La frénésie des investissements dans l'IA générative est-elle ancrée dans une réalité économique ? Selon plusieurs analystes interrogés par le magazine Institutional Investor, le domaine attire plus probablement les fraudeurs... et commence à former une bulle.
Depuis la sortie de ChatGPT, en novembre 2022, la frénésie autour des modèles d’IA générative n’a fait qu’augmenter. L’une des manières dont cette mode se matérialise est le montant des sommes déversées dans le domaine : en août, CB Insight calculait que plus de 14 milliards de dollars avaient déjà été investis depuis le début 2023, soit plus de cinq fois plus la totalité des sommes en 2022.
« Un marché idéal pour les fraudeurs » ?
Certains des cabinets d’investissement les plus célèbres de l’industrie de la tech se sont tournés vers l’intelligence artificielle, parmi lesquels Andreessen Horowitz (dont le cofondateur a signé en juin un article de blog simplement titré « pourquoi l’IA va sauver le monde »), Coatue Management, Tiger Global ou encore Sequoia Capital.
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Avec un tel afflux de capital, les escroqueries ont aussi explosé. L’IA générative « semble être un marché idéal pour les fraudeurs qui voudraient "théranoser" leur produit », déclare ainsi le fondateur d’Orso Partners Nate Koppikar au magazine Institutional Investor, en référence à l’entreprise Theranos, dont la fondatrice Elizabeth Holmes a été condamnée à 11 ans de prison pour fraude.
Cycle de la hype et attraction des escrocs
Dans une longue enquête, le média économique prend notamment l’exemple d’Applied Digital, une société qui, en quelques années, a changé de nom trois fois. Avant de s’introduire en bourse de New-York avec des actions à moins de 5 dollars, en 2022, l’entreprise s’appelait Applied Science.
Rapidement, elle s’est transformée en service d’hébergement à destination des mineurs de bitcoins. Pour être directement identifiable, elle a pris le nom d’Applied Blockchain. Sauf que la bulle des crypto actifs et du web3 a explosé : le cours de bourse d’Applied Blockchain n’a pas décollé.
C’est alors qu’un nouveau cycle de hype a décollé : celui de l’IA générative. Selon l’entreprise de conseil Gartner, le domaine était tout en haut du cycle qui fait et défait l’attrait pour les technologies émergentes au mois d’août 2023.
Applied Blockchain est devenue Applied Digital, et son cours de bourse a bondi de 450 %. Et quand son PDG a déclaré que l’entreprise avait commandé 26 000 GPU H100 à Nvidia, alors que celles-ci coûtent 40 000 dollars l’unité, plusieurs analystes se sont déclarés franchement sceptiques – l’un de ceux interviewés par le magazine Institutional Investor y détecte une opération de promotion du cours de l’entreprise.
Interdépendance entre géants numériques et start-ups d'IA
« Les géants de la tech mènent la danse », estime Nate Koppikar : des acteurs comme NVIDIA, qui réalise d’immenses bénéfices grâce à la brusque passion pour l’IA. Les grands noms de l’industrie « financent les start-ups et leur font acheter des produits. Ils recyclent les financements. »
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Selon son analyse, toutes les entreprises fraudeuses existantes tentent d’acheter des GPU H100 « pour dire qu’ils les possèdent », de la même manière que, l’an dernier, « elles mettaient des Bitcoin à leur bilan ». Pourtant, note le média économique, qu’on parle d’ « hallucinations », de « dérives » ou de « dégradations », les modèles d’IA n’ont pas terminé de dévoiler les dysfonctionnements qui poussent à la prudence avant de les déployer à large échelle.
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Des critiques commencent par ailleurs à se demander dans quelle mesure l’époque actuelle dévoile réellement une technologie de rupture plutôt qu’une simple évolution de l’existant. L’apprentissage machine et les modèles de régression, après tout, existaient avant que ChatGPT ne devienne public.
« Avec toutes ces actions surévaluées, il est difficile de dire quand la bulle éclatera, déclare de son côté Sahm Adrangi, analyste de Kerrisdale Capital. Mais un jour, elle éclatera. »