Droits voisins de la presse : l'Autorité de la Concurrence approuve les engagements pris par Google

Droits voisins de la presse : l’Autorité de la Concurrence approuve les engagements pris par Google

Alors, euros ?

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Marc Rees

Publié dans

Droit

22/06/2022 9 minutes
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Droits voisins de la presse : l'Autorité de la Concurrence approuve les engagements pris par Google

Après s’être vu infliger une sanction de 500 millions d’euros, Google pouvait craindre de nouvelles foudres de l’Autorité de la Concurrence sur fond de droits voisins des éditeurs et agences de presse. L’histoire finit bien : celle-ci vient de valider les engagements d’Alphabet Inc, Google LLC, Google Ireland Ltd et Google France.

Soulagement pour Google, qui aux yeux de l’AdlC est rentré dans le droit chemin tracé par le droit européen et la loi française visant à créer un droit voisin au profit des éditeurs et agences de presse.

Ces règles reconnaissent leur droit à négociation, voire à indemnisation, pour la reprise de bout d’articles sur les services en ligne. Géant parmi les géants, Google était évidemment aux premières loges de ce dispositif censé redistribuer les cartes des investissements engagés par la presse, part du gâteau publicitaire compris.

À l’automne 2019, le moteur avait trouvé une solution ambitieuse afin de négocier ces droits : il supprimait de sa page Actualité les courts extraits associés aux titres des articles, laissant aux éditeurs et agences la liberté de réactiver cet affichage par une balise dans le code HTML. Seulement, en activant cette option, ils ne pouvaient plus prétendre au moindre paiement, que ce soit sur Google News, Google Search et les autres volets. 

Si Google n’a pas littéralement bafoué la loi sur les droits voisins, il a quelque peu joué avec le feu des règles du droit de la concurrence. Le dossier a rapidement pris le chemin de l’Autorité en charge de ces questions qui, en avril 2020, a mitraillé le géant du Net d’une série de sept injonctions à suivre à la lettre.

Google a vainement tenté de faire annuler cette décision, mais la cour d’appel de Paris a rejeté le 8 octobre 2020 l’ensemble de ses prétentions.

À l’heure du bilan, les comptes n’ont pas été vraiment bons. En juillet 2021, constatant sa mauvaise foi et le non-respect de plusieurs autres injonctions, l’Autorité de la Concurrence a infligé une amende de 500 millions d’euros à l’encontre de Google.

Ce chantier s’est terminé hier puisque la même autorité a rendu cette fois sa décision au fond, dans le sillage des mesures conservatoires déjà prononcées.

État des lieux de la presse, post confinement 

Dans sa longue décision, l’AdlC dresse déjà un portrait peu glorieux de la situation de la presse, post confinement. « Bien que les sites d’actualité aient observé une augmentation de leur audience en ligne entre juillet 2019 et juin 2020, le secteur de la presse a connu une chute brutale de son chiffre d’affaires, notamment publicitaire, et a vu ses activités fortement perturbées (notamment en raison des baisses des ventes au numéro en kiosque, de la perturbation des acheminements des journaux et magazines vendus sous abonnement, ou encore de la suppression des activités de conférences en lien avec les titres de presse) ».

Les audiences numériques ont explosé avec par exemple, entre juillet 2020 et juin 2021, « + 40,4 % pour la presse quotidienne nationale, + 41,4 % pour la presse quotidienne régionale et + 21,1 % pour la presse magazine », bien que ces bons chiffres ne compensent pas la perte des revenus publicitaires et la chute des ventes physiques. « D’après une étude du ministère de la Culture d’avril 2022 sur les secteurs culturels, en 2021, les recettes annuelles du secteur de la presse étaient inférieures de 10 % à leur valeur de 2019, soit une perte de plus d’un milliard d’euros par rapport à 2019 ».

En réaction, le même ministère a versé des aides sous forme de mesures d’urgence (106 millions d’euros) ou de relance (377 millions d’euros).

Des pratiques pouvant relever de l'abus de position dominante

Autre constat, les stratégies de Google durant la phase de négociations. L’AdlC n’a pas été très séduite par sa proposition faite aux éditeurs de signer un accord « Showcase », un contrat de licence global qui avait pour effet de les priver d’indemnisation pour les seules utilisations de leurs contenus. De même, Google avait limité le principe de cette « rémunération » aux seuls titres IPG (« Information Politique et Générale »), se montrant ainsi plus restrictif que la loi « et ce alors même que, selon ses propres évaluations, les revenus que Google tire des contenus non IPG sont supérieurs à ceux issus des contenus IPG ».

Autre chose, Google avait exclu du périmètre de l’indemnisation les agences de presse, du moins pour les contenus repris par les éditeurs. Ce n’est pas tout, le géant avait retenu une approche très restrictive de ses revenus tirés des titres de presse, ne prenant en compte que les revenus publicitaires directs, non les revenus indirects.

Or, « l’affichage de contenus de presse diversifiés et attractifs sur ses différents services permet, en effet, à Google d’inciter l’utilisateur à les visiter régulièrement et à demeurer dans son environnement pour des durées plus longues que celles qui seraient constatées en l’absence de ces contenus. Ce faisant, Google, d’une part, renforce le volume de données collectées et améliore ainsi sa capacité à faire de la publicité ciblée, et, d’autre part, augmente la probabilité que l’utilisateur accède à des liens sponsorisés payants sur son site de recherche en ligne ».

Autant de pratiques que l’AdlC estime pouvant relever de l’abus de position dominante.

Des engagements mis et remis à jour 

Sentant le vent tourner plus qu’à sa défaveur, Google avait mis sur la table une première série d’engagements, que l’Autorité s’est empressée de soumettre à consultation publique. Des engagements diversement appréciés par le secteur de la presse (p.26 à 36 de la décision). Autant de réactions qui ont conduit Google à proposer plusieurs nouvelles versions entre le 11 mars et le 10 mai dernier.

En dernière ligne droite, Google a donc promis de généraliser les droits voisins même aux titres ne disposant pas d’une certification CPPAP (la Commission paritaire des publications et des agences de presse, chargé de donner un avis pour le bénéfice du régime économique de la presse, ndlr). De même, « s’agissant des agences de presse, Google reconnaît expressément la titularité de droits voisins aux agences de presse sur les contenus repris à l’identique dans les publications d’éditeurs de presse tiers ». Un sandwich de rémunérations sera donc perçu pour le même article…

La notion de « contenus de presse protégés », ceux susceptibles de générer le paiement des droits, est désormais entendue très largement : « Google précise qu’elle s’étend aux textes, photos et vidéos intégrés dans les publications de presse ».

Dans le même ordre d’idée, Google ne va plus imposer Showcase, mais proposera des négociations distinctes. « En outre, l’offre de Google inclura une proposition de mise à jour du montant de la rémunération au moins une fois par an, au 1er février, sur la base des données communiquées par Google sur l’importance de l’utilisation des contenus protégés pendant l’année précédente et les revenus d’exploitation associés, ainsi qu’une régularisation finale du paiement au terme de l’accord, le cas échéant ».

Autre promesse, celle d’aiguiser les informations adressées régulièrement aux éditeurs et agences…

Enfin, a été introduit un mécanisme rétroactif pour couvrir la période de reprise des contenus protégés depuis le 24 octobre 2019, soit la date d’entrée en vigueur de la loi sur les droits « pour tous les éditeurs et agences de presse qui ont demandé à Google d’entrer en négociations avec elle avant l’entrée en vigueur des engagements ».

engagement Google autorité de la concurrence droits voisins
Crédits : Autorité de la Concurrence

 Une décision historique  

Après les avoir analysés les uns après les autres, l’Autorité a considéré que « les engagements proposés par Google, dans leur version finale du 9 mai 2022, sont de nature à mettre un terme aux préoccupations de concurrence exprimées ». Ils présentent « un caractère substantiel, crédible et vérifiable ». L’Autorité a décidé « de les accepter, de les rendre obligatoires et de clore la procédure ».

Dans un communiqué reçu par e-mail, Google assure avoir « tout mis en œuvre » ces deux dernières années, pour « convenir d’un cadre de négociation avec les éditeurs de presse sous le contrôle de l’Autorité de la Concurrence, et afin de déterminer le niveau de leur rémunération sur la base de critères transparents, objectifs et non discriminatoires » :

« Nous avons conclu des accords-cadres avec l’APIG (Alliance de la Presse d’Information Générale) et le SEPM (Syndicat des Éditeurs de la Presse Magazine), qui représentent les deux tiers de l’audience des publications de presse en ligne. Chacun de leurs membres a reçu une offre de rémunération de notre part. »

Google assure avoir conclu « plus de 150 accords avec des titres en France », qui couvrent « le contenu au-delà des hyperliens et des très courts extraits ». Sébastien Missoffe, directeur général de Google France, qualifie la décision de l’Autorité de la Concurrence d’ « historique » en ce qu’elle « fixe un cadre durable pour la rémunération des éditeurs et agences de presse, et des journalistes, dans le cadre de la loi française. »

Pour une certaine presse en ligne, la nouvelle pourra se conclure en une belle opération : des revenus issus de l'exploitation des données à caractère personnel des lecteurs, des subventions versées par le ministère de la Culture, des revenus issus des activités publicitaires, ou des abonnements, et désormais des indemnisations versées par les géants du Net au titre des droits voisins, pour la présence d'articles de presse que ces mêmes éditeurs et agences ont choisi d'afficher dans les moteurs. 

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Écrit par Marc Rees

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Sommaire de l'article

Introduction

État des lieux de la presse, post confinement 

Des pratiques pouvant relever de l'abus de position dominante

Des engagements mis et remis à jour 

 Une décision historique  

Le brief de ce matin n'est pas encore là

Partez acheter vos croissants
Et faites chauffer votre bouilloire,
Le brief arrive dans un instant,
Tout frais du matin, gardez espoir.

Commentaires (11)


Sur le coup je comprends vraiment pas pourquoi un journal qui se contente de recopier une dépêche de l’Afp peut prétendre à rémunération.


Surtout qu’une dépêche n’est pas reprise pas qu’un (1) journal, mais irrigue tous les titres qui ont un abonnement AFP. Exemple.


J’en déduis que Nextinpact n’a pas signé d’accord avec Google?


Pour l’instant, nous n’avons aucun accord, ni engagé de discussion avec Google, Facebook, Twitter, Linkedin, et tous les autres sites où nos articles peuvent être partagés. D’autres éditeurs ont fait un choix autre.


MarcRees

Pour l’instant, nous n’avons aucun accord, ni engagé de discussion avec Google, Facebook, Twitter, Linkedin, et tous les autres sites où nos articles peuvent être partagés. D’autres éditeurs ont fait un choix autre.


Merci pour la confirmation.


Au niveau de cette décision, est-ce que d’autre pays pourrait être tenté de faire de même ou cela est spécifique à la France?


Être rémunéré pour faire pointer vers un cookie wall ou un paywall, le beurre, l’argent du beurre et les données du lecteur.


Yes.
Je me suis apperçu que c’était le cas sur lemonde.fr :(



Quand on voie comment on accède facilement aux sites d’informations étranger (suisse, belge, theguardian) c’est à ce demander si ce n’est pas une tendance Franco Française :(


gg40

Yes.
Je me suis apperçu que c’était le cas sur lemonde.fr :(



Quand on voie comment on accède facilement aux sites d’informations étranger (suisse, belge, theguardian) c’est à ce demander si ce n’est pas une tendance Franco Française :(


Salut, tu as des cookies et des murs de paie sur les médias belges aussi. Ceux-ci reprennent également souvent l’AFP, parfois Belga en plus.



Egamihrza a dit:


Au niveau de cette décision, est-ce que d’autre pays pourrait être tenté de faire de même ou cela est spécifique à la France?




Le texte est issu de la directive droit d’auteur d’avril 2019.
D’autres Etats membres s’y sont nécessairement lancés ;)


Merci de votre réponse