L'intérêt de « Brouillages d'ondes », le recueil d'enquêtes de l'Agence nationale des fréquences (ANFR) publié à l'occasion de ses 25 ans (voire la première partie de notre florilège), tient aussi à la recension de ce qui a permis à ses agents de résoudre les énigmes auxquelles ils sont confrontés.
Intervenant sur une station météo brouillée par ce qui semblait être un réseau RLAN, les enquêteurs de l'ANFR expliquent s'être retrouvés à « chercher un Wi-Fi dans une botte de Wi-Fis » : « Comment trouver un réseau Wi-Fi inconnu, dans un cône de 10° d’angle (entre 260 et 270°), qui pourrait, s’il est puissant, se trouver jusqu’à 100 km de là ? Autant chercher une aiguille dans une botte de foin !... »
Après avoir passé trois jours à traquer tous les réseaux émettant dans la bande des 5 GHz Wi-Fi, sur une cinquantaine de kilomètres, les agents de l'ANFR en dénombrèrent 1 901 en activité. Suite à une comparaison avec des données extraites du radar brouillé, 16 émettaient des fréquences « réellement compatibles avec le brouillage constaté ».
Affinant davantage leur analyse, ils parvinrent finalement à n'en sélectionner que trois, pour enfin parvenir à identifier le coupable : un émetteur Wi-Fi défectueux placé sur un château d'eau, dans un hameau à 61 kilomètres à vol d'oiseau du radar météo.
La Tour Montparnasse infernale
Fin 2018, une station de Météo France, située à Trappes, dans les Yvelines, détectait de la pluie à Paris, alors qu’aucune goutte ne tombait ce jour-là. De plus, la perturbation était intermittente, « ce qui rend sa détection et sa localisation particulièrement complexes... »
Les agents de l'ANFR durent attendre une fenêtre météo clémente pour parfaire leurs analyses. Et ce n'est que fin février 2019 qu'ils parvinrent à découvrir une signature spectrale caractéristique d'un émetteur RLAN (réseau local sans fil) ou Wi-Fi, et identifier l'adresse MAC (Media Access Control – commande d’accès au support) de l'équipement :
« Mais où est-il exactement ? L’enquête pour rechercher le Wi-Fi coupable démarre. Les recherches, à bord du véhicule laboratoire et à pied avec une antenne directive et un récepteur, s’annoncent complexes et longues, la densité de l’utilisation du Wi-Fi en région parisienne étant très importante. »
Et ce, d'autant plus que la cause du brouillage pourrait être située n’importe où dans la direction de l’azimut concerné, et jusqu’à plus de 100 km du radar. Après avoir identifié les différents obstacles et visité, en vain, plusieurs zones potentielles d'émission, ils finirent par monter au dernier étage de la Tour Montparnasse, le 18 avril, et y retrouvèrent l'adresse MAC incriminée.
Le coupable n'était autre qu'un point d’accès Wi-Fi, utilisé pour le transfert de données d’une borne à selfie positionnée sur la terrasse panoramique, mais qui bavait sur la bande de fréquences des 5 GHz utilisé par les radars météorologiques :
« En se déplaçant dans les plans vertical et horizontal, le radar scrute l’espace environnant, avec une portée d’environ 100 km. Les ondes émises ont la propriété de se refléter sur les gouttes de pluie, les grêlons et la neige. Leurs échos, qui correspondent à une infime partie de l’onde reçue, sont reçus par le radar qui les analyse grâce à sa grande sensibilité. Le radar en déduit la distance qui le sépare des gouttes et localise ainsi les zones de précipitations. »
Dans une autre enquête, l'ANFR évoque une seconde station météo qui avait, elle, été brouillée par les antennes RLAN de liaisons sans fil de type Wi-Fi d'un système de « vidéo-protection » municipal mal configuré.
L'ANFR rappelle à ce titre que si la bande de fréquences des 5 GHz est d’usage dit « libre » (il n’y a pas de licence), son utilisation doit suivre des règles strictes. Il ne faut pas émettre au-dessus d'une certaine puissance et obligatoirement « utiliser un système dynamique de sélection de fréquences ou DFS pour éviter de brouiller des radars ».
Le bip des pompiers
L'ANFR évoque un autre cas de brouillage affectant, cette fois, la fréquence utilisée pour la mobilisation des pompiers, et plus particulièrement leurs « bip », petits boîtiers qu'ils portent à la ceinture, qui vibrent et sonnent lorsqu'une intervention est déclenchée.
D'ordinaire, « le bip affiche la nature de l’alerte, le véhicule à rejoindre et le lieu où se rendre ». D'où l'importance, en urgence, de parvenir à identifier ce qui brouille le signal. Un « tir effectué à partir d’un des radiogoniomètres » (qui permettent, par triangulation, de déterminer le lieu des émissions radio) du réseau de l'ANFR permettait d'identifier l'azimut de la source de l’interférence.
Mais une chose est de savoir dans quelle direction il faut aller, une autre est de savoir jusqu'où chercher. Le coupable s'avéra être un... émetteur défectueux d'une autre caserne de pompiers, situées à 90 kilomètres à vol d'oiseau, mais à 160 kilomètres en voiture.
L'ANFR précise disposer d'un réseau de stations fixes (radiogoniomètres et antennes directives), interrogeables à distance et placées sur des points hauts stratégiques, disposant d'une bonne visibilité des zones d’utilisation intense des réseaux sans fil, ainsi que des aéroports, ports, centres urbains et frontières.
Elles lui permettent de procéder à des « tirs gonio » l'aidant à surveiller les bandes de fréquences, évaluer « avec une grande précision » la direction d’une émission, et orienter ses véhicules laboratoires, eux-mêmes surmontés de leurs propres antennes goniométriques.
L’Agence rappelle que les bandes VHF (30 MHz à 300 MHz) et UHF (300 MHz à 3 GHz) sont utilisées pour des applications professionnelles et de sécurité (réseaux de police et de gendarmerie, de santé, d’incendie et de secours, applications aéronautiques, maritimes, ferroviaires et pour la Défense). Mais aussi par des applications grand public dans le domaine de la radiodiffusion et du service mobile (radio FM, radio DAB, télévision, réseaux locaux, réseaux professionnels et terminaux sans fil) :
« Il faut donc les contrôler avec une attention particulière, d’autant que certains sont tentés d’y introduire des équipements radioélectriques fonctionnant sur des fréquences sans autorisation et susceptibles de générer des brouillages, ou d’utiliser des bandes peu utilisées en temps ordinaire, mais qui sont stratégiques en temps de crise ou lors de circonstances exceptionnelles. »
Trop de connexion tue la connexion
Le brouillage de la bande 900 MHz d'un opérateur mobile peut être réalisé pour d'autres raisons. Une antenne-relais érigée sur le terrain d'un garage automobile a ainsi conduit les agents de l'ANFR à s'intéresser à une voiture électrique qui y était en réparation : « Après tout, pour émettre des fréquences, il faut de l’électricité : se peut-il que toutes ces batteries rassemblées sur quatre roues soient la source de ce brouillage ? »
En l'espèce, le problème ne venait pas des batteries, mais de « sa nature, tout aussi moderne, de voiture... connectée ! », reposant sur un TCU (Telematics Control Unit ou unité de commande télématique), discret boîtier de communication équipant certains véhicules électriques. Via une carte SIM il communique avec le réseau du concessionnaire pour envoyer des informations (utilisation de la batterie, kilométrage, préchauffage…).
Or, il produisait aussi un rayonnement permanent intempestif dans la bande de fréquences en question, perturbant l’antenne-relais, et donc tous les téléphones environnants. « Pour mettre fin à ce brouillage, l’idée paraît a priori simple : désactiver la carte SIM du TCU. Mais il faut savoir que les voitures connectées s’accommodent mal de la perte de leur connexion ! En effet, le véhicule se serait trouvé définitivement immobilisé : pas de TCU, pas d’issue ! »
Pour résoudre le problème, il a d'abord fallu trouver un garagiste habilité à même de pouvoir démonter intégralement le tableau de bord du véhicule pour atteindre le TCU et parvenir, après plusieurs heures de main-d'œuvre, à le réinitialiser, mettant fin aux perturbations.
L'ANFR précise qu'elle suit de près ce type d'interférences, documenté depuis dans deux autres cas de brouillage par des voitures électriques connectées. Et ce, alors que de plus en plus disposent d'un TCU intégrant une carte SIM pour transmettre des données au réseau du constructeur et donner accès à des bouquets de services, ou encore d'un système eCall d’appel d’urgence permettant d’alerter les secours en cas d’accident.
Taquine, elle n'en a pas moins nommé cette enquête « Trop de connexion tue la connexion » :
« Cette voiture était finalement doublement suivie à la trace : par son concessionnaire, via le TCU, et par l’opérateur mobile, qui voyait des alertes vagabonder sur la console de supervision de son réseau ! Ce brouillage très pernicieux se déplaçait ainsi au gré des trajets de la voiture. Avec toutefois quelques points fixes : le garage où elle a été finalement identifiée, le lieu de travail du propriétaire du véhicule, et le soir et la nuit, les alentours de son domicile. Logique ! »
La troisième et dernière partie de notre florilège reviendra sur des cas a priori improbables de brouillages d'ondes et de parasitismes électromagnétiques.