Comment vos photos indexées par Google risquent d'enrichir les sociétés de gestion collective

Des .GIF qui se perdent
Droit 7 min
Comment vos photos indexées par Google risquent d'enrichir les sociétés de gestion collective
Crédits : vetkit/iStock/ThinkStock

À l’approche de l’examen du projet de loi relatif aux Œuvres culturelles à l'ère numérique, le groupe socialiste, écologiste et républicain a déposé un amendement pour réactiver une disposition de la loi Création de 2016, à savoir une « taxe » sur les services de référencement d’images, prélevée par les sociétés de gestion collective. Il vient d’être adopté en commission.

La disposition avait déjà été adoptée par la loi Liberté de création, architecture et patrimoine (LCAP) de 2016, mais elle était depuis restée lettre morte.

Retour sur le régime mis en œuvre à l’époque, d’une simplicité biblique. Un véritable forage dans les sous-sols de la caverne d’Ali Baba, du moins pour les sociétés de perception : la simple publication d’une image et son référencement pour un moteur entrainait obligation de rémunération pour les services d’indexation. C'est la fameuse Taxe Google Images. 

Ses partisans considèrent en effet qu’une telle indexation engendre un préjudice patrimonial et éventuellement moral aux auteurs des contenus, c’est du moins ce qu’affirme le professeur de droit Pierre Sirinelli, dans son rapport portant sur les services de référencement d’images, rédigé à la demande du Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique au ministère de la Culture. 

Dans la loi de 2016, ces moteurs ne pouvaient « utiliser les œuvres pour le référencement qu’à condition d’avoir passé une licence avec l’organisme de gestion collective compétent », dixit encore Pierre Sirinelli. Évidemment cette licence aurait été négociée si possible avec carnet de chèques en main.

Seulement, le dispositif inscrit aujourd’hui à l’article L136-4 du Code de la propriété intellectuelle destiné à compenser la reproduction et la représentation des photos, dessins, images, etc. par les moteurs est resté sur le banc de touche.

Une jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne a eu raison de ce chantier, et surtout du décret d’application qui devait transformer ce rêve doré en réalité monétaire. Quand il s’est exprimé pour avis sur ce décret, le Conseil d’État a ainsi émis un avis lourdement défavorable.

La décision ReLIRE a eu raison d’une première version de la taxe Google Images

Cette jurisprudence européenne de 2016 concerne la loi française « ReLIRE » sur les livres indisponibles qui reposait sur un système similaire.

La loi du 1er mars 2012 relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle a voulu faciliter la valorisation de ce patrimoine un peu oublié. Les livres publiés en France avant le 1er janvier 2001 allaient pouvoir être numérisés dès lors qu’ils ne feraient plus l’objet d’une diffusion commerciale par un éditeur ou n’étaient plus imprimés d’une manière ou d’une autre. La SOFIA, société de gestion collective, allait pouvoir autoriser la reproduction de ces livres sous une forme numérique.

Il lui suffisait d’attendre six mois à compter de l’inscription des ouvrages dans ReLIRE, le Registre des livres indisponibles en réédition électronique géré par la Bibliothèque nationale de France.

Sauf que ce plan doré a croisé la route de la CJUE. Dans son arrêt Soulier et Doke, elle a décapité cette mécanique très ambitieuse, qui avait bêtement omis de prévoir une information individualisée des auteurs, notamment ceux qui s’opposeraient à l’exploitation sous une forme numérique de leurs livres considérés comme oubliés.

Remarque acerbe de la Cour adressée à la patrie de l’exception culturelle : « Il n’est (…) pas exclu que certains des auteurs concernés n’aient en réalité pas même connaissance de l’utilisation envisagée de leurs oeuvres, et donc qu’ils ne soient pas en mesure de prendre position, dans un sens ou dans un autre, sur celle-ci. Dans ces conditions, une simple absence d’opposition de leur part ne peut pas être regardée comme l’expression de leur consentement implicite à cette utilisation ».

La taxe Google Images fut victime par ricochet de cette jurisprudence puisqu’elle omettait également un tel degré d’information des auteurs.

La mission du Pr. Sirinelli

C’est à la suite de cette décision qu’au ministère de la Culture, une mission au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique a été lancée, portant justement sur le référencement des images, afin de s’assurer de « la mise en œuvre effective » de cette redevance infligée sur les moteurs . 

Dans son rapport précité, le professeur de droit Pierre Sirinelli a pris soin d’établir un plan d’attaque, avec à l’appui un texte ficelé, prêt à l’emploi.

Il opte pour une licence collective étendue. Système ô combien charmant pour les sociétés de gestion collective puisque cette licence « permet de couvrir non seulement l’utilisation des œuvres des répertoires des organismes avec lesquels les accords ont été passés, mais également l’utilisation d’œuvres de même nature d’ayants droit non membres des organismes ou non représentés par eux ».

Message entendu au Sénat où les élus de gauche ont repris presque servilement son projet de texte (p.27 du rapport) pour les intégrer dans un amendement

L’amendement des sénateurs socialistes adopté en commission

L’amendement a été adopté ce matin en Commission de la Culture au Sénat. Il devra encore être confirmé en séance puis à l'Assemblée nationale.

Ses premières lignes soumettent à autorisation préalable le référencement de toutes les images par les services d’indexation. Cette autorisation préalable donne alors naissance à une obligation de « rémunération » de la part des moteurs calculée à partir soit des recettes et revenus, soit forfaitairement.

Évidemment, le texte prévient que ces autorisations peuvent être délivrées en bloc par une ou plusieurs sociétés de gestion collective.

taxe google images

Le texte se poursuit ainsi : « Lorsqu’il conclut un accord de licence pour l'exploitation d’œuvres, conformément aux mandats donnés par ses membres, un organisme de gestion collective peut, en ce qui concerne l'utilisation sur son territoire et sous réserve des garanties prévues au présent chapitre, étendre, par l’effet d’une licence collective étendue, le contenu de cet accord pour qu’il s’applique aux titulaires de droits non membres de cet organisme. »

En clair, l’autorisation accordée par une société de gestion collective pourra contaminer l’ensemble des images même celles venant de personnes non membres de l’organisme compétent. Dit autrement, les images « abandonnées » par des internautes et référencées par les moteurs permettront d’enrichir cette future SACEM des fichiers JPG, PNG, GIF, et autres formats : photos de vacances, photos des enfants, et même les photos publiées sous licence libre.

Les mesures de publicité préalable

Cette extension est toutefois conditionnée : elle doit concerner les œuvres de même type et être gérée par une société de gestion collective agréée par le ministère de la Culture. Surtout, elle doit être accompagnée de « mesures de publicité appropriées, dans un délai raisonnable précédant l'utilisation sous licence des œuvres ».

Ces mesures devront « informer les titulaires de droits » sur la capacité de l’organisme à licencier des contenus, et quant aux possibilités offertes à ces titulaires de droits « de manifester leur volonté de ne pas être concernés par pareil accord ». En somme, il faudra que les internautes s’opposent expressément (opt out) à ce régime, pour s’en extraire.

En « l’absence de manifestation contraire de volonté de la part des titulaires de droits concernés, mais non désireux de bénéficier de l’accord conclu », leurs photos, images, dessins, etc. tomberont dans la besace de cette licence étendue.

Le texte prend soin de préciser que ces mesures seront « effectives sans qu'il soit nécessaire d'informer chaque titulaire de droits individuellement ». Les modalités du droit d’opposition seront définies par décret.

Ce régime s’appuie juridiquement sur la toute récente directive sur le droit d’auteur. Si son article 17 industrialise le filtrage et le 15 bétonne les droits voisins des éditeurs de presse, son article 12 crée une brèche pour instaurer un tel mécanisme de licence.

Les sommes collectées par cet aspirateur à redevance seront ensuite réparties suivant des règles « établies de manière à garantir aux titulaires de droits représentés une rémunération appropriée, tenant compte de l’importance de l’utilisation de leurs œuvres dans le cadre du service ». En somme, les gros producteurs d’images, au hasard des agences de presse comme l’AFP, devraient toucher un maximum, quand madame Michu n’aura rien ou si peu pour ses jolies photos de vacances au Cap d'Agde.

Évidemment, le texte ajoute que Google Images, Bing Images et tous les autres devront « communiquer à l’organisme de gestion collective l’ensemble des informations pertinentes relatives à l’exploitation des œuvres permettant d’assurer la juste répartition des revenus entre les titulaires de droits. »

Le texte sera discuté en séance publique les 20 et 21 mai prochains. 

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