Dans son tout dernier rapport annuel, la Hadopi dessine les pistes qui pourront être reprises par l’Arcom, sa remplaçante à compter du 1er janvier 2022. L’objectif ? Encore et toujours le blocage des sites illicites, mais dans une version beaucoup plus musclée.
Imaginée au coeur des années 2000, enfantée dans la douleur en 2009, la Hadopi sait son avenir désormais compté. Le 1er janvier prochain, ses compétences seront avalées par l’Arcom, un CSA recarrossé pour devenir le super régulateur des contenus audiovisuels et numériques.
Après 12 années d’existence et près de 100 millions d’euros de budget public consommés, la haute autorité a dressé hier le bilan de la riposte graduée. Une activité qui occupe chaque année plus de la moitié de ses dépenses (62,3 % en 2020, 67 % en 2019) et qui serait d’une efficacité redoutable, du moins selon l’institution.
Son rapport annuel, publié sans communiqué et dont les métadonnées remontent à mai 2021, s’intéresse aussi à un autre pan de cette lutte contre le piratage : le blocage des sites diffusant films, musiques, photos, livres et autres textes sans autorisation des titulaires de droit.
Dans ce dernier souffle institutionnel, cet intérêt ne doit rien au hasard puisque la loi Arcom, publiée au Journal officiel pas plus tard que le 6 octobre 2021, consacre de nouveaux outils pour lutter contre les sites de streaming et de direct download.
Les nouveaux outils de la future Arcom-Hadopi
Cette loi vient en effet faciliter le blocage des sites « miroirs », à savoir ceux diffusant un contenu similaire à un site déjà bloqué judiciairement, mais empruntant un autre chemin.
Un titulaire de droits pourra saisir l’Arcom, qui demandera dans la foulée aux FAI et autres intermédiaires visés dans la décision de justice l’extension de cette restriction d’accès aux sites reprenant en totalité ou de manière substantielle ces contenus.
D'autres mesures ont été pensées pour lutter également contre les sites de streaming de compétitions sportives. C’est l’arrivée dans le paysage légal du blocage dynamique, qui permet d’étendre ces restrictions aux sites ou services pirates non encore identifiés le jour de la décision de justice.
Cette Autorité de Régulation de la COMmunication audiovisuelle et numérique aura encore pour mission de dresser une liste noire des sites qui portent « atteinte, de manière grave et répétée, aux droits d'auteur ou aux droits voisins ».
Enfin, l’Arcom orchestrera des modèles d’accords volontaires où les parties s’engageront avec les ayants droit à lutter en commun contre les contrefaçons en ligne, la fameuse liste noire sous le coude. L’enjeu sera d’éviter la case tribunal et de fluidifier cette chasse aux sites illicites.
Liste noire et blocage multicouche
C’est justement dans le cadre de ces accords que la Hadopi esquisse ce que pourrait être la nouvelle politique de régulation sur l’autel du Code de la propriété intellectuelle.
Dans sa mue vers l’Arcom, elle veut injecter cette liste noire dans toutes les couches en impliquant tous les « intermédiaires de l’écosystème numérique », et non plus seulement les seuls fournisseurs d’accès à internet.
La liste noire pourrait ainsi enrichir des extensions « que les internautes [pourront] intégrer à leur navigateur afin que l’accès aux sites illicites fasse l’objet d’une alerte ou d’un blocage. »
Elle songe aussi à des accords volontaires avec les bureaux d’enregistrement de noms de domaine et les prestataires de services d’hébergement « afin d’obtenir que ceux-ci puissent respectivement suspendre les noms de domaine des sites massivement contrefaisants ou cesser de les héberger ».
Également dans son esprit, seront appelés à en tenir compte « les éditeurs de systèmes d’exploitation, de logiciels de sécurité (…) ou encore les concepteurs de box ou de routeurs domestiques équipés de fonction pare-feu ».
Allo, Cloudflare ?
D’autres sont dans le viseur comme les magasins d’applications ou les registres de noms de domaine. « Il serait également fort utile de pouvoir conclure des accords avec des acteurs tels que Cloudflare, un réseau de distribution de contenus qui offre également plusieurs services techniques, dont un service dit de "reverse proxy" ».
Avec Cloudflare, « l’anonymisation des sites illicites qui en découle gêne ainsi considérablement les opérations de lutte contre le piratage car cela complique la localisation précise du site internet ». Dans ces accords 2.0, Hadopi-Arcom pourrait donc « jouer un rôle de tiers de confiance pour permettre aux ayants droit d’obtenir en temps utile les adresses IP des sites illicites ».
Elle reconnaît à cet instant qu’il ne s’agit que de pistes de « réflexions », cependant les fournisseurs doivent savoir que « la possibilité de demander aux acteurs proposant des services de DNS alternatifs de mettre en œuvre des mesures de blocage à l’égard des internautes ayant une IP française se pose ».
Ces accords permettraient de surmonter les difficultés internationales puisqu’il n’est jamais simple d’engager une procédure à l’encontre d’un acteur résidant dans un lointain pays tiers. Pour la Hadopi, néanmoins et en théorie, le droit en vigueur autorise déjà cette mise en cause.
L’article L336-2 du Code de la propriété intellectuelle offre en effet au juge la possibilité d’ordonner « toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une (…) atteinte à un droit d'auteur ou un droit voisin, à l'encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier ». Et le futur Digital Services Act ne serait pas en reste.
« Compte tenu de la possible assimilation des services DNS aux fournisseurs d’accès à internet et de la similitude des mesures que chacun de ces acteurs pourrait mettre en oeuvre, il pourrait être requis qu’en amont des mesures de blocage mises en oeuvre par les opérateurs de DNS le juge contrôle la proportionnalité de ces mesures par rapport aux droits fondamentaux en présence, à l’image du contrôle effectué en France par le juge pour les mesures de blocage de sites contrefaisants ».
Contrôle parental contre le porno, enrichi d'une liste noire anti-piratage
Ces accords volontaires s’articulant autour de la liste noire dressée par l’Arcom pourraient donc tout autant permettre la mise en œuvre de mesures de blocage « en cœur de réseau », mais également en « périphérie de réseau », dixit le rapport de la Hadopi.
Dans cette périphérie, la Hadopi lorgne tout autant les solutions de contrôle parental que celles « permettant de limiter l’accès des navigateurs aux sites illicites ». L'idée ? Restreindre l’accès des mineurs aux contenus pour adultes, mais également les empêcher de découvrir des sites de téléchargement illicite.
L’idée intervient alors qu’à l’Assemblée nationale, le député LReM Bruno Studer, président de la Commission des affaires culturelles, a justement déposé une proposition de loi pour préinstaller le contrôle parental sur l’ensemble des écrans connectés (ordinateurs, tablettes, smartphones).
En tête de pont, nous avait confié le parlementaire, il y aurait nécessité de disposer d’« une capacité à contrôler le temps d’écran et protéger l’accès aux contenus normalement réservés aux adultes ».
Cette proposition de loi pensée pour protéger les mineurs face aux contenus X pourrait donc devenir aussi une fenêtre de protection des industries culturelles.