La Commission européenne a de fortes ambitions dans le domaine des semi-conducteurs. Elle souhaite changer « radicalement » de braquet et doubler sa part de marché d’ici 2030. Elle présentera dans quelques semaines une nouvelle législation, articulée autour de cinq points.
À l’occasion du Forum économique mondial (ou Forum de Davos en référence à la ville Suisse éponyme), la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a prononcé un discours sur « l'état du monde ». Il y était évidemment question de la pandémie de Covid-19 et de la crise économique qui en découle.
L’union était en effet au cœur de la première partie de son allocution, en expliquant que « les 27 États membres ont fait confiance à l'Europe. Ils ont soutenu la Commission européenne dans la décision de lever des capitaux sur le marché et de les investir. Principalement dans nos deux domaines prioritaires : le pacte vert pour l'Europe et la numérisation. C'est NextGenerationEU, notre programme de relance, fort d'une enveloppe de 800 milliards d'euros ».
Elle en profite pour annoncer de gros chiffres et lancer un appel aux entreprises : « L'Europe devra, à elle seule, investir 360 milliards d'euros supplémentaires pour transformer son système énergétique – tous les ans. C'est un chiffre vertigineux, mais il est entièrement à notre portée. Le secteur privé doit cependant nous rejoindre ».
Il était aussi question de l’écologie avec la nécessaire mise en place d’un « cadre juridique détaillé pour garantir la réduction nos émissions d'au moins 55 % d'ici à 2030 ». Cet objectif avait pour rappel été annoncé en septembre dernier, lors du discours sur l’État de l’Union.
La « guerre » des semi-conducteurs
La présidente en profite pour revenir sur un sujet de plus en plus présent au sein des discussions de la Commission : « le secteur critique des semi-conducteurs », un domaine dans lequel les besoins européens « vont doubler dans les dix années à venir ».
« La demande pour ces produits atteint des sommets. Aujourd'hui, les micropuces sont présentes non seulement dans nos ordinateurs et nos téléphones mobiles, mais aussi dans nos voitures, dans le système de chauffage de nos maisons, dans nos hôpitaux, dans ces respirateurs qui sauvent des vies », explique-t-elle.
Or, on le sait déjà depuis longtemps : le numérique et les semi-conducteurs sont très étroitement liés ; le premier ne peut pas fonctionner sans les seconds. Pour s’assurer d’un certain niveau d’autonomie et de souveraineté numérique, il est donc impératif de l’être aussi sur les semi-conducteurs ; nous l’expliquons d’ailleurs dans notre magazine #3.
Objectif : « passer à une vitesse radicalement supérieure »
Pour Ursula von der Leyen, il ne faut pas trainer : l’Europe « doit passer à une vitesse radicalement supérieure en matière de développement, de production et d'utilisation de cette technologie clé ». Thierry Breton (commissaire européen chargé du marché intérieur, de la politique industrielle, du tourisme, du numérique, de l'audiovisuel, de la défense et de l'espace) expliquait récemment que l’Europe devait même préparer son « avance sur les semi-conducteurs du futur, c'est-à-dire en dessous de 5 voire 2 nanomètres ».
La présidente de la Commission dresse un portrait enjoué de la présence de l’Union dans certains domaines : « la conception de composants pour l'électronique de puissance », « les puces destinées à l'industrie automobile ou manufacturière », la recherche ainsi que le matériel et l'équipement nécessaires au fonctionnement des grandes usines de fabrication. Un sentiment partagé par Thierry Breton : « Nous avons la meilleure recherche – le LETI à Grenoble, IMEC à Louvain ou Fraunhofer à Dresden – et les meilleures technologies au monde ».
L’Europe veut doubler sa part de marché d’ici 2030
Mais, car il y a toujours un mais dans ce genre de cas, la part de marché de l'Europe sur le marché mondial des semi-conducteurs ne décolle pas : elle est de « 10 % à peine ». Les approvisionnements proviennent essentiellement d'une poignée de producteurs situés en dehors de l'Europe (Asie orientale et États-Unis).
Pour la présidente, c’est « une dépendance et une incertitude que nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre ». Elle souhaite que, d'ici à 2030, « 20 % de la production mondiale de micropuces [soient] localisés en Europe ». En prenant en compte que la production mondiale devrait doubler d’ici là, « cela implique de quadrupler la production européenne d'aujourd'hui. Nous n'avons pas de temps à perdre ».
Pour cela, un « Chips Act » devrait rapidement arriver : « L'Europe supportera les investissements, notamment de rupture, et plus largement l'ensemble du secteur en assouplissant les règles de concurrence relatives aux aides d'États. En contrepartie de ce soutien public, nous instaurerons un mécanisme de préférence européenne en cas de crise », a déjà expliqué Thierry Breton.
Les cinq piliers de la future législation européenne
Ursula von der Leyen passe la seconde et proposera début février une « législation européenne sur les semi-conducteurs ». Cinq points sont mis en avant :
- Renforcer la capacité d'innovation et de recherche, de niveau mondial.
- Assurer la primauté de l'Europe dans la conception et la fabrication.
- Continuer à adapter les règles en matière d'aides d'État, avec des conditions strictes. « Cela permettra d'offrir un soutien public à des installations de production européenne inédites qui bénéficieront à toute l'Europe ».
- Étendre la gamme d'instruments pour anticiper les pénuries et les crises, mais aussi être en mesure d'y réagir.
- Soutenir les petites entreprises innovantes (compétences, partenaires et financements).
La présidente marche sur des œufs et ne souhaite froisser personne : « Je veux être claire. L'Europe s'emploiera toujours à maintenir les marchés mondiaux ouverts et connectés. C'est dans l'intérêt du monde et dans le nôtre. Mais nous devons nous attaquer aux goulets d'étranglement qui ralentissent notre propre croissance […] nous encouragerons la diversification entre partenaires partageant les mêmes valeurs ».
Bonne nouvelle chez ASML : l’incendie n’a pas d’« impact significatif »
L’Europe dispose d’ASML, une société qui se présente comme le « leader de l’innovation dans l’industrie des semi-conducteurs ». « Nous fournissons aux fabricants de puces tout ce dont ils ont besoin – matériel, logiciels et services – pour produire en masse des motifs sur silicium grâce à la lithographie », explique l’entreprise.
Elle a récemment dû faire face à un incendie dans une usine berlinoise. Une enquête était en cours sur les conséquences, qui semblent finalement limitées : « Sur la base de nos connaissances actuelles, nous pensons pouvoir gérer les conséquences de cet incendie sans impact significatif sur la production pour 2022 », affirme la société dans son bilan financier publié cette semaine.