Internet Archive perd son procès contre Hachette et compagnie

Internet Archive perd son procès contre Hachette et compagnie

It's not fair

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Martin Clavey

Publié dans

Société numérique

28/03/2023 6 minutes
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Internet Archive perd son procès contre Hachette et compagnie

Après une semaine de procès, la justice américaine a tranché en faveur des quatre éditeurs, dont Hachette est le chef de file dans cette affaire, contre Internet Archive qui a numérisé des millions de livres, notamment 3,6 millions copyrightés, pour les rendre disponibles à l'emprunt.

L'affaire opposait les éditeurs Hachette, HarperCollins, Wiley et Penguin face à l'organisation à but non lucratif Internet Archive dont l'objectif est de fournir un « accès universel à toutes les connaissances ». Les quatre éditeurs ont attaqué devant la justice américaine l'association à but non lucratif en 2020 [PDF].

Internet Archive a, pendant des années, numérisé plusieurs millions de livres dans le but de prêter les ebooks ainsi obtenus aux internautes. Dans le tas, une partie est dans le domaine public et leur numérisation à des fins de prêts bibliothécaires ne pose aucun problème. Mais une autre partie ne l'est pas.

Internet Archive, site aussi très connu pour sa Wayback Machine qui a pour but d'archiver le web, se voit aussi comme une bibliothèque en ligne. Dans ce sens, elle considère utiliser le Fair Use, principe du droit américain qui limite la portée du copyright et permet une utilisation « loyale » d'une œuvre protégée, en prêtant gratuitement des livres numériques.

Mais, dans un document de 47 pages [PDF], le juge du district sud de New York, John G Koeltl, a rendu son verdict le vendredi 24 mars et explique, entre autres, pourquoi il n'estime pas que ce prêt de livres numérisés puisse être considéré comme entrant dans le principe du Fair Use.

Deux conceptions du prêt de livres numérique

Le document met en opposition deux pratiques de prêts d'ebooks par les différentes bibliothèques. Classiquement, la plupart des bibliothèques signent des accords avec les éditeurs non pas pour acheter des copies d'ebooks mais une licence de prêts attribuée via un acteur tiers, appelé « agrégateur ». OverDrive est cité comme exemple.

La licence appelée « Une copie, un utilisateur » oblige la bibliothèque (ou l'agrégateur) à compter le nombre de lecteurs qui empruntent le livre numérique et à bloquer le nombre d'emprunts simultanés au nombre de copies qu'elle a achetées. Ce genre de licence chez Hachette et Penguin est limité à une durée d'un ou deux ans alors que HarperCollins limite à 26 prêts. Chez Wiley, ça va dépendre du contrat, divers modèles y sont possibles. Pour s'assurer que ces contraintes sont respectées, les éditeurs utilisent des DRMs. Ceux-ci leur permettent de fixer une durée d'emprunt du fichier.

Internet Archive voit le prêt du livre numérique différemment. Sans passer ni par les éditeurs ni les agrégateurs, la bibliothèque en ligne achète des livres et les scanne pour ensuite les mettre à disposition de ses utilisateurs.

Le « prêt numérique contrôlé »

Elle applique en fait ce que certains bibliothécaires américains ont appelé le « prêt numérique contrôlé » (en anglais Controlled Digital Lending, CDL).  Le CDL, selon le site créé pour l'occasion par le NYU Law’s Engelberg Center on Innovation Law & Policy, « englobe les pratiques et les technologies qui permettent aux bibliothèques de prêter des livres imprimés à des utilisateurs numériques selon le principe du "prêt comme un livre imprimé" ». Le prêt bibliothécaire de livres papier se base sur le principe du Fair Use. Et ces libraires considèrent qu'ils peuvent prolonger cette pratique à une copie numérisée du livre à conditions (voir leur «white paper ») que les œuvres originales soient acquises légalement, qu'elles ne fassent pas l'objet d'une licence, que le nombre total de prêts corresponde au nombre d'exemplaires physiques que la bibliothèque possède et donc que des DRM contrôlent ce nombre. Plusieurs dizaines de bibliothèques américaines soutiennent cette position.

Internet Archive a, dans ce cadre, scanné plusieurs millions de livres du domaine public, mais aussi des livres qui sont encore sous Copyright. Le jugement parle de 3,6 millions de livres dans ce cas, dont 33 000 titres des quatre éditeurs plaignants.

Mais en 2020, pendant les confinements et alors que les bibliothèques étaient fermées, le site a donné à ses utilisateurs un accès illimité aux livres qu'il avait numérisés, appelant cette opération la « National Emergency Library » ou « Bibliothèque Nationale d'Urgence ». C'est cette action qui a été considérée comme des « violations massives et délibérées des droits d'auteur » par les éditeurs et qui est à l'origine de leur plainte. Mais leur attaque a aussi visé le CDL en lui-même en considérant que ce « paradigme juridique fabriqué » a été conçu par Internet Archive « pour écarter la jurisprudence bien établie en matière de droits d'auteur ».

Le Fair use non applicable dans ce cas

Au final, le juge a estimé qu'Internet Archive avait violé la loi sur le Copyright. Dans le document, il explique que « le fair use ne permet pas la reproduction et la distribution massives d'œuvres complètes protégées par le droit d'auteur d'une manière qui ne transforme pas ces œuvres et qui crée des substituts directement concurrents des originaux ». Il considère que cette analyse s'applique de façon encore plus forte à la Bibliothèque Nationale d'Urgence mise en place par Internet Archive pendant le confinement. John G Koeltl attend maintenant les propositions des deux parties sous 14 jours pour se prononcer sur la procédure qui suivra.

Dans un billet de blog intitulé « le combat continue », l'organisation estime que « cette décision touche les bibliothèques américaines qui s'appuient sur le prêt numérique contrôlé permettant à leurs usagers d'accéder à des livres en ligne ».

Brewster Kahle, cofondateur d'Internet Archive, y estime que « pour que la démocratie puisse s'épanouir à l'échelle mondiale, les bibliothèques doivent être en mesure de maintenir leur rôle historique dans la société, à savoir posséder, préserver et prêter des livres ». « Cette décision est un coup dur pour les bibliothèques, les lecteurs et les auteurs et nous prévoyons de faire appel », ajoute-t-il.

Écrit par Martin Clavey

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Sommaire de l'article

Introduction

Deux conceptions du prêt de livres numérique

Le « prêt numérique contrôlé »

Le Fair use non applicable dans ce cas

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Commentaires (21)


Un point que je n’ai pas vus (ou loupé). Ils limitent à une copie/prêt à la fois ? ou c’est “illimité” en nombre parallèle de prêt ?



Dans le premier cas, c’est juste abusé et c’est la World Company qui à gagné et on est va droits dans le mur, dans le second… c’est triste mais ils ont joué, ils ont perdus.


Leur système est (était ?) bien 1 livre physique = 1 prêt numérique, sauf pendant le confinement où ils ont levé la limite, comme une mesure exceptionnel d’accès aux livres alors que les bibliothèques physique étaient fermées, ce qui a provoqué la colère des éditeurs et leur plainte.



Ce système serait peut-être resté sous le radar encore quelque temps sans cette mise en lumière par la Covid, mais bon je doute que cela aurait perduré.



Quelque soit le domaine, le système des éditeurs et du copyright soulève de nombreuses question surtout avec le numérique.



Personnellement, je trouve ridicule de payer un ebook DRMisé aussi chère que le livre physique alors qu’en pratique c’est impossible de le prêter ou de le revendre, sans parler du coût du papier de l’impression et transport/stockage.



Deux conceptions du prêt de livres numérique




 




La licence appelée « Une copie, un utilisateur » oblige la bibliothèque (ou l’agrégateur) à compter le nombre de lecteurs qui empruntent le livre numérique et à bloquer le nombre d’emprunts simultanés au nombre de copies qu’elle a achetées.



Le CDL, « englobe les pratiques et les technologies qui permettent aux bibliothèques de prêter des livres imprimés à des utilisateurs numériques selon le principe du “prêt comme un livre imprimé” ».



C’est quand même honteux que ces 4 éditeurs attaquent IA principalement du fait de la Bibliothèque Nationale d’Urgence. Pendant le confinement, tout le monde avait envie de changer de monde. Et là, on revient durement dans le « vrai » monde, avec ces éditeurs rapaces.


il y avait eu la même chose avec canal plus et la chronologie des médias en France, hein https://www.nextinpact.com/lebrief/48248/france-televisions-et-tf1-attaquent-canal-plus-pour-sa-gratuite-durant-confinement



Internet Archive voit le prêt du livre numérique différemment. Sans passer ni par les éditeurs ni les agrégateurs, la bibliothèque en ligne achète des livres et les scanne pour ensuite les mettre à disposition de ses utilisateurs.




Normal quoi. C’est comme les sites pirates: ils achètent les Blu-ray, les rippent en mp4 pour ensuite les mettre à disposition de leurs utilisateurs.



Je ne vois vraiment pas où est le problème.



/s


C’est parce qu’Adobe fait payer cher le DRM aux éditeurs (qui supportent aussi le coût de la numérisation et du stockage numérique).


“supporter le coût de la numérisation”
la numérisation fait forcément déjà partie du processus d’impression, c’est pas des humains qui lisent un manuscrit pour mettre les bons caractères sur les matrices, donc la version numérique n’ajoute que le drm et le stockage /accessibilité en ligne


Nan, c’est même pas les éditeurs souvent ils le font payer (abonnement) ou demandent à la bibliothèque d’utiliser tel ou tel DRM. Actualittré avait fait quelques papiers (pendant la pandemie) là-dessus entre le bras de fer des bibliothèques US et les éditeurs.



FrancoisA a dit:


C’est parce qu’Adobe fait payer cher le DRM aux éditeurs (qui supportent aussi le coût de la numérisation et du stockage numérique).




C’est leur choix.



Ils ont aussi la possibilité de ne pas utiliser les DRM d’adobe, ou ne pas les utiliser du tout.



De toute façon ça change rien on trouve tout de même les livres que l’on veux sur internet en .epub sans DRM. Comme les films et les séries d’ailleurs.



Perso j’achète uniquement les bouquins sans DRM et je pirate sans vergogne ceux qui sont protégé.
Si ils ont du fric pour payer adobe ils ont pas besoin du mien.


Le soucis avec ça, c’est que ça pénalise les auteurs, alors qu’ils n’ont pas forcément voix au chapitre pour ce qui est de la méthode de DRM à appliquer.



Je ne sais pas comment est fait un ebook, mais de mon expérience c’est assez variable, je ne retrouve pas souvent la qualité de mise en page d’un livre physique en ebook.


Patatt

Le soucis avec ça, c’est que ça pénalise les auteurs, alors qu’ils n’ont pas forcément voix au chapitre pour ce qui est de la méthode de DRM à appliquer.



Je ne sais pas comment est fait un ebook, mais de mon expérience c’est assez variable, je ne retrouve pas souvent la qualité de mise en page d’un livre physique en ebook.


je dis pas le contraire :)
je dis simplement que l’opération “numérisation”, est déjà faite pour la version papier
qu’il y ait des traitements de mise en page spécifique en plus pour la version papier est une autre histoire (qui justifie encore moins le prix de la version numérique pour le coup)


Je vois de moins en moins de nuances entre un site pirate et Internet Archive. Cette condamnation n’est pas surprenante.



Neliger a dit:


Je vois de moins en moins de nuances entre un site pirate et Internet Archive. Cette condamnation n’est pas surprenante.




wahoooo, sans rentrer dans le débat sur cette histoire de pret de livres (légal ou non), IA héberge des tonnes de choses tout a fait légalement. J’y avait archivé beaucoup de musique (netlabel) et ils proposent beaucoup de documents/audio/video Domaine Public.
Quand a la Wayback Machine, tout a fait possible de la bloquer via un robot.txt si tu ne veux pas en etre.



Donc dire que IA est un site pirate c’est du grand n’importe quoi


MegaUpload permettait aussi d’héberger des choses légalement.



Concernant la Wayback Machine, cela fait plusieurs années qu’elle ne tient plus compte du robots.txt et de la volonté des propriétaires de site. Il y a même eu une communication officiele de leur part à ce sujet, c’est assumé.


Neliger

MegaUpload permettait aussi d’héberger des choses légalement.



Concernant la Wayback Machine, cela fait plusieurs années qu’elle ne tient plus compte du robots.txt et de la volonté des propriétaires de site. Il y a même eu une communication officiele de leur part à ce sujet, c’est assumé.


MegaUpload oui et ? je ne vois pas vraiment le rapport
quand tu partage dans IA y’a un processus bien précis, (avec attribution des licences selon tes choix) tu remplis un formulaire..etc etc
Alors évidemment ça n’empêche pas un “pirate” malintentionné d’y poster un fichier sous copyright



Bref de la a dire que c’est un site pirate…


Si je comprends bien une solution qui pourrait satisfaire les deux parties serait qu’internet archive paye (beaucoup) les éditeurs pour avoir le droit de prêter ?


En France (je sais nous ne sommes pas les mieux loties également), c’est déja le cas.



Source : https://guide.syndicat-librairie.fr/marches-publics/le-droit-de-pret-en-bibliotheque#:~:text=un%20paiement%20forfaitaire%20annuel%20par,biblioth%C3%A8que%20de%20l%27enseignement%20sup%C3%A9rieur).



Dans le cas qui nous interesse je citerais le dictons : Le mieux est l”enemie du bien…
En voulant mieux faire, l’asso. semble avoir casé le principe sur lequel se basaient pas mal de bibliotheque au USA…



Patatt a dit:


Le soucis avec ça, c’est que ça pénalise les auteurs, alors qu’ils n’ont pas forcément voix au chapitre pour ce qui est de la méthode de DRM à appliquer.




Non mais ils choisissent leur éditeur.
Si l’éditeur leur dit : “par contre, nous c’est DRM ou tu t’en vas” ben c’est un choix. Pour moi un DRM c’est cracher à la gueule des lecteurs.




Je ne sais pas comment est fait un ebook, mais de mon expérience c’est assez variable, je ne retrouve pas souvent la qualité de mise en page d’un livre physique en ebook.




Effectivement j’ai eu aussi des expériences variable. Lorsque je ne paie pas je ne me sens pas légitime à râler sur ce sujet :-)



OB a dit:


Non mais ils choisissent leur éditeur.




Ca dépend des auteurs. Certains se voient refusés par tous, sauf un…


Sympa ! Hachette, chez nous, récupère des vieux bouquins (droits d’auteur échu) à la BNF, les photocopies (Édition à la demande) et les revend… à plus de 25€ avec tarif identique en pdf image. La justice favoriserait la double taxation ? Oui nombre des ces bouquins sont déjà numérisés et dispo sur galica.bnf donc boulot déjà payé avec l’argent du contribuable !
C’est aussi «Par ici les pigeons,» mettons sur la paille les bouquinistes (qui pour certains pratiquent des prix délirants certes).