Nous continuons notre série d’articles sur les distributions Linux « secondaires » avec Solus. C'est une distribution indépendante, qui n'est donc basée sur aucune autre. Agréable à utiliser, elle doit beaucoup à son environnement, Budgie.
Notre article sur Manjaro a initié une série sur les distributions Linux ayant moins pignon sur rue qu’Ubuntu, Fedora ou encore Debian. Elles sont moins connues du grand public, mais fédèrent une communauté de fidèles.
Les améliorations y sont continues et on retrouve régulièrement des briques communes. Le temps où plusieurs systèmes n’avaient que leur noyau en commun est en effet très loin. Et à ce petit jeu, Solus s’est fait remarquer en fournissant notamment une interface léchée, réutilisée par ailleurs.
Une attention aux détails graphiques qui rappelle le soin apporté par les développeurs de Linux Mint. Comme nous le verrons cependant, tout n’est pas rose pour autant, notamment quand l’on tient à utiliser le système en français.
Notre dossier sur les distributions Linux « secondaires » :
- Linux : Manjaro, la reine des distributions rolling release grand public
- Linux : Solus et Budgie, la facilité d'utilisation avant tout
- Linux : OpenSuse Leap, aussi conservatrice que stable et efficace
- Linux : elementary OS 6 soigne ses détails, mais agace par sa rigidité
Présentation générale
Notre choix de Solus s’explique : comme Manjaro, Solus est une distribution grand public en rolling release. La dernière version proposée par Solus est la 4.3 – apparue le 11 juillet – mais elle ne correspond qu’à un instantané du développement et de la distribution. Une fois que le système est installé, il est continuellement mis à jour, en l’occurrence tous les vendredis.
Il est plus jeune que Manjaro. La première mouture date de décembre 2015 et il s’agissait alors bien d’une version. La bascule en rolling release intervient le 1er janvier 2017. Pendant quelques mois la nomenclature est de type « 2017.01.010 » puis, en août de la même année, sort une version 3.0.
Après la 3.9999 en septembre 2018, la 4.0 débarque en mars 2019. Surnommée « Fortitude », elle signale d’importantes améliorations pour l'environnement graphique Budgie. En pratique, les personnes qui avaient déjà le système installé ont simplement reçu ces nouveautés via une mise à jour, comme les précédentes.
Solus se présente volontiers comme une distribution simple et clairement tournée vers le grand public. Elle est plus simple, en fait, que Manjaro. On la récupère sous la forme d’une image ISO depuis le site officiel. Elle est proposée en quatre parfums : Budgie, GNOME, MATE et Plasma (KDE). Il s’agit bien de quatre variantes officielles et donc maintenues par l’équipe.
Les images ont un poids oscillant entre 1,8 et 2,1 Go. Elles sont donc plus légères que celles de Manjaro (2,4 à 2,8 Go), mais la sélection logicielle est moins étoffée. Nous avons opté pour la première des quatre, puisque Budgie est au départ spécifique à Solus, c'est son équipe qui est derrière le projet et le développe.
Installation et prise en main
La plupart des distributions Linux sont aujourd’hui très simples à installer. Elles n’ont souvent rien à envier à un macOS ou un Windows, voire les dépassent en facilité avec un processus plus fluide et une série de questions faisant gagner du temps sur les étapes successives.
L’installation de Solus se classe clairement dans le haut du panier. L'outil affiche sur la gauche une colonne avec la liste des étapes. On sait donc toujours où l’on en est. Il se distingue également par quelques questions que l’on trouve rarement. Par exemple, il faut cocher une case pour que la géolocalisation se fasse automatiquement. À l’étape de partitionnement, deux cases sont proposées pour utiliser LVM et chiffrer le disque système.
La création des comptes est intéressante elle aussi. On ne crée pas seulement un compte pour contenter le système et pouvoir démarrer ensuite. Les informations ne font que valider un premier compte, présenté ensuite dans une liste faisant comprendre que l’on peut en ajouter d’autres, en appuyant sur le bouton « + ».
Après un résumé des choix effectués dans les étapes précédentes, l’installation démarre et s’exécute rapidement.
Le premier contact avec Solus est plaisant. Budgie est bâti sur les fondations de GNOME avec un « look & feel » hérité de la branche 2.x. On retrouve donc une barre des tâches, un menu général semblable au Démarrer de Windows et quelques icônes dans la zone en bas à droite : réseau, notifications, son, alimentation, heure, etc.

On peut également y ouvrir un panneau latéral, semblable à ce que l’on trouve dans macOS et Windows. Il est divisé en deux catégories. D’abord une section dédiée aux applets, c’est-à-dire des éléments flottants que l’on peut incruster : calendrier, volume sonore, titre en cours de lecture, périphériques de sorties audio et volume du micro. La seconde concentre les notifications en attente. Une présentation simple et efficace.
Le menu général est lui aussi très facile à prendre en main, avec des listes d’applications et paramètres classés par catégories. Contrairement à Manjaro, ces dernières sont à gauche et les applications à droite, un classement plus logique sans doute pour le commun des mortels.
Pour le reste, on retrouve un accès au gestionnaire de fichiers (nommé tout bêtement Fichiers) et la corbeille. Notez que Solus fonctionne sur un mode de clic simple pour ouvrir les éléments comme les dossiers. Si vous préférez le double-clic classique, vous pouvez changer ce comportement dans les Paramètres du Bureau Budgie.
Un ensemble cohérent d’applications et composants
Solus fournit moins d’applications que Manjaro, mais la distribution est quand même prête à l’emploi. On retrouve les très classiques comme Firefox et Thunderbird, respectivement navigateur et client email par défaut. il y a des chances pour qu’il faille les mettre à jour après l’installation du système. Pour Firefox par exemple, la version 90 est sortie depuis et vous attend dans le panneau de gestion des logiciels (nous y reviendrons).
On est moins intimidé par la sélection de Solus que dans Manjaro. Si le choix y est plus resserré, on retrouve quand même une suite bureautique cette fois : LibreOffice. La version fournie est la 7.1.4.2, dernière en date.
Budgie (version 10.5.3) est globalement une réussite. Sur un plan ergonomique, il ne cherche pas à réinventer la roue. La version fournie par Solus est basée sur la dernière révision stable de GNOME (40.2) et on retrouve des éléments non modifiés comme les Paramètres, presque identiques à ceux d’Ubuntu par exemple. On se déplace dans Solus comme si l’on connaissait déjà le système, avec un agréable sentiment d’évidence.
Autre différence marquante par rapport à Manjaro, la fraîcheur des paquets. Cette dernière s’inspire d’avantage d’une Debian, en privilégiant souvent les versions LTS (Long Term Support). Pas de ça sous Solus, qui tient davantage d’une Fedora. Le noyau Linux fourni est en version 5.13, autrement dit la dernière.
Avec son fonctionnement de rolling release, nul doute que la mouture 5.14 – imminente puisqu’en RC3 – arrivera bientôt. Grâce à son noyau récent, Solus prend nativement en charge l’immense majorité du matériel actuel.

Le système est fourni avec de nombreuses versions très récentes de composants majeurs comme ffmpeg (4.4), gstreamer (1.18.4) et PulseAudio (14.2). Solus n’a pas encore fait le choix de PipeWire pour remplacer PulseAudio, probablement pour des questions de compatibilité.
C’est une différence avec Fedora, dont l’aspect laboratoire lui fait souvent adopter des technologies bien avant les autres, comme on l’avait vu avec Wayland, adopté par défaut dès novembre 2016. Solus intègre également Mesa 21.1.3 et bluez 5.60, qui corrige plusieurs soucis dans le support des périphériques Bluetooth. À noter l’intégration du décodeur AV1 dav1d développé par les équipes de VLC, en version 0.9.0.
Installation et gestion des applications
Si Manjaro proposait dès le lancement du système un panneau de bienvenue avec divers liens utiles et un bouton permettant des installations supplémentaires d’applications, il n’en est rien pour Solus.
Pour vous fournir en logiciels, il faut se rendre dans Software Center. Pas besoin de chercher loin, il s’agit de la première icône après le menu général dans la barre des tâches. La présentation est très classique. À gauche, une colonne contenant des sections comme Accueil, Mises à jour, Installé, Logiciels tiers, etc. À droite le contenu.
Une section permet de trouver rapidement ce que l’on cherche. Dans Accueil, des catégories renvoient vers des sous-catégories puis des sélections d’applications. Vous voulez installer la dernière préversion de Vivaldi ? Rendez-vous dans Internet Software > Web browsers. On trouve la ligne Vivaldi-snapshot, on clique dessus et on arrive sur la fiche descriptive. De là, il n’y a plus qu’à cliquer sur Installer.
La procédure se lance après validation des éventuelles dépendances (ffmpeg-chromium ici).
L’installation des applications est très rapide dans Solus. L’interface du Software Center pourrait cependant être plus efficace dans son organisation. L’enchaînement des catégories et sous-catégories pose problème quand on a trouvé une application mais qu’elle ne correspond pas à ce que l’on cherchait. Il faut alors cliquer plusieurs fois sur le bouton Précédent, car aucun ne permet de revenir à l’écran d’origine.
La section Logiciel tiers contient une série d’applications dont la licence pose problème et qui ne peuvent donc pas être intégrés dans le dépôt principal de Solus. Comprendre, dans la plupart des cas, qu’il y a des sources fermées. On y retrouve notamment Android Studio, Chrome, Enpass, Moneydance, Plex Media Server, Skype, Slack, Spotify ou encore TeamViewer. Des applications courantes qu’il est pratique d’avoir sous la main en cas de besoin.

Solus a ses propres dépôts, mais comme dans pratiquement toutes les autres distributions, on peut en ajouter d’autres. Notez également que le système est compatible d’origine avec les paquets Flatpak et Snap. Si vous préférez les lignes de commande, il faudra passer par eopkg, lui-même un dérivé de PiSi.
La syntaxe en est relativement fluide, et on s’habitue vite aux capacités du gestionnaire de paquets :
sudo eopkg search nom_du_paquet // Cherche le paquet
sudo eopkg install nom_du_paquet_X nom_du_paquet_Y // Installe les paquets X et Y
sudo eopkg remove nom_du_paquet // Désinstalle le paquet
sudo eopkg install --reinstall nom_du_paquet // Réinstalle le paquet
sudo eopkg upgrade // Met à jour tous les paquets installés
Les très bonnes performances de Solus
Comme pour Manjaro, nous avons installé deux fois le système, une fois nativement, l’autre dans une machine virtuelle. Dans le premier cas, la configuration était basée sur un Ryzen 5 5600X, épaulé par 16 Go de mémoire et un SSD. Dans le second, elle était volontairement limitée à un seul cœur et 2 Go de mémoire.
Le système était bien sûr plus à l’aise avec une installation classique. Mais il faut noter dans les deux cas un démarrage extrêmement rapide en moins de 3 secondes. C’est un peu plus que Manjaro, mais quand on en arrive à des temps si courts, la différence n’est plus un argument.
En temps de lancement des applications Solus fait un peu moins bien que Manjaro. C’est le plus souvent imperceptible, la différence se notant sur des applications plus lourdes comme LibreOffice Writer. Dans l’ensemble, la réactivité est excellente. La consommation de mémoire après un démarrage à froid dépassait à peine les 700 Mo. L'équipe sait manifestement ce qu'elle fait.
Comme pour Manjaro, on est donc dans le type de distribution qui peut aisément faire revivre une ancienne machine, à condition que le processeur soit un modèle 64 bits. On est résolument dans le cas d’un système pour PC, seule l’architecture x86_64 étant supportée.
Contrairement à sa concurrente notamment, il n’y a ici aucun effort de support pour ARM. Ce n’est pas son créneau.
Une distribution qui a beaucoup pour plaire, mais pas sans défauts
Solus est l’exemple type d’une distribution que le grand public peut prendre en main et savoir piloter sans trop changer ses habitudes. Malheureusement, il y a des défauts à signaler, le premier étant la traduction française.
Elle est partielle, comme on a pu le voir le Software Center, dont le nom annonce la couleur. Certains diront que le nom de cette application cruciale peut bien rester en anglais, sans que ce soit gênant. Certes, mais autant être cohérent et pousser la logique jusqu’au bout, le gestionnaire de fichiers s’appelant… Fichiers.
Surtout, ces traductions manquantes se retrouvent à plusieurs endroits dans le système.

Dans le cas de personnes débutantes, ce sera surtout gênant à l’intérieur du Software Center : les catégories, sous-catégories et descriptifs des paquets sont tous en anglais. C’est un problème, car une traduction perd nettement de son intérêt si la langue d’origine empêche de faire un choix. On retrouve le souci dans les descriptions des logiciels tiers ou même dans les paramètres de l’application.
Même chose dans le menu général, en moins grave. Vers la fin des catégories, toutes écrites en français, on tombe sur System Settings. À droite, on aperçoit un Hardware Drivers. Firefox est installé en anglais, tout comme Thunderbird, alors que LibreOffice est en français. Ce qui ajoute à l'impression d'un manque de cohérence.
Beaucoup passeront outre en haussant les épaules, les autres seront potentiellement bloqués.

Heureusement, ce problème pourrait être facilement résolu et ne remet pas en cause la cohérence de l’ensemble. À Budgie, on pourrait reprocher quelques choix sur l’alignement des éléments ou la taille de quelques contrôles. Certaines manipulations deviennent pénibles parce qu’à répéter un peu trop souvent, comme agrandir la taille du texte dans le terminal. Pourquoi ne pas retenir simplement le dernier niveau de zoom utilisé ?
Pris isolément, ce ne sont souvent que des broutilles. L’ensemble fait cependant ressortir un manque de finitions qui n’est en rien bloquant. Si vous cherchez un système rapide et agréable à installer sans plus s’en soucier après, Solus est un bon candidat. Sur ce créneau, meilleur en fait que Manjaro, misant plus sur la liberté de bidouiller et modifier. Dans cette optique, on aurait d’ailleurs aimé que Solus intègre un gestionnaire de sauvegarde.
Solus est donc un système vous prenant par la main et travaillant à gommer les frictions homme/machine. Elle a elle-même ses frictions, mais elles pourraient être aisément corrigées dans de futures mises à jour. Notez que si l'environnement graphique Budgie vous plaît mais pas le fonctionnement en rolling release, l’environnement se retrouve sur d’autres distributions, comme Ubuntu Budgie, très appréciée aussi de certains utilisateurs.