La justice ordonne le blocage de deux sites négationnistes

Aussi longtemps qu'ils existeront
Droit 6 min
La justice ordonne le blocage de deux sites négationnistes
Crédits : BrianAJackson/iStock/Thinkstock

Le tribunal judiciaire de Paris ordonne le blocage de Shoarnaque et Blogue-sc (pour Blogue sans concession) chez les principaux fournisseurs d’accès français : Orange, SFR, Free, Bouygues, mais aussi Colt et Sprintlink France. Deux sites rattachés à la maison d’édition fondée par le négationniste Vincent Reynouard. Next INpact diffuse les deux jugements rendus aujourd'hui.

L’assignation remontait aux 20 et 22 décembre dernier, à la requête du procureur de la République. Elles visent ces deux sites qui se présentent comme liés à « Sans Concession », la maison d’édition de Vincent Reynouard « dont le but est, selon ses propres termes, “la diffusion du révisionnisme historique et la réhabilitation du national-socialisme” », relate le ministère public.

Le premier, par exemple, « contient des articles et vidéos dont le contenu tend à nier ou minorer de façon outrancière l’existence du génocide ayant touché la communauté juive durant la Seconde Guerre mondiale », ajoute-t-il, non sans rappeler que ces propos sont constitutifs du délit de contestation de crime contre l’humanité.

Toujours sur Shoarnaque, on trouve « de prétendues démonstrations tendant à nier l’existence du génocide et à en contester les preuves matérielles », et de multiples tentatives pour réhabiliter le révisionnisme.

Sur Blogue-sc, même teneur, comme en témoigne l’intitulé des contenus : « Quand les soldats allemands sauvaient des Français », « Contre la “mémoire juive”, pour une Histoire vraie », « Simone Veil, menteuse sur la Shoah », « 1945 : les Alliés mentent sur Dachau pour accréditer le mythe des “chambres à gaz” », etc.

En amont de la procédure civile initiée par le ministère public, on retrouve un signalement de la direction interministérielle à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH) du 6 mai 2021, mais aussi un procès-verbal de renseignement judiciaire de l’office central de lutte contre les crimes contre l’humanité, les génocides et les crimes de guerre (OCLCH) du 30 avril 2021 et enfin un procès-verbal du Pôle national de lutte contre la haine en ligne du parquet, en date des 28 et 30 septembre 2021. Rare mesure ayant échappé à la censure de la loi Avia.

Un dommage réel et majeur

Les deux décisions ont ausculté de près ces sites où se niche un argumentaire du parfait révisionniste ou négationniste : l’existence de l’extermination des juifs dans le camp d’Auschwitz ? Une « supercherie ». Les chambres à gaz ? Un « bâtiment [qui] servait à l’hygiène » où « les déportés entraient du côté sale où ils se déshabillaient. Puis ils recevaient une douche, pendant que leurs habits étaient traités dans “la chambre à gaz” de désinfection. Enfin, ils ressortaient côté propre »…

Pour la juridiction, le site Shoarnaque « a pour objectif principal affiché de remettre en cause l’existence des crimes commis par les nazis contre la communauté juive durant la Seconde Guerre mondiale ». Des propos susceptibles de constituer le délit de contestation de crime contre l’humanité, puni d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

« Il apparaît en outre que ce site a une vocation prosélyte dès lors qu’est mise en avant une dimension pédagogique des articles vis-à-vis des internautes et que ceux-ci sont invités à participer à son développement par le biais de dons ».

Quant à « Blogue Sans Concession », celui-ci partage le même objectif, tout en remettant en cause l’existence « des crimes de guerre comme le massacre perpétré à Oradour sur Glane le 10 juin 1944, lequel a donné lieu à une décision de condamnation le 12 février 1953 prononcée par le tribunal militaire de Bordeaux, objectif qui est décliné à travers de nombreux articles ».

Un blocage entre les mains des FAI

Conclusion : il y a bien un « dommage réel et majeur ». Et pour y répondre, plusieurs voies étaient envisageables, mais la plupart ont été repoussés au regard de l’urgence de la situation.

Agir directement contre l’éditeur ou son hébergeur américain ? Difficile alors que les mentions légales sont absentes. En outre, le nom de domaine a été déposé là encore outre-Atlantique, où l’identité du déposant a été masquée. Bloquer l’accès entre les mains des FAI a finalement été considéré comme un choix « nécessaire et proportionné au but poursuivi ».

Cette mise en balance a pris en compte la gravité du dommage, à savoir des sites qui incitent le lecteur « sous couvert d’une prétendue analyse scientifique et historique, à remettre en cause les crimes contre l’humanité commis contre les juifs à travers notamment la négation, présentée comme rationnelle, de la politique d’extermination des juifs menée par les nazis dans les camps de concentration ».

Autre chose, « en présentant la Shoah comme un mythe, “une supercherie”, [Shoarnaque] incite au surplus les internautes à éprouver de la rancoeur, voire de la haine, envers les personnes de confession juive bénéficiaires de ce mensonge, de cette “arnaque” ».

Bloquer tant qu’existent ces contenus

Mesure très rare, le tribunal judiciaire a réclamé un blocage sans limites temporelles. Il durera tant que se poursuivra la diffusion des contenus sur ces deux sites.

Et la juridiction a décidé de faire peser le coût de ces mesures sur les épaules des FAI, ceux-ci n’ayant pas démontré qu’il allait compromettre leur situation économique. La même décision a rappelé au passage que la loi sur la confiance dans l’économie numérique de 2004 oblige les intermédiaires techniques à concourir à la lutte contre de multiples infractions, dont celle contre l'apologie, la négation ou la banalisation des crimes contre l'humanité.

Les sites miroirs seront ciblés 

La décision est d’autant plus importante qu’elle active pour l'une des premières fois une autre disposition de la LCEN, relative aux sites miroirs (l'article 6-3), consacré l'été dernier.

Une autorité administrative, sans doute l'OCLCTIC, va pouvoir réclamer des FAI identifiés dans la décision, l’extension du blocage à tout site reprenant le contenu de l'un de ces deux sites, en totalité ou à tout le moins de manière substantielle.

Relevons enfin que le coeur de cette procédure repose sur l’article 6-I-8 de même loi sur la confiance dans l’économie numérique, dans sa version modifiée par la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République (dite loi Séparatisme).

Depuis cette réforme, le président du tribunal judiciaire, en procédure accélérée au fond, peut enjoindre toutes les personnes susceptibles d'y contribuer, de prendre les mesures propres à prévenir ou faire cesser « un dommage » en ligne.

La mesure avait été imaginée dans ses germes par le député Eric Bothorel (LReM), mais la députée Laetitia Avia, rapporteure, lui avait opposé des contraintes légales visiblement insurmontables. Ou presque. La réforme fut malgré tout aiguisée puis adoptée au Sénat, sur amendement gouvernemental

Si dans la version antérieure, le juge ne pouvait s’adresser qu’aux hébergeurs puis aux FAI, désormais, il peut réclamer des mesures de restriction d’accès ou d'effacement à l’égard de « toute personne » : FAI et hébergeur, mais aussi moteurs, fournisseurs de nom de domaine et même navigateurs. C’est aussi la fin du principe de subsidiarité, puisque le juge peut s'adresser directement aux FAI sans devoir passer préalablement par l'éditeur ou l'hébergeur, comme antérieurement. 

Les deux décisions rendues ce jour à Paris n’ont mobilisé que les FAI, non les autres intermédiaires. Dit autrement, Shoarnaque et Blogue-sc resteront par exemple référencés dans les moteurs.

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