La Commission européenne s'est dite « inquiète » des restrictions que la Chine va imposer sur les exportations de deux matériaux critiques indispensables aux semi-conducteurs et dont elle est le principal producteur, rapporte l'AFP. Elles s’installent dans un climat tendu où États-Unis et Europe mettent aussi en place des « licences » sur les exportations.
La liste des matériaux critiques de la Commission européenne comporte 30 éléments dans sa version de 2020. Ils représentent « un risque particulièrement élevé de pénurie d’approvisionnement dans les dix prochaines années et [...] jouent un rôle particulièrement important dans la chaîne de valeur ». Cette liste est mise à jour tous les trois ans, la prochaine version devant arriver cette année.
Coup de semonce : la Chine impose des licences sur l’exportation
La Chine a annoncé que les exportations de gallium et de germanium nécessiteront, à compter du 1ᵉʳ août, une licence pour être autorisées. Devront également être précisés le destinataire final des exportations et l'objet de leur utilisation.
Le pays justifie ces mesures par la nécessité de « préserver la sécurité et les intérêts nationaux », à l'image de ce qu'exigent les pays occidentaux en matière d'exportation de biens « à double usage ». On peut aussi y voir un début de réponse aux restrictions américaines et européennes.
Pourquoi le gallium et le germanium ?
La Chine représente, selon des chiffres de la Commission, 80 % de la production mondiale de gallium, que l'on trouve (avec l’indium) dans les circuits intégrés, les LED et les cellules des panneaux photovoltaïques. Même pourcentage pour la production planétaire de germanium, indispensable pour les fibres optiques et l'infrarouge, les cellules solaires pour satellites et les catalyseurs de polymérisation.
Le choix du gallium et du germanium n’est pas anodin. Non seulement la Chine est en position dominante, mais les États-Unis ne font pas partie des principaux producteurs mondiaux. Pour le gallium, l’Allemagne représente 8 % et l’Ukraine 5 % ; pour le germanium, la Finlande est à 10 % et la Russie à 5 %.
La Chine n’est pas seulement en position dominante sur ces deux matériaux, elle représente aussi 86 % des sources d’approvisionnement des terres rares lourdes et légères, 89 % du magnésium (4 % pour les États-Unis) et 80 % du bismuth (7 % pour le Laos, 4 % pour le Mexique). Ils ne sont pour le moment pas concernés par ce type de licence.
Si chacun tire la couverture à soi, la situation mondiale va rapidement se compliquer puisque l’Afrique du Sud représente 93 % du ruthénium, 80 % du rhodium et 71 % du platine, le Congo 59 % du tantale et 64 % du cobalt, les États-Unis 88 % du béryllium, le Brésil 92 % du niobium, le Chili 44 % du lithium, etc.
La Commission européenne s’inquiète
Une porte-parole de l'institution a indiqué, ce mardi 4 juillet, préparer « une analyse détaillée de leur impact potentiel sur les chaînes d'approvisionnement mondiales et l'industrie européenne », précise l'AFP.
« Nous appelons la Chine à adopter une approche avec laquelle les restrictions et les contrôles sont basés sur des considérations de sécurité claires dans le respect des règles de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) », a ajouté la porte-parole. Selon ce dernier, l'UE pourrait envisager « des actions dans le cadre de l'OMC ».
Ces restrictions interviennent dans un contexte de tensions internationales grandissantes autour des semi-conducteurs, sur fond de rivalité technologique avec les États-Unis.
Guerre froide entre les États-Unis et la Chine… avec l’Europe au milieu ?
Après avoir mis sur liste noire des entreprises chinoises pour les priver d'accès aux technologies américaines, les États-Unis ont en effet renforcé récemment les restrictions à l'exportation des semi-conducteurs vers la Chine. Ils font également pression sur leurs alliés pour qu’ils fassent de même.
Cela semble porter ses fruits. Quelques semaines après la visite de Joe Biden aux Pays-Bas, une annonce importante est tombée : « Le gouvernement a abouti à la conclusion qu’il était nécessaire pour la sécurité internationale et nationale d’étendre le contrôle actuel des exportations de matériels pour la production de semi-conducteurs spécifiques ».
L’Europe n’a guère de matériaux rares à mettre dans la balance, mais elle a des idées : « les limitations d’exportations devraient affecter le groupe néerlandais ASML, plus grand fabricant européen de machines qui permettent de produire des semi-conducteurs ». La Chine avait de son côté vertement critiqué la décision néerlandaise d'imposer de nouvelles restrictions sur ses exportations de semi-conducteurs, résultat, selon elle, du « harcèlement et de l'hégémonie » de l'Occident.
La nouvelle réglementation des Pays-Bas a été publiée et entrera en vigueur le 1ᵉʳ septembre 2023. ASML confirme qu’elle concerne les « technologies de fabrication avancées des puces, y compris les systèmes de lithographie par dépôt et par immersion les plus avancés ». ASML doit désormais demander des licences d’exportation pour les systèmes concernés.
Par contre, la société estime que ces mesures n’auront pas « une incidence importante sur ses perspectives financières publiées pour 2023 ou sur ses scénarios à long terme tels que communiqués lors de notre Journée des investisseurs en novembre 2022 ».
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Critical Raw Materials Act en Europe
En mars, la Commission européenne a elle aussi proposé une nouvelle législation pour s’attaquer au problème des matières premières critiques. Son but est de « garantir un approvisionnement sûr, diversifié, abordable et durable ». L’enjeu est d’autant plus important que, selon des estimations de l’Europe, la demande pour le lithium va être multipliée par 89 d’ici 2050, celle des terres rares par 6 ou 7, celle du gallium par 17, etc.
La Commission européenne veut aussi doubler sa part de production mondiale de puces. Elle souhaite passer de 10 à 20 % d'ici à 2030, dans un marché qui va lui aussi doubler ; ce qui implique de multiplier par quatre le volume de production. Dans le cadre de son Chip Act, l’Europe mobilise 43 milliards d'euros d'investissements publics et privés, rehaussés à 45 milliards d’euros depuis.