Dans notre série sur les distributions Linux moins courantes, elementary OS est une figure à part. Dotée d’une interface extrêmement léchée, elle affiche un dépouillement surprenant. Pour autant, le système ne s’adresse pas nécessairement aux débutants, en dépit d’une interface très accueillante.
Après Manjaro, Solus et OpenSuse Leap, place à elementary OS, dont la version 6 est sortie tout récemment. Le système porte bien son nom, en appliquant une sauce Apple à tous les éléments.
Les développeurs ne se sont pas contentés de faire « ressembler » le système à macOS, mais se sont inspirés de la méthode de conception, avec une volonté claire de faire respecter des lignes claires. Aujourd’hui, elementary OS est probablement l’une des plateformes les plus cohérentes en matière d’ergonomie et de choix graphiques.
La réflexion y est poussée et la ressemblance frappante avec le système d'Apple est totalement assumée. Comme nous allons le voir toutefois, les choix de l’équipe ne sont pas parfaits. Car si elementary OS semble inviter les néophytes, certains aspects du système peuvent décontenancer au premier abord.
Notre dossier sur les distributions Linux « secondaires » :
- Linux : Manjaro, la reine des distributions rolling release grand public
- Linux : Solus et Budgie, la facilité d'utilisation avant tout
- Linux : OpenSuse Leap, aussi conservatrice que stable et efficace
- Linux : elementary OS 6 soigne ses détails, mais agace par sa rigidité
Un simple pack d’icônes à l’origine
Bien avant d’être une distribution, elementary était… un pack d’icônes à succès pour GNOME. Dès cette époque, une proximité avec Ubuntu était ancrée, puisque Canonical en a dérivé son pack d’icônes Humanity.
Daniel Foré, développeur américain, décide finalement de tenter l’aventure d’une nouvelle distribution en s’associant avec d’autres. Dès le départ, des règles strictes sont imposées : se concentrer sur l’essentiel, minimiser autant que possible les soucis de dépendances, rejeter les fioritures et concentrer l’ergonomie sur des lignes directrices que tous les logiciels devront respecter, en plus du système lui-même.
La première version de la distribution, nommée Jupiter, sort en avril 2011. Elle est basée sur Ubuntu 10.10. Suivront d’autres préversions : la 0.2 (Luna) en août 2013, la 0.3 (Freya) en avril 2015 et la 0.4 (Loki) en septembre 2016. Un rythme relativement lent, produit par une petite équipe.
Avec la version 0.5, Juno, changement de ton : les développeurs sont prêts et cette 0.5 devient une version 5.0. La dernière en date, la 5.1 (Hera) datait de décembre 2019. Comme la 5.0, elle était basée sur Ubuntu 18.04 LTS. Elementary OS 6 était donc attendue, notamment pour la modernisation de base Ubuntu 20.04.
Odin – c’est son nom – est disponible depuis peu et apporte un grand nombre d’améliorations, dont un remaniement de Pantheon, l’environnement propre à la distribution.
Installation et prise en main
Installer elementary OS 6 est… élémentaire (même sans Watson). L’opération est à la portée de toute personne ayant quelques notions d’informatique, tant le processus se concentre sur l’essentiel. Il se paie le luxe d’être encore plus simple que celui d’Ubuntu, pourtant un modèle du genre en matière de prise en main.
Pour se lancer, il suffit de récupérer l’image ISO du système (2,2 Go). Les développeurs ne s’embarrassent pas de multiples architectures, seuls les processeurs x86-64 sont pris en charge. Le téléchargement passe par un bouton de don, par défaut à 5 dollars. Vous pouvez inscrire 0, surtout si vous voulez avant tout tester la distribution.
Pendant la procédure, on commence par choisir une langue, puis on sélectionne un mode : démonstration (type Live CD), installation classique (effacer le disque et installer) et l’installation personnalisée, cette dernière permet de paramétrer le nombre, le type et la taille de partitions. Dans le cas d’une installation classique, on choisit simplement le périphérique de stockage à effacer, et on enchaine sur le chiffrement de ce dernier, optionnel.
Après quoi, l’installation commence. L’opération ne prend que quelques minutes sur un SSD, comme on peut s’y attendre finalement de n’importe quelle distribution récente. Une fois la jauge remplie, un redémarrage est requis pour continuer. Petite originalité de la distribution, la création du compte utilisateur principal intervient après ce redémarrage. Une fois le compte renseigné, elementary OS propose directement l’écran de connexion.
Le bureau s’affiche alors, et si vous n’avez jamais vu cette distribution, la ressemblance avec macOS sautera aux yeux par la présence d’un dock centré en bas de l’écran. Comme beaucoup de systèmes Linux, on est accueilli par un écran à plusieurs panneaux offrant d’abord des liens d’aide, puis quelques choix propres à l’utilisateur : thème clair ou sombre, couleur d’accentuation, activation optionnelle du mode nuit (couleurs plus chaudes le soir), etc.
Une fois cette étape passée, on peut commencer à utiliser le système. Le bureau a beau se détacher un peu de ce que l’on voit habituellement, on n’est pas perdus pour autant. Le dock fonctionne comme on s’y attend, elementary OS appliquant un thème unique à toutes les icônes. La cohérence est donc bien là.
En haut, l’équivalent de la barre de menus de macOS s’étale en toute transparence. Elle affiche l’heure et la date au centre, le menu des applications et la recherche à gauche, et l’équivalent du tram à droite, avec réglages du son, notifications, réseau et alimentation.
Le menu Applications est important, puisque c’est lui que l’on va chercher dès que les éléments du dock ne sont plus suffisants. En cliquant dessus, on ouvre un panneau disposant en grille les applications présentes, toutes disposant d’une icône du même thème. Celles présentes dans le dock sont, dans l’ordre : la vue multitâche, le navigateur (GNOME Web), le client email, les tâches (une nouveauté), le calendrier, Musique, Vidéos, Photos, l’accès aux paramètres et enfin le Centre d’applications.
Il n’y a donc pas d’accès au gestionnaire de fichiers dans le dock, une absence représentative de la philosophie générale de la distribution. Pour l’ajouter, la manipulation est simple : ouvrez Applications, faites un clic droit sur Fichiers puis sélectionnez « Ajoutez au Dock ». On remarque au passage que le même menu permet de déclencher l’ouverture d’une nouvelle fenêtre, d’une fenêtre en tant qu’administrateur ou encore de désinstaller l’application.
Les bases posées, plongeons un peu plus dans les détails, notamment les nouveautés de cette version 6.
Les améliorations d'elementary OS 6
La nouvelle mouture étant très récente, commençons par passer en revue les apports spécifiques. La base Ubuntu 20.04 entraine une vaste modernisation du système, avec notamment un noyau Linux 5.11 bien plus récent.
L’une des plus grosses nouveautés – et des plus attendues – est l’arrivée d’un thème sombre pour tout le système. Comme toujours dans ce cas, on peut le choisir manuellement ou sélectionner la bascule automatique, en fonction du lever/coucher du soleil, ou encore définir son propre créneau :

Un thème très réussi, équipé d’un panneau de gestion ressemblant très fortement à celui de macOS quand on choisit la couleur d’accentuation, elle aussi une nouveauté. Notez que la liste montre une pastille arc-en-ciel. Elle représente une couleur automatique, s’adaptant à la teinte majoritaire détectée dans le fond d’écran. L’ensemble est complété par une nouvelle police, baptisée Inter, simple et sobre.
L’inspiration de macOS ne s’arrête pas là. elementary OS 6 reprend, par exemple, les mêmes gestes tactiles multitouch que sur les MacBook, avec les trois doigts vers le haut pour déclencher la vue multitâche (semblable à Exposé), ou vers la gauche/droite pour basculer entre les espaces de travail (bureaux virtuels).
De même, cette sixième version affiche des pastilles sur les icônes pour signaler des événements en attente, des actions personnalisées sur les notifications. Ces dernières profitent d’un nouveau centre qui a la bonne idée de les regrouper par applications. Une présentation nettement plus propre et efficace.
Les applications intégrées s’enrichissent également. Parmi les gros changements, on note l’arrivée de l’application Tâches compatible CalDAV et la réécriture du client email. Il utilise désormais EDS (Evolution Data Server) pour la connexion des comptes. Mais attention, cette modernité a un coût : il n’est pour l’instant compatible qu’avec IMAP.
L’application Camera se dote en outre d’une nouvelle interface et de quelques fonctions, comme la capacité de basculer entre plusieurs sources (si elles existent). Le menu contextuel est plus utile, avec de petites fonctions pratiques selon l’endroit où il est appelé. Sur une fenêtre d’application par exemple, on peut déclencher une capture. Sur le bureau, un lien vers les paramètres apparaît, sur l’icône du son on retrouve le volume tandis qu’un clic molette active ou désactive le son complètement, etc.
Le gestionnaire de fichiers comprend quelques changements aussi. Le plus perturbant est le passage au clic simple pour ouvrir les dossiers, car le double-clic reste requis pour les fichiers. Une différence d’autant plus étrange qu’aucun paramètre ne permet de changer ce comportement. Deuxièmement, la colonne latérale permet d’épingler des favoris par glisser/déposer. Cependant, on ne peut toujours pas déplacer un élément affiché à droite dans l’un des dossiers épinglés. Une absence aussi troublante que pénible.
Autre modification, le Centre d’applications ne fournit désormais plus que des paquets Flatpak. Une bascule majeure aux conséquences multiples, comme nous le verrons plus tard.
Une distribution étrangement chiche
L’aspect un peu « vide » d’elementary OS fera hausser quelques sourcils, tant la distribution semble se contenter du strict minimum. Le système ne fournit en effet que des outils internes, soigneusement préparés par l’équipe de développement et extrêmement bien intégrés.
Mais dès que l’on cherche des applications pour produire, il faut les installer. On ne trouvera pas ici de suite bureautique, de logiciel de gravure, d’applications de traitement du son ou des vidéos, d’outils de développement et autres. En l’état, la distribution est loin d’être aussi prête à l’emploi qu’une Manjaro ou une OpenSuse.
À moins que l’on souhaite simplement surfer sur le web et lire ses courriers, il faudra donc aller chercher ce dont on a besoin. Et c’est là que les problèmes commencent.
Installation des applications : le début des ennuis
Dans notre série d'articles, cette partie est importante, car elle a pleinement trait à l’ergonomie et à la manière dont la distribution cherche à rendre service pour moduler l’environnement à nos besoins. Autant le dire franchement, elementary OS 6 ne brille pas dans ce domaine. Ouvrir le Centre d’applications suffit à s’en convaincre.

En dépit de son nom, il ne contient pas grand-chose. Les catégories affichent peu d’applications à chaque fois, ce qui pose très vite la question de sources tierces pour s’approvisionner, d’autant que l’on ne peut pas toucher aux sources du Centre : il cherche uniquement dans le dépôt standard de la distribution.
Pourquoi un tel vide ? Parce qu’elementary OS impose aux développeurs tiers de modeler leurs applications selon les canons établis par l’équipe. La conséquence est là. Une rigidité rare dans un système Linux, qui empêche par exemple de récupérer facilement Firefox ou LibreOffice. Leurs développeurs n’ont tout simplement pas fourni de versions dédiées, ce que l’on peut comprendre. Un simple coup d’œil à la catégorie Internet suffit à prendre la mesure du problème : E-Mail, Iridium, Taxi, Torrential et Web de GNOME. C’est tout.
Comment faire ? Plusieurs méthodes sont possibles. Puisque la distribution est taillée pour les flatpaks, on peut se rendre sur FlatHub et récupérer tout ce qui nous intéresse. Si vous n’avez jamais utilisé de flatpaks, préparez-vous à un choc en voyant les tailles installées des paquets. Plus de 800 Mo pour Firefox par exemple.
Cette place consommée vient du fonctionnement des flatpaks, où chaque application est récupérée avec ses propres dépendances, qui ne sont pas réinstallées à chaque fois. Après installation de Firefox par exemple, LibreOffice ne réclame plus que 364 Mo, ou encore 977 Mo pour Visual Studio Code. Nous avions d’ailleurs analysé ce fonctionnement, utilisée également par les snaps de Canonical et le format AppImage.
Et voici le point le plus étrange : une fois que l’on a installé au moins une application via FlatHub, il devient possible de chercher dans cette source depuis… le Centre d’applications.
Si vous y avez récupéré par exemple Firefox, vous trouverez LibreOffice et Visual Studio Code dans le Centre avec une simple recherche. Elles sont affichées dans une catégorie « Applications non vérifiées » des résultats. On se demande donc pourquoi ne pas avoir donné cette possibilité dès le départ ou l’avoir placée derrière une option.
Les installations via FlatHub sont sans doute les plus simples puisqu’elles sont entièrement graphiques et se font à travers un vaste catalogue comprenant presque tout ce dont on pourrait avoir besoin. On pourrait en citer d’autres, comme Synaptic ou le Software Center d’Ubuntu, qui permettent de récupérer facilement des applications.
On peut bien sûr se servir de l’outil apt
en ligne de commande pour gérer ses applications, exactement comme sous Ubuntu. Il est déjà présent et attend donc que l’on s’en serve. Ce qui pourrait expliquer d’ailleurs que les développeurs n’aient pas été gênés de lancer un Centre d’applications très peu fourni.
L’un dans l’autre, la situation nous semble problématique. Une personne habituée ne devrait pas être bouleversée, le réflexe Terminal étant déjà ancré dès qu’une interface ne tient pas ses promesses. Mais si elementary OS 6 a l’ambition de plaire aux néophytes, ils seront perdus face à un Centre d’applications presque sans applications.
C’est un défaut, selon nous, dans la logique même du système, qui se veut extrêmement simple et accessible. Ce qu’il est, tant que l’on peut se contenter de ce qui est fourni par l’installation… ce qui est impossible. Pourquoi dès lors publier un système en l’état, qui nécessite de contourner complètement sa philosophie pour exécuter une opération aussi simple qu’installer un navigateur ou une suite bureautique grand public ?
Une vision non aboutie
Notre temps passé sur elementary OS 6 est un mélange d’impressions positives et de frustrations produisant un résultat des plus étranges. L’environnement Pantheon est agréable à l’utilisation. Tout est fait pour simplifier les manipulations courantes, les zones d’actions sont clairement identifiées.
L’utilisation générale est logique et le tout est servi par de bonnes performances générales, avec des temps de démarrage et d’extinction très rapides. Petit aparté d’ailleurs, ce constat n’est pas valable dans une machine virtuelle, la distribution s’y montrant poussive. En natif, aucun souci de ce genre.
Sorti de ces constats, il existe toute une flopée d’agacements. Le plus pénible est la disponibilité des logiciels dans le Centre d’applications. En l’état, il n’est pas assez fourni, et c’est un euphémisme.
Une distribution ayant l’ambition de prendre l’utilisateur par la main pour lui simplifier la vie ne devrait pas requérir de chercher comment réaliser une opération aussi simple. Surtout sous Linux, connu pour sa pléthore de logiciels pouvant répondre à n’importe quel besoin. À moins d’avoir une personne s’y connaissant un peu et pouvant expliquer les manipulations à réaliser, elementary OS 6 nous semble peu adapté aux néophytes.
Le problème est accentué par le choix radical de ne fournir que des paquets flatpak. Le système en lui-même ne réclame pas plus de place qu’un autre, avec une image ISO de 2,2 Go environ et un prérequis de 15 Go libres. Mais si vous installez elementary OS 6 sur une machine équipée d’un petit SSD, le manque de place pourrait vite se faire sentir si vous souhaitez plusieurs applications. Firefox et Visual Studio Code mangeront 2 Go à eux seuls.
La faute probablement au choix de l’équipe, qui a fait sienne une certaine philosophie d’Apple : « Nous savons mieux que vous ». Problème dans le cas d’elementary OS, cette logique est poussée à l’extrême, sans que l’on sache s’il s’agit d’une décision pleinement assumée ou un simple manque de temps pour peaufiner ces flux d’utilisation.
Cette philosophie rigide se retrouve dans de nombreux endroits, tout spécialement le manque d’options. Exemple flagrant, la transition de la croix de fermeture qui est passée à gauche et la disparition – assez incroyable – du bouton de minimisation. Pour faire disparaître une fenêtre, il faut soit sélectionner « Masquer » dans le menu contextuel de la fenêtre, soit passer par le raccourci clavier ⌘ + H. On a vu plus pratique.
On regrette également que le mode écran ne soit pas plus abouti. Il reprend en partie le comportement de macOS, la fenêtre remplissant l’écran et faisant disparaître le dock. La barre du haut reste cependant affichée, alors qu’elle ne sert pas à grand-chose dans ce contexte. Et quand bien même, elle aurait pu apparaître en envoyant la souris en haut, comme le dock s’affiche quand on place le curseur en bas de l’écran.
Ce manque de souplesse est hurlé en permanence par le système, qui doit être utilisé d’une certaine manière, sans que l’utilisateur n'ait son mot à dire. Oui, on peut définir des coins actifs, choisir de ne pas faire disparaître le dock quand une fenêtre le chevauche, modifier la taille des icônes ou celle du texte, ou régler finement les notifications.
Mais ce n’est pas assez, tant s’en faut, car rien n’existe pour les changements radicaux faits en matière d’ergonomie dans cette nouvelle version. Il est pourtant de tradition de respecter les utilisateurs dans ce genre de cas en leur offrant la possibilité de remettre l’ancien comportement, au moins pendant un temps. Notez cependant qu'un projet tiers, pantheon-tweaks, permet justement d'influer sur tous ces points via une série d'options rassemblées dans une fenêtre. Un outil qui devrait faire partie intégrante du système.
Ces défauts sont d’autant plus regrettables qu’elementary OS 6 est une très belle distribution, avec un soin évident porté aux détails graphiques qui en ferait une concurrente de Linux Mint par exemple. Conséquence, le système est davantage recommandé pour les personnes qui savent déjà manier Linux que pour les nouveaux venus.
On espère que les développeurs prendront le temps de se pencher sur les avis et d’écouter les utilisateurs. Peu de changements seraient nécessaires pour qu’elementary OS 6 prenne une toute autre ampleur pour que sa découverte soit bien plus fluide. Nous suivrons donc ses évolutions de près, car son potentiel est conséquent.