, administrativement parlant, en Allemagne qu’en France.


Quelle importance vu qu’il s’agit de proportions/pourcentages ?


Pour revenir au sujet d’origine, je suis inscrit sur Molotov quasi depuis le début et je n’ais jamais utilisé les bookmarks. Du coup je me demande si je suis éligible pour participer à leur étude d’impact… <img data-src=" />



<img data-src=" />








127.0.0.1 a écrit :



Allons y pour la comparaison…



impôt en France : 45 % du PIB

impôt en Allemagne : 37 % du PIB



Comment peuvent-ils avoir un meilleur budget pour la justice avec moins d’impôt ?

Peut-être une meilleure gestion ? une meilleure économie ? qui sait…





Parce que tu raisonnes au niveau global. Le budget de la justice en Allemagne représente 0,32% du PIB et la France seulement 0,19% alors que le PIB allemand est sensiblement plus fort que le PIB français. Par contre pour un PIB par habitant équivalent (4% plus faible en France) la dépense est très contrastée (du simple au double).



Après, il faut aussi comparer ce qui est comparable la France est un pays avec une économie assez collectivisée alors que l’Allemagne à fait le choix d’une libéralisation plus importante. Mais globalement on se rend de plus en plus compte que c’est une foutaise. Il n’y a qu’à voir le mouvement de fond aux USA qui tend à une recollectivisation de la santé&nbsp;&nbsp;car celle-ci leur coûte très cher (17% du PIB) pour un service rendu tout juste au niveau de celle des européens (entre 10 et 12% du PIB) enfin bon c’est un autre débat.









127.0.0.1 a écrit :



C’est dommage, d’autant qu’on a une excellente qualité de service public pour un cout vraiment modique.



#sarcasme





Pour ce qui est de la Justice (lente et submergée qui a vraiment besoin d’une réforme, mais surtout pas celle annoncée), voila ce que son budget représente (nous plaçant derrière l’Azerbaïdjan par habitant):

http://www.lemonde.fr/les-decodeurs (petit tableau en bas).



Si tu estimes que les services publics coutent chers, c’est pas franchement à cause de la Justice…