74 députés PS, LFI, PCF et Libertés et Territoires ont transmis leurs critiques au Conseil constitutionnel. Next INpact diffuse cette saisine, riche de plusieurs arguments sur l’autel des libertés et droits fondamentaux.
Passera ou ne passera pas le filtre du Conseil constitutionnel ? La réponse est attendue le 5 août prochain, selon le calendrier dévoilé hier par les neuf Sages. Ce jour, la Rue de Montpensier rendra sa décision au sujet de la solidité du projet de loi sur la gestion de la crise sanitaire, adoptée par le Parlement dimanche dernier.
Comme les sénateurs de gauche, les députés du même clan viennent eux aussi de saisir le Conseil constitutionnel, non sans déjà reprocher le déroulé de l’agenda qui a conduit les élus à connaître, analyser et proposer de nombreux amendements.
Ils rappellent que le gouvernement avait déposé son projet de loi le 19 juillet « à 23 heures 40 », alors que le délai maximum pour déposer les amendements en commission fut fixé le lendemain à 16 heures. Ils n’ont bénéficié par la suite non plus de 16 heures mais de seulement 10 heures pour aiguiser leur proposition pour l’examen en séance, mercredi 21 juillet.
« Lors de la deuxième réunion de commission, les députés ont en effet été amenés à siéger en commission de 21h à 5h du matin, soit huit heures sans répit, dans le but de terminer l’examen du projet de loi. En séance, l’examen s’est quant à lui achevé à 5h40 le vendredi 23 juillet après plus de 8h d’examen, là aussi sans répit ».
Un régime similaire au Sénat puis en commission mixte paritaire a conduit les élus de gauche à considérer que « la recherche de l’objectif de clarté et de lisibilité de la loi commande que les débats puissent se dérouler dans un environnement propice ».
C’est d’autant plus vrai, rappellent-ils, que le décret du 14 juin convoquant la session extraordinaire ne prévoyait pas l’examen de ce projet de loi. C’est finalement un décret complémentaire, signé Emmanuel Macron qui a ajouté ce projet de loi à la liste des travaux en cours. Un texte bien tardif puisque publié le 20 juillet, soit le jour même où le projet de loi a été déposé à l’Assemblée nationale.
Critique de l'extension du passe sanitaire
Sur le fond, ils estiment que le texte n’a pas opéré « une conciliation équilibrée entre l’objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé publique et les autres droits et libertés susceptibles d’être remis en cause ».
À l’index, ce nouvel état d’exception étendu jusqu’au 15 novembre alors qu’une grande majorité de Français seront d’ici là primo-vaccinés dès septembre.
Dans le flot des reproches constitutionnels, les députés estiment que l’article 1, qui impose l’extension du passe sanitaire, engendre une atteinte au principe d’égalité dans la mesure où ce justificatif s’apparente à une obligation de soin, et qu’il sera impossible pour l’ensemble des personnes désireuses de se faire vacciner de bénéficier des deux doses dans les temps.
Certes, le justificatif pourra être délivré après avoir fait des tests virologiques, mais difficile d’envisager que des millions de personnes puissent les réaliser toutes les 72 heures, d’autant que ces mêmes tests vont devenir payants et qu’existeraient des inégalités entre les territoires.
Ce n’est pas tout : le passe sanitaire étendu aux mineurs de plus de 12 ans est jugé tout autant disproportionné, alors qu’ils sont dans une situation « objectivement différente » des adultes.
Même remarque s’agissant de la généralisation du passe à l’ensemble des restaurants et autres cafés, sans distinction entre les espaces intérieurs et extérieurs, ou aux centres commerciaux « qui sont parfois des lieux de circulation et d’accès aux stations de transports en commun ». Les élus y voient autant d’atteintes à la liberté d’aller et venir, à la liberté de mener une vie sociale et familiale normale.
Contrôle permanent d'une partie de la population par une autre partie de la population
Les députés dénoncent en outre un système généralisé de contrôle de la population par la population : « le législateur a mis en place un dispositif de contrôle permanent et continu par une partie de la population (…) sur une autre partie de la population », reprochent-ils.
Un exercice incompatible avec leur activité professionnelle, difficilement applicable lorsque les moyens sont rares. Pire, une même personne ou une famille pourra ainsi être soumise à des dizaines de contrôles chaque jour pour mener à bien ses activités quotidiennes.
Des mesures « de nature à attiser les tensions sociales les plus vives, l’effet d’épuisement de la population amenée à présenter son smartphone ou un document papier toutes les deux à trois heures n’ayant aucunement été anticipé par le législateur ».
Ils pointent également une atteinte à la liberté d’entreprendre où les commerçants devront choisir entre l’embauche en urgence ou bien une baisse d’activité pour mener eux-mêmes ces contrôles, sans compensation, ni limite.
Le cas des salariés
La saisine juge également la sanction des salariés travaillant dans les structures soumises au passe sanitaire comme disproportionnée, à savoir la suspension de l’activité et de la rémunération pour les CDI, la rupture anticipée pour les salariés en CDD et les intérimaires qui ne présenteraient pas un tel document à partir du 30 août.
Entre la possible saturation des créneaux de vaccination, le respect des délais entre deux injections, le risque est grand que les personnes concernées n’aient pas achevé leur parcours vaccinal à cette date. Pour les salariés à contrat à durée déterminée, le texte enclenche une discrimination sur l‘état de santé, pourtant « un principe édicté en vertu de conventions internationales ».
Outre l’article 2 sur l’entrée et le séjour des étrangers et du droit d’asile, d’autres dispositions sont pointées du doigt. Ainsi, la conservation des données sensibles dans le système d’information de dépistage est étendue à 6 mois alors que la sortie de l’état d’urgence sanitaire est fixée au 15 novembre.
Contrôle de l'auto-isolement fondée sur suspicion
Les mesures d’isolement subissent des assauts similaires. Le texte instaure un système d’auto-isolement mais dont l’encadrement manque d’intelligibilité, considèrent les auteurs de la saisine, en ce que le non-respect de cet isolement sera pénalement sanctionné.
Autre problème, à leurs yeux : les agents de l’assurance maladie pourront contrôler le respect de cette mesure mais sans que ce contrôle n’ait été convenablement défini. Ainsi, ils pourront agir sur « suspicion de non-respect ». Pour ces députés, voilà un appeau à arbitraire « le plus total sur simple dénonciation malveillante du voisinage ou d’individus mal intentionnés ».
Cette notion de « suspicion » laisse un trop large champ aux autorités administratives quand il revient à la loi de définir précisément et d’équilibrer les atteintes aux libertés.
Et si la saisine prend soin de relever qu’il sera possible pour la personne isolée de saisir le juge aux fins de lever cette mesure, elle relève qu’au regard des projections de cas Covid positifs (« 143 000 cas par jour dans moins de trois semaines », précisent-ils, contre près de 22 000 tests positifs au 23 juillet, d'après CovidTracker, ndlr), le système judiciaire sera dans l’incapacité d’y répondre.