À partir du 1er janvier 2022, les opérateurs et FAI devront indiquer à leurs clients la « quantité de données consommée […] et son équivalent en émissions de gaz à effet de serre ». Ces informations peuvent être « estimées » suivant une méthodologie de l’ADEME, qui fait grincer des dents.
Il y a deux ans quasiment jour pour jour, les députés adoptaient un amendement afin d’imposer aux opérateurs (fixes et mobiles) d’indiquer à leurs clients « l’empreinte carbone » résultant de leur consommation de données.
La disposition était ensuite entérinée dans le cadre de la loi « anti-gaspillage », adoptée par le Parlement en février 2020, laissant le soin à l’ADEME d’établir une méthodologie. Au Journal officiel, le décret 2021-1732 du 21 décembre vient justement mettre en place « l'obligation d'information relative à la quantité de données consommée dans le cadre de la fourniture d'accès à un réseau, et son équivalent en émissions de gaz à effet de serre ».
Le détail des informations, avec les Go consommés et éqCO₂
Avant d’entrer dans les détails, sachez que quatre informations doivent être indiquées, éventuellement accompagnées d'une « représentation graphique ». Elles doivent être mises à jour mensuellement, « à disposition de l'abonné sur son espace personnel en ligne » et « peuvent également figurer sur les documents de facturation » :
- Type d'abonnement : internet fixe ou mobile ;
- Volume de données consommées : en Go, arrondi à l'unité. Si besoin avec la mention « données estimées » ;
- Équivalent en émissions de gaz à effet de serre : en grammes équivalents CO₂ (g éqCO₂), arrondi à l'unité ;
- La synthèse des modalités de calcul utilisées.
L’article 2 du décret précise qu’il s’agit bien du « volume réel de données consommées effectivement relevé par l'opérateur », mais que « jusqu'au 1er janvier 2024, pour les réseaux fixes, dans l'hypothèse où le volume réel de données consommées ne peut être relevé par l'opérateur, le volume de données communiqué à l'abonné correspond à un volume de données reconstitué ».
Ce calcul est « fondé sur une estimation par l'opérateur suivant la méthodologie mise à disposition par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) ». Il est précisé que dans ce cas, « l'information présentée à l'abonné le mentionne sous la forme "données estimées" ».
Concernant l’équivalence d’émissions de gaz à effet de serre qui doit aussi être donnée aux clients, les opérateurs doivent là aussi suivre la méthodologie mise à disposition par l'ADEME.
La méthodologie de l’ADEME en deux formules
Les formules de l’Agence de l’environnement que peuvent utiliser les opérateurs sont les suivantes :
- Réseaux mobiles : Empreinte carbone (en gCO2e/mois) = Quantité de données consommées par l’utilisateur (en Go/mois) x Ratio moyen majorant représentatif de l’impact du « Réseau Mobile France » (en gCO2e/Go). Au 1er janvier 2022 elle est estimée à 49,4gCO2e/Go.
- Réseaux fixes : Empreinte carbone (en gCO2e/mois) = Impact moyen de la consommation Internet fixe d’un Français (en gCO2e/mois). Au 1er janvier 2022 elle est estimée à 4,1 kgCO2e/mois par abonné.
Sur le fixe, la « méthodologie » de l’ADEME semble donc donner un résultat identique pour tout le monde, quel que soit le réseau (xDSL, fibre…) et la consommation. Dès que l’on consomme au moins 100 Go en mobile, on dépasserait donc cette « moyenne » sur le fixe.
L’empreinte carbone du numérique, selon l’Arcep
Fin 2019, l’Arcep avait publié une analyse de l'empreinte carbone du numérique. Le régulateur proposait un comparatif des différentes technologies. Il prenait comme base une consommation de 6,7 Go de data par mois et par utilisateur sur le mobile. Il ajoutait que « le RTC consomme en moyenne 2,1 watts par ligne, contre 1,8 watt en ADSL et seulement 0,5 watt en fibre optique », mais que – contrairement au mobile – les usages n’avaient pas spécialement d'incidence sur la consommation.
Voici les moyennes sur un an de l’Arcep en fonction des technologies (avec 6,7 Go par mois en 4G) :
- 50 kWh en 4G
- 19 kWh en RTC
- 16 kWh en ADSL
- 5 kWh en FTTH
Pour rappel, le gendarme des télécoms dispose depuis peu d’un nouveau pouvoir lui permettant « la collecte de données sur l'empreinte environnementale de l'ensemble de l'écosystème numérique ». Le texte a été adopté le 14 décembre et il vient d’être publié au Journal Officiel.
Méthodologie « foireuse », « sortie du chapeau », « ravages »…
Les formules utilisées issues de l'ADEME font grincer des dents, notamment celles de Jérôme Nicolle (architecte d'infrastructures et transformations numériques) qui parle d’une « méthodologie démontrée comme foireuse » et de Pierre Beyssac (co-fondateur de Gandi, entres autres, porte-parole du Parti Pirate) :
« Si je peux me permettre, ça serait bien que l'Arcep, qui est mieux placée pour discuter technique correctement – et dont l'absence ici est étonnante –, mette son grain de sel là-dedans avant de se retrouver avec un terrain cramé par des apprentis sorciers en CO₂ »
Il n’est pas tendre avec la méthodologie de l’Agence : « Deux multiplications simplistes non étayées (formule démontée x fois), une sur base de conso (accès mobile), l'autre sur base forfaitaire (accès fixe). L'évaluation est littéralement sortie du chapeau, 0 source ».
Alexandre Archambault (avocat, ex responsable des affaires réglementaires chez Free) confirme et enfonce le clou : « Donc une méthodologie sortie du chapeau par des gens qui n'ont jamais mis les pieds dans les infrastructures mises en oeuvre en France, débunkée à plusieurs reprises, qui se retrouve légitimée par un décret. Les ravages de l'absence de culture scientifique /o\ ».
Quel impact IRL ? Y aurait-il une volonté cachée ?
Dans un billet de blog, Beyssac s’épanche bien plus largement sur le sujet. Un extrait : « Si demain nous divisons tous par deux notre consommation de données au vu de l’évaluation qui précède, satisfaits de faire ainsi "notre part" dans la réduction d’impact, nos opérateurs vont-ils soudain constater avec plaisir que leurs factures d’électricité, d’équipements, de chauffage, de carburant sont également divisées par deux ? La réponse est évidemment "non" […] En fait l’impact sur le CO₂ émis serait infime, probablement même pas mesurable ».
Pour certains, cette « taxe carbone » pourrait être une manœuvre pour sortir de l’Internet illimité sur le fixe : « clairement il y a une poussée autour de ça, les FAI historiques n'ont jamais digéré l'illimité et la neutralité », ajoute Pierre Beyssac.
Citée à de nombreuses reprises lors des échanges sur Twitter, l’ADEME n’a pas répondu aux attaques faites sur sa méthodologie. Quoi qu’il en soit, l’entrée en vigueur des dispositions est programmée « à compter du 1er janvier 2022 », précise le décret dans son avant-dernier article.