La Commission Copie Privée reformée et prête à poursuivre ses travaux

La Commission Copie Privée reformée et prête à poursuivre ses travaux

Le cloud du spectacle

Avatar de l'auteur
Marc Rees

Publié dans

Droit

15/04/2022 9 minutes
7

La Commission Copie Privée reformée et prête à poursuivre ses travaux

Un arrêté publié ce matin au Journal officiel vient de distribuer les sièges en Commission Copie privée. Il consacre l’arrivée des reconditionneurs autour de la table, parmi d’autres particularismes. L'instance au complet va pouvoir désormais se consacrer aux prochains sujets, tous favorables à une augmentation des flux. 

Son mandat de président s’est arrêté le 18 septembre 2021. Jean Musitelli, autrefois à la tête de l’Autorité de régulation des mesures techniques de protection, l’ancêtre de la Hadopi, également prix de la diversité culturelle de la SACD en 2011, a été remplacé le 6 novembre 2021 par Thomas Andrieu

Le nouveau président de la Commission Copie Privée fut rapporteur au Conseil d’État dans deux dossiers relatifs à ce sujet, les affaires Archos et Molotov, où la juridiction administrative a jugé que le stream ripping, à partir de flux licite, relevait du périmètre de cette ponction perçue par les sociétés de gestion collectives, comme la SACEM, ou la SACD.

Une autre épine restait plantée dans le pied de cette commission chargée de détailler les barèmes (taux et assiettes) du prélèvement sur les supports vierges : depuis novembre 2021, la Commission n’a pu se réunir, faute de nomination de ses nouveaux membres.

Théoriquement, cette commission est présentée comme une belle institution équilibrée. Une « commission paritaire », indique Copie France, la société chargée de la collecte de ces sommes (près de 300 millions d’euros par an désormais).

Elle comprend en effet douze représentants des bénéficiaires (ceux qui perçoivent) et douze redevables (ceux qui payent). Ce dernier collège est cependant subdivisé en deux, avec six représentants des industriels (fabricants, importateurs, personnes réalisant des acquisitions intracommunautaires de supports) et six représentants des consommateurs.

Il ne faut cependant pas être grand stratège pour comprendre que ces six consommateurs ne partagent pas les mêmes intérêts que les six industriels, quand dans le camp d’en face, l’unité et la solidarité sont la règle. De plus, si les industriels convainquent une (1) personne d’un des autres camps, ils n’obtiennent que 7 voix sur 24 quand, dans ce même scénario, les ayants droit sont assurés d’avoir la majorité absolue.

Ce rappel permet de comprendre pourquoi la Commission a traversé une nouvelle fois une longue crise lors de la précédente formation, avec l’absence persistante de trois associations de consommateurs (CNAFC, CSF et Familles rurales), qui ont préféré déserter cette instance plutôt que d’y perdre du temps. Une carence qui a plus encore accentué le déséquilibre en faveur des 12 ayants droit.

La situation avait été épinglée une énième fois lors d’une des dernières séances de la Commission copie privée. Pour résoudre ce problème de chaises vides, la solution finalement choisie par le ministère de la Culture a été celle qu’avait soufflée Bruno Boutleux, le président de l’ADAMI, une des sociétés bénéficiaires.

Deux sièges pour chacune des trois associations les plus assidues

Le 30 juin 2021, il avait proposé « d’attribuer un second siège à chacune des trois organisations de consommateurs qui participent de façon assidue aux travaux de la Commission ». Ce matin au Journal officiel, un arrêté vient donc doubler le nombre de sièges au profit des trois associations les plus assidues :

  • L'ADEIC, association de défense, d'éducation et d'information du consommateur : 2 titulaires et 2 suppléants
  • L'AFOC, association force ouvrière consommateurs : 2 titulaires et 2 suppléants
  • L'INDECOSA-CGT, association pour l'information et la défense des consommateurs salariés  : 2 titulaires et 2 suppléants

Particularisme : L’ADEIC et l’INDECOSA-CGT sont les deux seules associations de consommateurs qui avaient voté en faveur de l’assujettissement des supports reconditionnés et d’occasion le 1er juin 2021. L’AFOC, elle, s’était abstenue, contrairement à Jean Musitelli qui avait voté « pour », comme le montre ce compte rendu : 

vote reconditionné

La cause des consommateurs

Les propos tenus en Commission, retracés dans les comptes rendus synthétiques, donnent quelques indices sur la manière dont l’ADEIC et l’INDECOSA-CGT ont défendu ces derniers mois la cause des consommateurs.

Quelques exemples. Le 2 février 2021 (copie ci-dessous), Julie Vanhille, représentante de l’ADEIC, doutait de l’opportunité de réaliser une étude d’usage sur les téléphones reconditionnés, avec un argument de poids : elle possède « un téléphone neuf et un téléphone reconditionné qu’elle utilise de la même façon ». 

Elle rejoignait alors les thèses des ayants droit lorsqu’elle avança que « l’assujettissement [des smartphones] a été mis en place lorsque les reconditionnés n’existaient pas ». Et « selon elle, tous les téléphones portables vendus sont assujettis à la RCP, y compris, pour le moment, les téléphones reconditionnés ».

Elle ne citait donc pas les arguments juridiques s’opposant à un tel assujettissement. Pourtant, selon l’article L311-4 du Code de la propriété intellectuelle, dans sa version en vigueur à l’époque, la redevance doit être versée par le fabricant ou l'importateur qui réalisent des acquisitions de supports d'enregistrement « utilisables pour la reproduction à usage privé d'oeuvres, lors de la mise en circulation en France de ces supports ». Or, le Code civil prévient qu’un produit ne fait l’objet que d’une « seule mise en circulation ». Est-il du coup vraiment possible de frapper plusieurs fois le même produit ? 

ADEIC

Autre exemple. Dans le compte rendu du 14 octobre 2020, Franck Lavanture, le représentant cette fois d’INDECOSA-CGT, avait trouvé une astuce pour faire revenir les consommateurs autour de la table de la commission : « il serait intéressant que soit […] mises en avant les finalités culturelles du dispositif de rémunération pour copie privée. Cela pourrait peut-être encourager les consommateurs à revenir ». 

De même, en 2019, lorsque plusieurs associations avaient menacé de démissionner de la Commission, faute de peser dans les débats, Franck Lavanture avait tenu au contraire à relativiser le poids de la redevance sur le porte-monnaie du consommateur. Joint par Next INpact, il nous rappelait que chaque consommateur bénéficie d’effets indirects dans cette perception, à savoir le financement des festivals par les 25 % de la redevance.

Pour obtenir les coordonnées téléphoniques de ce représentant, l’Indecosa-CGT nous avait invités à contacter la Fédération nationale des syndicats du spectacle du cinéma et de l’audiovisuel et de l’action culturelle (Fédération du Spectacle CGT), qui nous avait renvoyés devant le SYNPTAC-CGT, le syndicat des professionnels du théâtre et des activités culturelles.

Et Franck Lavanture de nous confirmer avoir travaillé auparavant « dans les organismes sociaux de l’action culturelle ». Il avait cependant insisté pour nous expliquer qu’Indecosa-CGT est un solide porte-parole des consommateurs.

L’arrivée des reconditionneurs

Outre le doublement des sièges des associations les plus assidues, une autre nouveauté de l’arrêté publié ce matin : l’arrivée des reconditionneurs. Le collège des industriels est désormais ainsi composé :

  • AFNUM, Alliance française des industries du numérique : 3 titulaires et 3 suppléants
  • FFT, Fédération française des télécoms : 1 titulaire et 1 suppléant
  • SECIMAVI, Syndicat des entreprises de commerce international de matériel audio, vidéo et informatique grand public  : 1 titulaire et 1 suppléant
  • Rcube, Fédération des acteurs du réemploi : 1 titulaire
  • SIRRMIET, Syndicat interprofessionnel du reconditionnement et de la régénération des matériels informatiques, électroniques et télécoms : 1 suppléant

RCube, Fédération professionnelle du Réemploi et de la Réparation, se voit donc attribuer un siège, avec SIRRMIET comme suppléante. Cette arrivée fait naturellement suite à l’extension de la redevance copie privée aux produits remis sur le marché, votée le 1er juin 2021 par les 12 ayants droit, épaulés par les voix de l’ADEIC et l’INDECOSA-CGT et du président Musitelli. Une extension solidifiée juridiquement par la loi sur l’empreinte environnementale du numérique, grâce à un amendement porté par le gouvernement

Au cœur de cette instance, les acteurs du reconditionné et de l’occasion vont ainsi pouvoir défendre leurs intérêts, du moins depuis un siège sur les 24 présents.

Relevons un autre point : depuis 2018, la Fédération Française des Télécoms disposait de deux sièges au sein de la structure, l’AFNUM trois sieges, le SECIMAVI un seul siège. 

Pour cette nouvelle saison, situation inchangée pour ces deux derniers acteurs, mais la FFT perd un siège alors que selon ses chiffres 2020, elle avait versé aux ayants droit 112 millions d’euros de redevance copie privée, sur les 295 millions collectés cette année.

Prochains sujets : les PC, le cloud

Avec son nouveau président et des sièges réattribués, la Commission va désormais pouvoir reprendre sa route, avec comme premier prochain sujet l’extension du champ de la redevance aux ordinateurs fixes, aux ordinateurs portables et aux disques durs nus.

En septembre 2021, l’Institut CSA, choisi pour sonder les pratiques sur ces segments, a remis à la Commission Copie Privée ses trois études d’usages.

Selon nos informations, elle a évidemment trouvé des traces de fichiers (images, photos, dessins, enregistrements sonores et titres musicaux, films, vidéos, programmes TV, livres, textes, paroles de chanson, et articles de presse).

Si les ayants droit considèrent qu’il s’agit de copies privées devant être indemnisées, ils n'auront besoin que d’une seule petite voix pour imposer leur doctrine avant de percevoir davantage encore.

Autre sujet qui ne tardera pas à surgir : celui de la copie privée dans le cloud. La Cour de justice de l’UE vient de reconnaître que cet univers pouvait être frappé, à charge pour les ayants droit de faire payer les prestataires ou bien d’alourdir la note sur les supports physiques. Et comme révélé dans nos colonnes, la startup-nation a plaidé en faveur de cet assujettissement. 

Écrit par Marc Rees

Tiens, en parlant de ça :

Sommaire de l'article

Introduction

Deux sièges pour chacune des trois associations les plus assidues

La cause des consommateurs

L’arrivée des reconditionneurs

Prochains sujets : les PC, le cloud

Fermer

Commentaires (7)


En france, tu as deux vrais associations de consommateurs. Les autres n’ont pas les moyens (et seule une a vraiment des moyens) et une partie d’entre elles pratique la politique de la chaise chaude, elles sont présentes partout et ne servent à rien n’ayant pas les moyens d’avoir l’expertise


Je viens de chercher la liste des associations, pour voir, et je suis tombé là-dessus : 15 associations de consommateurs nationales agréées par les pouvoirs publics.
Que 15 associations, c’est tellement peu… (dont des associations comme Familles de France en plus :craint:)



nicoflap a dit:


En france, tu as deux vrais associations de consommateurs. Les autres n’ont pas les moyens (et seule une a vraiment des moyens) et une partie d’entre elles pratique la politique de la chaise chaude, elles sont présentes partout et ne servent à rien n’ayant pas les moyens d’avoir l’expertise




:chinois: 60M et UFC. La seconde est la plus combative pour les consommateurs.



(reply:2067223:choukky)




60M n’est pas une association :




Le magazine 60 Millions de consommateurs […] et son site 60millions-mag.com sont édités par l’Institut national de la consommation (INC), […] établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), placé sous la tutelle du ministre chargé de la consommation. [Wikipedia]



Une enquête financière pour vérifier la probité des votant serai bien.



serpolet a dit:


60M n’est pas une association :




:incline: Au temps pour moi, je pensais le contraire.
Merci pour l’info.
:kimouss:



(reply:2067262:Ami-Kuns)




Anéfé. Rejeté.



Leur probité n’est pas sujette à caution, c’est juste qu’ils ont travaillé pour “l’autre camp” auparavant, et continuent à y émarger. Mais comme l’autre camp est celui des gentils de l’histoire, c’est pas bien grave, on va pas se fâcher pour si peu, si…?