Le CERN dresse son bilan de 2021, entre publications à gogo et fin des travaux sur le LHC

Le CERN dresse son bilan de 2021, entre publications à gogo et fin des travaux sur le LHC

Ne bougez pas les bosons, vous êtes CERNé

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Sébastien Gavois

Publié dans

Sciences et espace

30/06/2022 9 minutes
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Le CERN dresse son bilan de 2021, entre publications à gogo et fin des travaux sur le LHC

Que s’est-il passé au CERN en 2021 ? L’Organisation européenne pour la recherche nucléaire détaille ses nombreux travaux et ses découvertes dans un long rapport… bien évidemment avec les yeux également tournés vers l’avenir. Voici, dans les grandes lignes, ce qu’il faut en retenir.

Le CERN, qui se présente comme « le plus grand laboratoire de recherche en physique des particules du monde », vient de publier son bilan de l’année dernière (notre compte rendu de celui de 2021). Premier changement organisationnel : l’Estonie est arrivée en 2021 comme État membre associé en phase préalable à l’adhésion, tandis que la Lettonie est devenue État membre associé.

Pour Fabiola Gianotti, directrice générale du CERN, l’un des temps forts de l’année passée était « le redémarrage des injecteurs à l’issue du deuxième long arrêt (LS2). Ils alimenteront le Grand collisionneur de hadrons (LHC) qui fait entrer en collision des faisceaux de protons et d’autres particules, dont le résultat est enregistré par sept expériences : ALICE, ATLAS, CMS, LHCb, LHCf, MoEDAL et TOTEM, bientôt rejointes par FASER et SND@LHC ». La remise en marche global du LHC est en cours. 

Découvert en 2012, le Boson de Higgs était au cœur de nombreuses expériences en 2021, notamment dans les laboratoires ATLAS et CMS qui ont obtenu « de nouvelles limites sur la force de l’interaction du boson de Higgs avec lui-même ». Le premier laboratoire a également « observé des indices d’une désintégration du boson de Higgs en deux leptons (une paire d’électrons ou une paire de muons de charge opposée) et un photon ».

À l’attaque du modèle Standard

Le second a découvert des « indices de la production de bosons de Higgs dits off-shell, dont la masse dépasse largement la valeur nominale de 125 GeV ». Ils ont ensuite pu déterminer « que la durée de vie du boson de Higgs est de 2,1 x 10⁻²² secondes, avec une incertitude de (+2,3/-0,9) x 10⁻²² secondes. Cette mesure, la plus précise à ce jour, est en accord avec les prédictions du Modèle standard ».

L’Institut national de physique nucléaire et de physique des particules (IN2P3) en rappelle la définition :

« le Modèle standard de la physique des particules (en abrégé "modèle standard") est la théorie actuelle qui permet d'expliquer tous les phénomènes observables à l'échelle des particules.

Le modèle standard englobe donc toutes les particules connues ainsi que les trois interactions ayant un effet à l'échelle des particules : l'interaction électromagnétique, l'interaction forte et l'interaction faible. Le modèle standard permet donc d'expliquer tous les phénomènes naturels sauf la gravitation qui, pour l'instant, résiste aux théoriciens pour une théorie quantique... ».

Le Modèle standard justement est mis à l’épreuve par les scientifiques, notamment afin de trouver des brèches qui ouvriraient la voie à d’autres modèles : « En mars, LHCb a annoncé un nouveau résultat qui renforce les indications d’une violation de l’universalité de la saveur des leptons, caractéristique clé du Modèle standard ». Il ne s’agit que d’indices, pas d’une preuve ; la différence est importante. 

Le Modèle standard est également attaqué via l’antimatière. Le CERN dispose pour rappel d’une « usine » capable de produire des antiprotons et de « comparer avec toujours plus de précision les propriétés et le comportement de la matière et de l’antimatière ».

Parmi les autres résultats, le CERN met en avant la date du 19 mai 2021, quand le Spectromètre magnétique alpha (AMS-02) fêtait ses 10 ans sur la Station spatiale internationale. « Dix ans et plus de 175 milliards de rayons cosmiques plus tard, AMS a livré des résultats scientifiques qui ont bouleversé notre compréhension de l’origine de ces particules et de la façon dont elles voyagent dans l’espace ».

Des résultats en pagaille

Le CERN revient aussi sur d’autres découvertes de l’année. Il y a notamment « une nouvelle étude de l’expérience CLOUD qui a montré que l’acide iodique pourrait être le principal facteur de la formation des particules atmosphériques dans les zones marines vierges. Ces résultats semblent révéler un nouveau mécanisme qui pourrait accélérer la fonte de la banquise arctique ».

De son côté, la collaboration NA62 a « présenté la première preuve de la désintégration ultra-rare d’un kaon de charge positive en un pion et une paire neutrino antineutrino, phénomène dont le rapport d’embranchement pourrait potentiellement révéler une nouvelle physique ».

Certains résultats sont également remis en question, notamment celui sur un signal observé en 2015 par l’expérience COMPASS qui « pourrait après tout ne pas être un nouvel hadron exotique, mais la première observation d’une "cascade" de désintégrations d’hadrons connue sous le nom de "singularité triangulaire" ».

Le CERN et le transfert de connaissances

Le CERN explique travailler en collaboration avec l’industrie pour du « transfert de connaissances ». Plusieurs exemples sont mis en avant. C’est notamment le cas de l’expérience Lumina dans la Station spatiale internation. Elle « utilise deux fibres optiques de plusieurs kilomètres de long servant de dosimètre actif pour mesurer les rayonnements ionisants avec une très grande sensibilité […] le CERN a contribué au modèle théorique du dosimètre et a réalisé les tests d’irradiation, à des doses faibles et élevées, pour son étalonnage ».

Il est aussi question du logiciel CARA pour l’évaluation du risque de transmission aéroportée de la Covid-19 dans les espaces clos : « Cet outil ayant suscité l’intérêt de nombreux acteurs de la santé mondiale et instituts de recherche, il a été rendu disponible en open source ».

Trois entreprises ont rejoint les centres d’incubation du CERN : « condenZero (instruments résistants à l’ultravide et aux conditions cryogéniques), Lumiphase (puces de communication optique pour les environnements extrêmes et radioactifs) et Delta Biosciences (utilisation de systèmes de détection microscopiques pour la conception d’une plateforme de criblage de candidats-médicaments) ».

Des travaux, des problèmes et des solutions

Le 15 mars, une avancée symbolique s’est déroulée : « les clés du Grand collisionneur de hadrons (LHC) ont été remises au groupe Opérations du département Faisceaux (BE) ». Cela faisant plus de deux ans que les équipes chargées des interventions du second long arrêt technique les avaient en main. « Le reste de l’année a été consacré à la mise en service du matériel, aux tests d’alimentation électrique et à la campagne d’entraînement des aimants dipôles supraconducteurs », explique le CERN.

Des problèmes liés aux aimants ont été détectés et en partie résolus via des cycles de réchauffement et refroidissement. Néanmoins, « une analyse de risque a conclu que l’entraînement complet de la machine à 7 TeV par faisceau, son énergie nominale, conduirait, avec une probabilité d’environ 63 %, à un incident qui nécessiterait un autre réchauffement de secteur ; limiter l’énergie à 6,8 TeV par faisceau réduirait grandement cette probabilité (à environ 17 %) ».

Le CERN a joué la carte de la prudence. Une fois l’ensemble des éléments pris en compte, notamment l’impact sur la physique d’une énergie légèrement inférieure, il a décidé « de commencer la troisième période d’exploitation du LHC à l’énergie cible de 6,8 TeV, soit 0,3 TeV au-dessus de l’énergie du faisceau lors de la deuxième période d’exploitation (6,5 TeV) ».

La suite, on la connait : « Le 19 octobre, les premiers faisceaux pilotes ont circulé dans le LHC, pour la mise en service initiale de tous les systèmes-clés liés au faisceau. Le 26 octobre, des collisions tests de faible intensité se sont produites à une énergie d’injection de 450 GeV ». Fin 2021, sept des huit secteurs du LHC étaient « entraînés à 6,8 TeV », tandis que celui du dernier secteur (2-3) aura lieu en 2022.

Quand il est question d’entraîner les aimants

Vous vous demandez surement ce qu’est l’entrainement et à quoi il sert ? C’est un peu comme pour les sportifs : se préparer avant de se jeter dans le grand bain. Sauf que dans le cas présent il est question de 12 000 tests sur 1 600 circuits supraconducteurs, avec des intensités nonimales allant de 60 A à… 13 000 A :

« Les aimants du LHC doivent être entraînés pour limiter le risque que des phénomènes de transitions résistives («quench») se produisent de façon aléatoire pendant la période d’exploitation […]

Pendant l’entraînement, on cherche justement à provoquer ces transitions résistives, car elles « apprennent » aux aimants à « se surpasser » : après une transition résistive qui entraîne un réchauffement du circuit, on refroidit à nouveau les aimants jusqu’à 1,9 K (-271,3 °C), puis on refait circuler le courant jusqu’à la prochaine transition résistive, et ainsi de suite en augmentant l’intensité, jusqu’à ce que les aimants puissent supporter leur courant nominal sans transition résistive ».

Troisièmes run et long arrêt technique

Comme nous l’avons déjà expliqué, la troisième période d’exploitation durera jusqu’à fin 2025, tandis que le troisième long arrêt technique (LS3) s’étalera sur trois ans au lieu des deux et demi initialement prévus. « Ce report du troisième long arrêt technique permettra d’absorber les retards liés à la pandémie et de mener à bien de façon efficace les travaux de construction prévus ».

Le rapport revient également sur l’infrastructure informatique du CERN, que nous avons détaillée dans une précédente actualité. Le laboratoire précise que « les niveaux de temps de processeur utilisé ont atteint des sommets en cours d’année, avec jusqu’à 1,4 million de cœurs de processeurs utilisés simultanément par les quatre grandes expériences du LHC ». Le stockage total dont disposent les expériences est de 1,5 exaoctet environ (40 % sur disque et 60 % sur bande).

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Écrit par Sébastien Gavois

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Sommaire de l'article

Introduction

À l’attaque du modèle Standard

Des résultats en pagaille

Le CERN et le transfert de connaissances

Des travaux, des problèmes et des solutions

Quand il est question d’entraîner les aimants

Troisièmes run et long arrêt technique

Le brief de ce matin n'est pas encore là

Partez acheter vos croissants
Et faites chauffer votre bouilloire,
Le brief arrive dans un instant,
Tout frais du matin, gardez espoir.

Commentaires (2)


merci pour l’article (pas encore tout lu), j’aime beaucoup ce genre de vulgarisation.



je trouve ça génial aussi :
“… la saveur des leptons …”, même si c’est certainement le terme consacré, j’ai pas pu m’empêcher d’imaginer qqn en train de goûter un “lepton” XD


D’ailleurs le grafana du CERN n’est plus accessible :pleure: