La sextorsion vise désormais majoritairement les jeunes garçons

Brouteurs 2.0
Droit 9 min
La sextorsion vise désormais majoritairement les jeunes garçons
Crédits : TeFaisPasSextorquer.ca

Si la sextorsion (mot-valise combinant « sexe » et « extorsion ») émanait surtout de pervers ciblant majoritairement des jeunes femmes et adolescentes, des gangs de « brouteurs » africains cibleraient désormais majoritairement les jeunes garçons. Plusieurs d'entre eux se seraient suicidés. 

Le FBI observe que des gangs de sextorsion africains deviennent « impitoyables », révèle Forbes, allant jusqu'à réclamer une rançon aux familles d'adolescents qui se sont suicidés après avoir été menacés de rendre publics leurs sextos : 

« Les gangs ont exigé que les parents ou les frères et sœurs paient pour s'assurer que les photos sexualisées de leurs proches décédés ne soient pas diffusées publiquement. »

L'alerte figure dans un mandat de perquisition concernant une enquête au sujet d'une campagne de sextorsion organisée via des messages Facebook. Le FBI évoque « une explosion des cas de sextorsion au cours des 18 derniers mois, dont un nombre croissant aboutit au suicide de la victime », précise Forbes.

Le FBI a également constaté « un taux élevé de suicide chez les victimes masculines mineures de sextorsions à motivation financière » et que les victimes « se sont suicidées dans un laps de temps relativement court, parfois dans les heures qui ont suivi la sextorsion ».

« Il n'y a aucune empathie ou compassion du côté des criminels », explique à Forbes Jim Cole, agent spécial superviseur des enquêtes de sécurité intérieure.

Historiquement, ce type de chantage aux sextos émanait de pédocriminels ou de pervers motivés par le sexe. Mais désormais, précise Jim Cole, la plupart des cas émanent de gangs sévissant depuis le Nigéria, mais également de Côte d'Ivoire, et motivés par l'argent.

Le National Center for Missing & Exploited Children (NCMEC), qui centralise les informations relatives aux crimes ciblant les mineurs, a par ailleurs constaté des activités similaires émanant d'organisations criminelles aux Philippines et au Bangladesh.

18 000 sextorsions en 2021 aux USA, 13,6 millions de dollars

Ces opérations se seraient professionnalisées, avec des fermes téléphoniques fonctionnant 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, et gérant plusieurs arnaques sur une centaine d'appareils simultanément afin de maximiser les profits.

Après s'être fait connaître avec leurs « arnaques nigérianes » (ou fraude 419, du numéro de l'article du code nigérian sanctionnant ce type de fraude) et escroqueries sentimentales, ces « brouteurs » s'attaqueraient de plus en plus aux entreprises, ainsi qu'aux mineurs et adultes à l'affut de sextorsions.

Jim Cole explique que dans un cas récent, une victime adulte a ainsi accepté de payer des centaines de milliers de dollars pour empêcher la divulgation de ses sextos : 

« Les escrocs effectuent également des recherches approfondies sur leurs cibles, en dressant la cartographie de leurs vies en ligne, de leurs intérêts et de leurs contacts, afin d'augmenter les chances de réussite de l'escroquerie. Ils obtiennent notamment des informations sur leurs familles, qui pourraient être ciblées si la victime initiale décédait. »

L'Internet Crime Complaint Center du FBI avait estimé le coût des 18 000 sextorsions répertoriées en 2021 à 13,6 millions de dollars, contre 1 milliard de dollars pour les escroqueries à la romance, relevait Forbes.

« Je n'ai pas peur de tuer... J'ai peur de me faire prendre »

Ces gangs iraient jusqu'à recruter des mules aux États-Unis qui, attirées par l'appât du gain facile, acceptent de recevoir les rançons, en échange d'une commission, sans forcément être conscients d'être complices d'une sextorsion.

Le FBI précise qu'elles sont utiles parce qu' « elles permettent de brouiller les pistes, car les fonds reçus des victimes sont blanchis sur les comptes des mules avant d'être transmis aux rançonneurs ».

Le mandat du FBI décrit ainsi en détail un cas dans lequel Facebook a signalé à l'agence des messages envoyés entre deux utilisateurs soupçonnés d'être impliqués dans des affaires de sextorsion ayant abouti à des suicides. L'adresse IP de l'un des utilisateurs renvoyait à Lagos, au Nigeria, tandis que l'autre, émanant de la mule présumée, semblait être basée dans le Kentucky.

Selon le mandat de perquisition, à un moment de leur conversation sur Facebook, la mule présumée a discuté de la mort d'un adolescent de 14 ans. « Le stress de perdre 800 dollars était trop important », écrivait-il au sujet du garçon : « Je n'ai même pas eu de réaction... je m'en fiche ».

L'enquête a également révélé que ce type de sextorsions s'inscrit désormais dans un écosystème criminel non seulement plus large, mais également plus violent.

Selon le compte rendu des forces de l'ordre, les deux hommes avaient en effet discuté du meurtre éventuel d'une troisième personne, une femme qui aurait été impliquée dans l'escroquerie et dont l'Américain pensait qu'elle avait contribué à le piéger. Les policiers relèvent que le suspect avait écrit : « Je n'ai pas peur de tuer quelqu'un... J'ai peur de me faire prendre ».

+ 400 % au cours des quatre dernières années

En août, Forbes avait déjà raconté comment un sextortionniste, qui se faisait passer pour une Californienne sur Instagram, avait piégé 30 jeunes hommes. L'un d'entre eux, âgé de 18 ans seulement, s'était suicidé après lui avoir envoyé 1 500 dollars en cartes-cadeaux Apple.

Le FBI évoquait alors une « énorme augmentation » du nombre de sextorsions. Son bureau d'Atlanta avait en effet enregistré 50 affaires en 8 mois, soit plus du double que le total annuel de 2021. 

« C'est une pandémie », expliquait à Forbes John Pizzuro, enquêteur depuis 25 ans sur les crimes liés à la maltraitance des enfants au sein de la police d'État du New Jersey. « Nous n'arrivons même pas à suivre le nombre de cas... L'augmentation dans le New Jersey a été de 400 % au cours des quatre dernières années, et cela vaut pour l'ensemble des États-Unis et du monde entier ».

Cette explosion ciblerait surtout les adolescents et jeunes garçons. Le Centre canadien de protection de l'enfance estimait qu'en juillet, 92 % des affaires concernaient des garçons ou de jeunes hommes. Le FBI indique que dans la majorité des cas sur lesquels il a enquêté, les victimes étaient des garçons âgés de 14 à 17 ans.

Le NCMEC, lui, avait dénombré 12 070 affaires de sextorsion et d'autres formes d'embrigadement en ligne en 2018, mais 44 155 en 2021. La page consacrée à la sextorsion sur le site du NCMEC précise qu'en 2022, 79 % des agresseurs étaient motivés par l'argent. 

Le rapport 2021 de la plateforme de signalement Point de Contact relève de son côté que « +50 % » des 97 demandes d'appels à son service téléphonique d'assistance concernaient des situations de sextorsion ou de diffusion non consensuelle de contenus intimes.

Le phénomène ne date pas d'hier, cela dit. La National Crime Agency (NCA) britannique avait en effet répertorié 1 034 cas de sextorsions en 2017, soit trois fois plus qu'en 2015. 

À l'époque, les gangs, qui sévissaient déjà depuis l'étranger, ciblaient plutôt les jeunes hommes de 17 à 25 ans sur des sites de rencontre, les encourageant à se masturber devant leur webcam. Mais la NCA avait déjà répertorié « au moins cinq suicides ».

« Une attaque organisée contre les ados »

Cyberaide.ca, la centrale canadienne de signalement des cas d’exploitation et d’abus sexuels d’enfants sur Internet, qualifie la sextorsion d' « attaque organisée contre les ados », et évoque de son côté une augmentation de 150 % de signalements de décembre 2021 à mai 2022. 

Alors qu'elle reçoit « en moyenne » 168 signalements de sextorsion par mois, elle en a reçu « plus de 600 » en juillet et août.

sextorsion

87 % des signalements « touchent des garçons » qui, « généralement, se font sextorquer pour de l'argent » et sont « souvent associés à des réseaux criminels internationaux », les filles l'étant « pour d'autres images ».

Or, souligne Forbes, les données du NCMEC montrent que 78 % des affaires de sextorsion entre 2013 et 2016 concernaient des enfants de sexe féminin, contre 15 % pour les garçons.

Les rançonneurs commencent généralement par draguer les ados sur Snapchat ou Instagram (qui représentent 77 % des signalements), avant de leur envoyer des photos de femmes nues, afin d'obtenir en échange, soit des sextos des ados, soit qu'ils se masturbent devant la webcam pour les enregistrer à leur insu. 

D'autres proposent directement de l'argent aux ados en échanges de photos ou vidéos à caractère sexuel, en mode « sugar daddy », ou leur font des offres de mannequinat. Une fois le sexto obtenu, le brouteur demandera presque aussitôt de l’argent à la victime : 

« Si l’ado refuse d’obtempérer, le sextorqueur menacera de publier ses images en ligne ou de les transmettre à ses amis ou à sa famille. Souvent, le brouteur montrera à sa victime une des captures d’écran de sa liste de contacts ou d’autres renseignements identificatoires (nom de son école, adresse de domicile) pour la terroriser afin qu’elle accepte de lui envoyer de l’argent. »

Si la victime obéit, le brouteur lui réclamera encore plus d'argent, jusqu'à 7 500 dollars canadiens (5 500 euros). Pour parvenir à ses fins, il pourra aussi le menacer d'envoyer les sextos aux élèves de sa classe ou de son école, à des journaux ou chaînes de télévision.

Certains créent plusieurs comptes pour faire croire à la victime que plusieurs personnes s'en prennent à lui, ou encore de faux articles de presse pour faire passer l'ado pour un pédocriminel. D'autres menacent de s'en prendre à ses frères ou sœurs, ses amis, ou encore de « ruiner sa vie ».

Le Centre canadien de protection de l’enfance a lancé un site web dédié, TeFaisPasSextorquer.ca, pour sensibiliser les ados à ce sujet, et tenter de dédramatiser le sujet. Il propose ainsi d'envoyer à ceux qui réclament des sextos des mèmes de rat-taupe nu, parce qu'il « ressemble pas mal à la photo que tu allais envoyer, sauf qu'il a deux petits yeux et quatre dents acérées aux extrémités ».

sextorsionsextorsion

Le site propose également des ressources, mèmes et vidéos pour les ados, ainsi qu'un kit pédagogique pour que les adultes et enseignants puissent en discuter avec les adolescents.

Vous n'avez pas encore de notification

Page d'accueil
Options d'affichage
Abonné
Actualités
Abonné
Des thèmes sont disponibles :
Thème de baseThème de baseThème sombreThème sombreThème yinyang clairThème yinyang clairThème yinyang sombreThème yinyang sombreThème orange mécanique clairThème orange mécanique clairThème orange mécanique sombreThème orange mécanique sombreThème rose clairThème rose clairThème rose sombreThème rose sombre

Vous n'êtes pas encore INpactien ?

Inscrivez-vous !