La Quadrature du Net porte plainte contre la « technopolice » du ministère de l'Intérieur

« Défavorablement connus »
Droit 7 min
La Quadrature du Net porte plainte contre la « technopolice » du ministère de l'Intérieur

La Quadrature du Net vient de déposer trois plaintes collectives auprès de la CNIL, visant à interdire les caméras de « vidéoprotection », ainsi que le « fichage de masse » et biométrique via la reconnaissance faciale exploitable par la police et la gendarmerie.

15 248 personnes ont co-signé la plainte collective contre la Technopolice de la Quadrature du Net (LQDN). Elles demandent à la CNIL l'interdiction de la « vidéoprotection », de la reconnaissance faciale et du « fichage de masse ».

Les trois plaintes, que LQDN a depuis mis en ligne, ont été symboliquement déposées ce samedi 24 juin en clôture de son festival « Technopolice », qui se tenait à Marseille, précise Mediapart.

La première cible ce que la novlangue sécuritaire a renommé « vidéoprotection », pour la distinguer de la vidéosurveillance déployée par les entreprises privées et les particuliers. Elle entend faire « retirer l’ensemble de caméras déployées en France » sur la voie publique par les mairies, services de police et de gendarmerie.

LQDN rappelle que le règlement général sur la protection des données (RGPD) impose que toute collecte de données personnelles doit « remplir une mission d'intérêt public », mais aussi et surtout que l'efficacité de cette « vidéoprotection » n'a jamais été démontrée.

Elle a même été démentie par plusieurs études universitaires, ainsi que dans des rapports de la Cour des comptes, ou encore par une étude commandée par la gendarmerie

« Or, en droit, il est interdit d’utiliser des caméras de surveillance sans démontrer leur utilité. En conséquence, l’ensemble des caméras autorisées par l’État en France semblent donc être illégales. »

LQDN rappelle au surplus que le déploiement de ces caméras, validé par les préfets et largement subventionné par le Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD), qui y consacre un tiers de son budget, fait du ministère de l'Intérieur le « co-responsable du traitement des données avec les communes ».

20 % des Français fichés comme « défavorablement connus »

La seconde plainte vise le traitement d’antécédents judiciaires (TAJ), fusion des anciens fichiers STIC de la police et JUDEX de la gendarmerie, où étaient fichées en 2018 18,9 millions de personnes « mises en cause » (MEC), soit près de 20 % de la population française.

Or, la fusion de ces deux fichiers « à charge » avait été effectuée alors même qu'ils étaient truffés d'erreurs, sans  être nettoyés, et sans non plus prendre en compte les classements sans suite ou jugements innocentant ceux qui y restent donc fichés comme présumés « défavorablement connus » des services de police ou de gendarmerie.

De plus, le TAJ est aussi utilisé dans le cadre des enquêtes administratives dites « de moralité » diligentées sur toute personne désirant acquérir la nationalité française (ou la légion d’honneur), ou préalablement à l’embauche de plus d’un million de personnes (agents de sécurité privés ou entraîneurs de chevaux de course ou de lévriers, policiers, contrôleurs RATP ou arbitres de pelote basque…)

Des dysfonctionnements dénoncés de longue date, et qui justifient la plainte, explique à Mediapart Noémie Levain, juriste et membre de La Quadrature :

« Nous attaquons tout d’abord sa disproportion. Ce fichier comporte plus de 20 millions de fiches, avec aucun contrôle et énormément d’erreurs. Beaucoup de fiches n’ont aucun lien avec une infraction. Et il y a ces dernières années de plus en plus de témoignages de policiers prenant en photos des cartes d’identité de manifestants. »

+64 % de reconnaissance faciale policière en 2021

Cette seconde plainte vise aussi la reconnaissance faciale, et plus particulièrement le fichier GASPARD (pour « Gestion Automatisée des Signalements et des Photos Anthropométriques Répertoriées et Distribuables »), qui comporte quatre photographies des personnes fichées comme « mises en cause » dans le TAJ, ainsi que les photographies de leurs éventuelles cicatrices et tatouages.

Légalisé en 2012 après avoir été utilisé, illégalement, pendant plusieurs années, un rapport sénatorial de mai 2022 a révélé qu'il était interrogé plus de 1 500 fois par jour, explique Noémie Levain chez nos confrères : 

« Le TAJ, c’est une porte d’entrée pour la reconnaissance faciale qui a été ouverte par une simple petite phrase du décret de 2012. Nous disons que cette petite phrase ne suffit absolument pas. Il faut un grand débat. D’autant plus qu’avec l’explosion de la quantité d’images issues de la vidéosurveillance, et celles des réseaux sociaux, nous avons changé d’échelle. Cette omniprésence des caméras dans notre société fait craindre une vidéosurveillance de masse. »

Comme nous la soulignions, au détour de notre enquête sur l'interconnexion des fichiers policiers français et européens, un rapport parlementaire sur la reconnaissance faciale relevait qu'il avait enregistré un « accroissement notable depuis quelques années », totalisant 615 871 recoupements en 2021, contre 375 747 en 2019 (soit + 64 %).

Tous fichés, pour supprimer quelques postes de fonctionnaires

La troisième plainte vise le fichier des titres électroniques sécurisés (TES). Initialement créé pour centraliser les données personnelles et identifiants biométriques (photos et empreintes digitales) des demandeurs de passeport biométrique et RFiD, à la demande des États-Unis, suite aux attentats du 11 septembre 2001, il a depuis été élargi, en 2016, aux demandeurs de cartes nationales d'identité (CNI).

Et ce, de sorte de contribuer à la suppression d'une petite partie des 1 300 équivalents temps plein travaillé (ETPT) prévue par le Plan « préfectures nouvelle génération » (PPNG), lui-même censé moderniser la fonction publique préfectorale.

Une atteinte disproportionnée à la vie privée, alors même que cette inscription massive des données personnelles et biométriques de la quasi-totalité de la population (la CNI n'est pas obligatoire) avait pourtant préalablement été censurée par le Conseil constitutionnel, dans une première mouture, qui représentait à ses yeux une atteinte « disproportionnée » au droit à la vie privée tel que le prévoit la loi informatique et libertés.

Ce gigantesque « fichier des gens honnêtes » (sic) « avait même été critiqué par la Cnil et l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (Anssi) », rappelle Mediapart.

« Créer un fichier avec les photos de tous les Français ne peut avoir d’autre but que la reconnaissance faciale », accuse Noémie Levain, qui déplore également l'affaiblissement des pouvoirs de la CNIL :

« Depuis 2004, la Cnil a perdu une grande partie de ses pouvoirs. Elle peut rendre des avis, des rapports parfois très critiques… Mais le gouvernement peut toujours passer outre. L’idée de cette plainte est qu’elle aille voir les pratiques. Un des problèmes est l’opacité des pratiques de la police. La Cnil dispose des pouvoirs d’investigation pour aller voir ce qu’il se passe. Après ses conclusions, il s’agira d’une question de volonté politique de sa part. On verra si elle instaurera un rapport de force. »

« La Quadrature tape souvent sur eux, mais nous pensons qu’il y a à la Cnil des gens qui font les choses bien », poursuit la juriste : 

« Là, nous lui apportons les éléments pour aller voir ce qu’il se passe. Notre but est de faire du bruit, de peser sur le débat public. D’autant plus que les Jeux olympiques vont être l’occasion de l’expérimentation de tout un tas de technologies. On a déjà vu la Cnil rendre de bonnes décisions. Avec cette plainte, on lui donne la clef pour le faire. »

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