Les muons pour se géolocaliser sous terre, dans l’eau et les bâtiments

Géolocalisables partout
Tech 7 min
Les muons pour se géolocaliser sous terre, dans l’eau et les bâtiments
Crédits : Tanaka et al.

Nous utilisons quotidiennement les systèmes GPS et Galileo pour connaître notre position et naviguer sur les routes du monde. Mais nous ne sommes jamais à l'abri d'une perte de signal. Le chercheur Hiroyuki Tanaka, spécialiste des muons, essaye depuis quelques années de créer un système basé sur la détection de ces particules élémentaires afin de géolocaliser un objet sous terre, dans les profondeurs sous-marines ou dans un bâtiment.

Le principe de géolocalisation utilisé par les constellations de satellites permet d'obtenir la position d'un objet de façon très précise grâce à la trilatération. En janvier, l'ESA annonçait que le système Galileo, qui fonctionne de la même manière que le GPS américain, venait d'atteindre une précision s'élevant à 20 cm horizontalement et 40 cm verticalement.

Et les astrophysiciens planifient un système équivalent autour de la Lune pour aider à la localisation sur notre satellite naturel. Mais, avant cela, ils doivent déjà se mettre d'accord sur l'heure qu'il est sur le sol lunaire.

Reste qu'il est parfois impossible d'utiliser le GPS pour se repérer, parce qu'on est sous terre, sous l'eau ou dans un bâtiment dont les murs et plafonds ne laissent pas passer les ondes électromagnétiques envoyés par les satellites. Des solutions alternatives se développent avec Bluetooth, RFID et Wi-Fi par exemple.

Le géophysicien Hiroyuki Tanaka, chercheur à l'Université de Tokyo, pourrait avoir une solution pour la géolocalisation dans ces « zones blanches » des systèmes de géolocalisation par satellites. Après avoir publié seul en 2020, dans la revue Scientific Reports, un article expliquant la théorie, il vient de publier, avec des collègues du International Virtual Muography Institute cette fois-ci, la preuve de concept de son système de géolocalisation muotronique sans fil dans la revue iScience

La production de muons par les rayons cosmiques comme point de repère

Hiroyuki Tanaka n'est pas, au départ, un chercheur spécialiste de la géolocalisation. Son domaine est l'étude des muons, cette particule élémentaire de charge électrique négative, instable, découverte en 1936 par le prix Nobel Carl David Anderson et son doctorant de l'époque, Seth Neddermeyer.

Les muons sont produits en permanence sur terre par les rayons cosmiques galactiques (RCG) lorsque ceux-ci pénètrent dans l'atmosphère terrestre. « Issus d'événements très énergétiques tels que les supernovæ, les RCG parcourent généralement de grandes distances dans l'espace, car ils sont déviés par les champs magnétiques locaux avant d'entrer en collision avec la matière ; s'ils entrent en collision avec des noyaux dans l'atmosphère terrestre, des mésons sont générés. Ceux-ci se désintègrent ensuite en muons. », est-il expliqué dans l'article scientifique en question.

Les muons de faible énergie vont rapidement se désintégrer, mais ceux qui ont emmagasiné beaucoup d'énergie ont une durée de vie beaucoup plus longue :

« Les muons à haute énergie peuvent atteindre des vitesses proches de celle de la lumière et adopter des qualités relativistes. Cela allonge leur durée de vie et leur permet de survivre suffisamment longtemps pour arriver à la surface de la Terre, et pénétrer sous terre et aussi sous l'eau.

En outre, le muon est soumis à des processus de perte d'énergie radiative (Brems-strahlung, production directe de paires et interaction photonucléaire) moins importants que les électrons, ce qui contribue à sa capacité de pénétration ».

Utilisation d'abord en volcanologie et archéologie

C'est cette caractéristique de pénétration de la matière qui intéresse Hiroyuki Tanaka. Depuis 2007, ce chercheur l'a utilisé pour créer une technique d'imagerie permettant de construire l'image d'un volume important. Cette technique, appelée muographie, est notamment utilisée en volcanologie ou en archéologie.

Généralement, les chercheurs exploitent des chambres remplies de gaz (de l'argon) pour détecter les muons. En traversant le gaz, les muons entrent en collision avec ces particules. Ce choc émet de la lumière qui peut être ensuite captée pour calculer l'énergie et la trajectoire de la particule. C'est le même principe que les radios aux rayons X, sauf que les muons sont produits en permanence sans intervention humaine.

Tanaka a, par exemple, participé à l'étude du volcan du Mont Asama comme preuve de concept (publiée en 2007) avant que d'autres chercheurs s'en saisissent pour étudier d'autres volcans à travers le monde. Une équipe de l'Institut de Physique du Globe de Paris a, de cette manière, étudié le volcan de La Soufrière en Guadeloupe, en 2016.

Convaincus par les résultats en volcanologie, des chercheurs japonais (université de Nagoya), français (notamment du CEA) et égyptiens (notamment de l'université du Caire) ont travaillé ensemble pour analyser la Pyramide de Khoufou ; elle est plus connue sous le nom de Pyramide de Khéops, Khoufou étant le nom égyptien. Ils ont, entre autres, trouvé un couloir caché. Leur découverte a été publiée en 2016 dans la revue scientifique Nature. Cette année, d'autres chercheurs ont découvert une chambre cachée dans la nécropole de Neapolis à Naples.

L'idée d'une utilisation pour la géolocalisation

Mais, voyant que les muons traversent les sols, l'eau, les murs et les plafonds, Hiroyuki Tanaka a eu l'idée de s'en servir pour construire un système de géolocalisation qui permet de palier les défauts des systèmes type GPS et Galileo

Le principe de son « système de navigation sans fil muonique » (en anglais, wireless muometric navigation system, MuWNS) est finalement le même que celui des satellites : avoir quatre références au-dessus du point à géolocaliser pour ensuite pouvoir connaître sa position dans l'espace et le temps. Les chercheurs ont intégré à leur article un schéma, reproduit ci-dessous, permettant de comprendre le fonctionnement dans le cas de la détection d'un objet au sous-sol d'un immeuble de cinq étages (BF étant le sous-sol, 6F étant le cinquième étage).

wireless muometric navigation system MuWNS

 

Ici, les muons traversent les quatre détecteurs de référence situés au cinquième étage et, ensuite, après avoir passé tous les étages de l'immeuble, le détecteur récepteur.

Par contre, les chercheurs expliquent que, « contrairement aux signaux GPS, les muons cosmiques étant dispersés dans l'espace et dans le temps, ils arrivent sporadiquement aux détecteurs de référence et au détecteur récepteur, c'est-à-dire qu'ils n'arrivent pas en même temps à tous les détecteurs ». Le système MuWNS doit prendre en compte ces décalages de temps.

Ce schéma prenant pour exemple un immeuble de cinq étages avec un sous-sol n'est pas un hasard. Parce que si Tanaka avait déjà posé le principe théorique, puis mis en pratique avec un système filaire, c'est dans un immeuble de ce type qu'il a testé, avec ses collègues, son premier système de navigation muonique sans fil.

Comme sur le schéma, ils ont posé quatre détecteurs au sol du cinquième étage et ils ont équipé une personne d'un détecteur récepteur. Elle s'est ensuite baladée dans les couloirs du sous-sol. En comparant l'itinéraire qu'elle a parcouru, ils ont pu confirmer le fonctionnement du MuWNS, avec une précision de 2 à 25 mètres et une portée de 100 mètres.

Dans le communiqué de presse annonçant la publication de cet article, Hiroyuki Tanaka explique que « c'est aussi bien, sinon mieux, que le GPS de positionnement par point unique [ndlr : single-point GPS positioning, SPP, moins précis que le Precise Point Positioning, PPP] en surface dans les zones urbaines. Mais on est encore loin d'un niveau pratique. Les gens ont besoin d'une précision d'un mètre, et la clé de cette précision est la synchronisation temporelle ».

Pour l'instant, le système utilise des horloges à quartz de haute précision pour synchroniser les différents détecteurs. Des horloges atomiques pourraient améliorer le système, mais elles sont encore chères. L’idée n’est probablement pas de remplacer les satellites, mais plutôt d’apporter une solution à des besoins précis où les autres systèmes ne peuvent pas être utilisés.

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