C’est un fait, certains points de mutualisation de la fibre optique ressemblent à des zones sinistrées. Pour identifier les coupables et responsabiliser les techniciens, des sociétés proposent des serrures connectées et/ou des systèmes pour surveiller les ouvertures de portes. La question est de savoir si ce sera suffisant.
La fibre se déploie à vitesse grand V en France, avec des millions de lignes supplémentaires éligibles chaque année. Les abonnements suivent la même tendance et, pour la première fois, le nombre de clients en très haut débit (30 Mb/s ou plus en téléchargement) dépasse celui du haut débit. Le FTTH est évidemment le principal moteur.
Lors de l’université d’été du THD, les acteurs ont par contre dépeint un dossier qui est loin d’être tout rose. Le principal point de crispation concerne le raccordement des clients finals avec le mode STOC. Pour faire simple, cela conduit à une chaine de sous-traitants, avec toutes les dérives que l‘on peut imaginer, aussi bien chez les clients que dans les armoires (ou points de mutualisation, alias PM).
De nouveaux contrats STOC v2 entre les opérateurs et les sous-traitants ont été mis en place pour tenter de régler le problème… mais pas encore chez tout le monde au grand dam du gouvernement et du régulateur (l'Arcep). Plusieurs sociétés tierces ont travaillé à des solutions pour essayer de limiter les dégâts. Nous avons pu échanger avec certaines d’entre elles pour découvrir leurs idées et leurs approches parfois bien différentes.
Mais cela ne réglera pas tout, comme nous l’affirmait Lionel Recorbet (président de XP Fibre), « un technicien qui veut faire une malfaçon il fait une malfaçon, il ne jouera pas le jeu ». Il était question alors du mode STOC v2, mais cela pourrait tout aussi bien arriver avec des armoires connectées.
Notre dossier sur l’université d’été du THD :
- Le déploiement de la fibre optique face à la dure (et triste) réalité du terrain
- Plan France THD : règlement de comptes à OK Corral
- Jungle dans la fibre : des armoires connectées pour essayer de limiter les dégâts
G’Access : une serrure connectée avec NFC, capteurs, LoRa et Sigfox
Commençons avec la solution G’Access de Grolleau, un des principaux fabricants d’armoires pour la fibre en France. Il s’agit d’une serrure connectée : « On remplace la poignée et on vient mettre un bloc tout prêt […] Il n’y a pas besoin de perçage supplémentaire », nous explique Benoit Tiercelin (chef de projet).
Il n’est donc pas question de changer d’armoire ou de porte, le système se veut simple à mettre en place et fonctionne de manière autonome. Il dispose à cet effet d’une antenne LoRa et Sigfox pour communiquer via un réseau bas débit, d’un socle NFC pour l’identification, d’un QR-Code, d’un petit clavier avec quatre touches et d’une batterie dont l’autonomie serait de cinq ans environ.
Lorsqu’un technicien arrive sur place, il peut utiliser le NFC de son téléphone pour ouvrir le point de mutualisation, ou bien scanner le QR-Code afin d’obtenir un code à quatre chiffres à saisir sur le clavier de la serrure. Quelle que soit la solution, tout se passe dans l’application mobile de Grolleau.
Cette dernière permet également aux techniciens d’entrer leur rapport d’intervention et d’ajouter les photos avant et après leur passage comme cela est demandé avec les contrats STOC v2. De son côté, l’opérateur d’infrastructure dispose d’un suivi des interventions et d’une alerte si l’armoire reste ouverte. Le système ressemble à la solution que propose déjà l’entreprise pour les armoires électriques.
Benoit Tiercelin nous précise que ces deux dernières années ont été mises à profit pour « qualifier » la batterie et les antennes afin d’avoir une durée de vie et des performances suffisantes. Il ajoute que des expérimentations sont d’ores et déjà en cours chez plusieurs opérateurs d’infrastructure, notamment Altitude Infra et Orange.
Chaque serrure connectée est capable de gérer aussi bien LoRa que Sigfox : le choix dépendra du lieu où est installé la serrure. Pour le moment, Orange est partenaire pour LoRa, mais Grolleau n’est pas fermé sur cet opérateur, d’autres membres de la LoRa Alliance peuvent rejoindre l’aventure. Des discussions sont notamment en cours avec Objenius (filiale de Bouygues Telecom).
La solution est dès à présent en vente, « aux alentours de 500 euros sur des petits déploiements. L’objectif c’est d’arriver à 300 euros » sur de plus gros chantiers avec un nombre conséquent d’armoires. Il faut évidemment ajouter un abonnement pour LoRa ou Sigfox : « Il faut compter 30 euros environ par an par système ».

Une serrure aussi chez Nexans, avec une fonction « casse voisin »
Nexans, un câblier français, travaille également sur une serrure connectée avec une solution logicielle de gestion des armoires : Infrabird. Le fabricant affirme que sa « solution est actuellement la plus aboutie du marché FTTH et l’une des seules à être testée depuis janvier 2021 en mode multi-opérateurs sur une trentaine d’armoires de rue FTTH à Meaux (pilotage par un Opérateur d’Infrastructure (Orange) et avec la participation de quatre opérateurs commerciaux) ». Il y a Bouygues Telecom, Free via sa filiale IFT, Orange et SFR.
Patrick Le Deun (chargé de clientèle) nous explique que, comme la serrure G’Access, Infrabird peut s’installer sur toutes les portes des points de mutualisation en quelques minutes et sans perçage ; c’est « une solution universelle ». Ce point est d’ailleurs une constante à travers les solutions dont il est aujourd’hui question. Il faut connecter les armoires sans nécessiter de travaux ou l’utilisation d’une ligne électrique.
La serrure se déverrouille à l’aide d’un smartphone via NFC, ou à distance si besoin. La solution est présentée comme étant « autonome (sans batterie ni raccordement énergie) », mais dans la pratique ce n’est pas si simple. Le constructeur nous affirme que le NFC et la serrure utilisent l’énergie transmise par le téléphone pour fonctionner, tandis que les capteurs (ouverture et fermeture de porte) disposent bien d‘une batterie, avec une autonomie de plusieurs années. Sigfox et LoRa sont mis à contribution, avec une gestion des données dans Microsoft Azure.
Nexans peut ainsi identifier « tous les techniciens », ils « ne peuvent donc plus se cacher ». Le message est clair : « tout le monde sera identifié », avec un horodatage. En cas de détérioration, le fautif serait identifiable. Le fabricant nous affirme que durant son expérimentation, les armoires « test ne sont pas dégradées » et que les « 600 techniciens [qui y participent] sont vraiment très contents ». Il faut pour le moment le croire sur parole.
Sur la trentaine testée, les incidents seraient en baisse de 47 %. Nexans est particulièrement content du résultat et affirme même avoir noté un « changement d’attitude » chez les techniciens. Il y aurait aussi des « retours plutôt positifs chez tous les opérateurs commerciaux » (Bouygues Telecom, Free, Orange et SFR). Il ne s’agit dans tous les cas que d’une expérimentation et les résultats devront être confirmés avec le passage à une plus grande échelle.
En plus de sa serrure, Nexans propose une partie logicielle baptisée « casse-voisin ». Elle permet de « détecter instantanément » si une ligne a été débranchée suite à une intervention, que ce soit de manière involontaire ou malveillante (par exemple pour brancher un autre client). Cette application fonctionne avec tous les opérateurs d’infrastructure et commerciaux, nous précise Patrick Le Deun et, là encore, les premiers retours seraient satisfaisants. La société n’a par contre pas souhaité nous communiquer le prix de vente de sa solution.

Idea Optical : pas de serrure connectée, mais du contrôle d’accès
Une autre approche était présentée : iSIA d’Idea Optical, un autre fabricant d’armoires. L’idée n'est plus de bloquer la porte avec une serrure connectée (qui peut être détournée), mais de « mettre du contrôle d’accès » sur l’armoire. La société rappelle que des serrures électroniques avaient déjà été mises en place « dès 2010, mais très vite abandonnées » car elles ne donnaient pas satisfaction. C’est aussi une manière de tacler ses concurrents qui proposent justement ce genre de produits.
« Avec le temps les opérateurs se sont rendu compte que c’était ingérable pour les techniciens […] Ça a été remplacé par des serrures à organigramme, puis des serrures triangles, puis maintenant la dernière évolution c’est de mettre une fente sur le triangle » afin d’ouvrir la porte avec un tournevis plat. Bref, depuis des années il y a eu une simplification du processus d’ouverture pour éviter des dégradations avec une ouverture en force. Malgré tout, de nombreuses armoires restent ouvertes.
« On ne va pas reproduire cette erreur […] Le risque c’est : "bam !" un coup de marteau et ça vole en éclat », ajoute l’entreprise. Pour rappel, certaines armoires sont même ouvertes à coups de meuleuse et il arrive que les techniciens laissent volontairement les portes ouvertes pour « s’entreaider » les uns les autres.
Ariel Turpin, délégué général de l’Avicca (Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel), semble partager ce point de vue… Alors que nous discutions du cas de Yerres avec des armoires cadenassées, il nous explique que certains maires sont à bout : « ils ont tout essayé, la discussion et la concertation, les dégradations continuent et ils s’en prennent plein la tête par les habitants ».
Pour le délégué de l’Avicca, un cadenas devrait très certainement rencontrer le même funeste destin qu’une serrure : « Je pense que le premier technicien qui va tomber là-dessus, il va plutôt aller chercher sa meuleuse que chercher à prévenir la mairie ». Idea Optical ne veut donc pas bloquer l’accès, mais tente de proposer une solution à un constat : « les opérateurs sont un peu aveugles sur ce qui se passe » dans leurs armoires.
Pour commencer, « juste détecter l’ouverture et la fermeture c’est une information que n’ont pas les opérateurs », alors qu’elle est pourtant très importante.
Le bloc iSIA se trouve en haut à droite dans l’armoire
Comme les autres, le système iSIA se fixe dans l’armoire sans avoir besoin de percer le moindre trou et se veut universel. Il est composé d’un bloc avec deux batteries (autonomie de 10 ans) et d’un aimant. Là encore, un réseau bas débit permet de remonter des informations : « on a mené nos premières expérimentations avec Orange […] Je ne suis pas sûr qu’on reste sur du LoRa tout le temps », nous explique le fabricant. Toutes les cartes semblent sur la table pour le moment., y compris un réseau bas débit 4G.
En pratique, iSIA permet aux opérateurs d’infrastructure d’avoir de la visibilité sur le nombre d’interventions, de savoir quel technicien est passé, si la porte est ouverte, etc. Il y a un accès pour le superviseur – via un portail pour le moment, mais « l’objectif c’est de développer des API » –, et une application mobile pour que le technicien puisse pouvoir générer son rapport d’intervention.
Afin que tout le monde puisse en profiter sans problème (même le sous-traitant de huitième niveau), elle fonctionne sans login ni mot de passe ; tout le monde peut la télécharger.
L’entreprise a mis en place un garde-fou : « si vous n’êtes pas géolocalisé à côté d’une armoire, vous ne pouvez pas éditer le rapport d’intervention ; et vous ne pouvez le faire qu’à partir du moment où la porte est ouverte ». Pour le clôturer, il faut « attendre que les portes soient fermées ». Pour Idea Optical, cela revient donc « à du contrôle d’accès » mais sans aucune intervention « sur l’ouvrant ». Là encore, le but est donc d’éviter les armoires ouvertes aux quatre vents, mais rien n’empêche le technicien de la fermer et de la réouvrir avant de partir…
« On aurait pu mettre plein de choses. On a un capteur d’ouverture/fermeture, mais on aurait pu ajouter un capteur de température ou d‘hygrométrie », nous précise la société. Problème, « si ce n’est pas vraiment utile, ça vient entacher l’autonomie ». L’idée est donc pour le moment de se limiter au minimum.
Un capteur a néanmoins été ajouté suite à des discussions avec des clients : un accéléromètre. « Quand l’armoire est choquée avec un déplacement rapide en translation, on peut le détecter ». En effet, il y aurait « beaucoup d’armoires avec des chocs sur la voirie sans que l’opérateur soit au courant ». Pour peu que les câbles aient suffisamment de mou, le point de mutualisation peut continuer à fonctionner après un accident avec une voiture.
Actuellement, le tarif d’iSIA est « aux alentours de 200 euros, c’est un peu la cible qu’on s’est donnée », indique la société prudente. Il y a là aussi un « abonnement pour accéder à l’application iSIA », mais nous n’avons pas son tarif pour le moment.
Dans l’optique d’augmenter la durée de vie des armoires, Idea Optical propose aussi de nouvelles portes avec une structure renforcée. Elles peuvent être installées lorsqu’elles doivent être changées. De nouveaux supports pour la fibre sont aussi proposés afin de passer à un brassage en « M ». Là encore, ce système peut être installé en cas de remise en état, y compris sur d’anciennes armoires.
Pour les curieux, le fabricant exposait un point de mutualisation fictif monté dans les règles de l’art. L’occasion de voir à quoi il est censé ressembler (voir l’image en tête de l’article). Une chose est sûre, il y a encore de longues années devant nous avant d’arriver à un tel résultat dans toutes les armoires de France… si on y arrive un jour.
À noter :
Dans le cadre de la réalisation de cet article, nous sommes allés à l'université d'été du THD à Saint-Etienne. InfraNum a pris en charge une partie de notre transport, hébergement et restauration sur place. Conformément à nos engagements déontologiques, cela s'est fait sans aucune obligation éditoriale de notre part, sans ingérence de la part d'InfraNum.