Après être revenu sur les enjeux de l’espace pour le renseignement, voyons ce que prépare la France pour les années à venir. Les satellites des programmes CSO et CERES arrivent, la relève est déjà prévue à l’horizon 2030. Le prix à payer pour rester dans la course.
La surveillance dans l’espace n’est plus de la science-fiction depuis des années maintenant. La prochaine étape – si ce n’est pas déjà fait – sera son « arsenalisation » déplore un rapport sénatorial.
Dans ce jeu d’espion, la France occupe une place importante car elle a commencé tôt ses travaux avec l’envoi de son premier satellite Astérix en 1965, devenant ainsi la troisième puissance spatiale.
Afin de « conserver son statut de puissance mondiale » – et par la même occasion son levier stratégique pour la conduite des opérations militaires – la France « doit renouveler ses satellites-espions ». Il en va de notre capacité à « conserver notre indépendance et exercer la plénitude de notre souveraineté », affirme le rapport du sénateur Christian Cambon (LR) sur la loi Renseignement, qui consacre un chapitre à ce sujet (notre compte rendu).
La première phase a débuté en 2018 avec une « augmentation des moyens alloués au spatial dans la loi de programmation militaire 2019-2025 », et la mise en orbite du satellite d’observation militaire CSO-1 (Composante spatiale optique). D’autres suivront. Mais durant les dernières décennies, les choses ont bien évolué.
Notamment sous l’impulsion du New Space et ses sociétés privées permettant à tout un chacun (ou presque) d’envoyer des satellites. Leur taille s'est réduite et leurs performances se sont améliorées au gré des évolutions : « Très haute résolution, miniaturisation, mise en orbite de constellations, développement de l’intelligence artificielle : de véritables révolutions sont à l’œuvre qui viennent élargir considérablement le champ des possibles ».
Notre dossier sur la surveillance et le renseignement spatial :
- L’espace « est de moins en moins un univers de paix », son arsenalisation une question de temps
- Le renseignement spatial évolue rapidement, la France va déployer de nouveaux satellites
Le renseignement spatial se renforce
Le rapport donne quelques détails :
« Il y a vingt ans, le satellite SPOT 4 pesait plus de deux tonnes et offrait une résolution couleur de 20 mètres […] Les nouveaux satellites proposent une résolution permettant de photographier depuis l’espace des objets de la taille d’une boîte de chaussures et pouvant même aller jusqu’à quelques centimètres de résolution. »
En plus des photos en surface, ils peuvent identifier « la nature des matériaux, la classification des sols, la détection de gaz, d’anomalies spectrales, etc. ». De leur côté, les constellations de satellites permettent d’optimiser le taux de revisite en tout point du globe, et donc d’avoir des données régulièrement mises à jour.
Combiné avec la miniaturisation, cela permet de réduire considérablement les coûts, la consommation énergétique, mais aussi d‘augmenter leur durée de vie. « C’est un nouveau modèle industriel qui se développe dans un secteur jusqu’alors très fermé et très peu concurrentiel. Cette nouvelle approche permet de produire des satellites en série et d’optimiser les coûts comme de faire évoluer rapidement les générations de matériels », affirme le rapport.
La gestion et le traitement des (tonnes de) données
Plus de passages, plus de satellites et des capteurs plus précis entrainent inexorablement « une hausse considérable du nombre de données disponibles ». La capacité de récupération, de stockage et de traitement est donc très importante : « La donnée brute présente un intérêt très limité ; il faut être capable de la traiter, d’en extraire la valeur ajoutée, ce qui suppose de développer des systèmes d’exploitation et des services associés ».
Pour cela, des partenariats avec des sociétés spécialisées dans l’intelligence artificielle sont intéressants… encore faut-il qu’elles soient « de confiance ». En effet, « la question des données soulève un sujet de souveraineté nationale, qu’il s’agisse de la constitution de bases de données souveraines issues de l’observation spatiale, de la mise au point d’outils d’exploitation et de transformation des données collectées ».
Des Français planchent sur le sujet, à l’image de la start-up parisienne EarthCube par exemple. Elle « a ainsi développé pour le compte du ministère de la Défense, un logiciel à base d’intelligence artificielle d’analyse d’images, capable d’identifier automatiquement les éléments clés (aéronefs, dépôts de munitions, véhicules, etc.) des clichés réalisés et de remonter des alertes en cas de détection d’activité suspicieuse dans des zones de crise ».
Le rapport rappelle que la loi Renseignement de 2015 « a autorisé, à titre expérimental jusqu’au 31 décembre 2020, la mise en place de la technique de l’algorithme visant à détecter une menace terroriste », sans préciser ce qu’il adviendra ensuite. Dans tous les cas, le rapport rappelle sans détour une triste réalité : « les Français et plus largement les Européens sont en retard par rapport au reste du monde » sur la question des données.
Compte tenu de l’absence de règles au niveau international (nous y reviendrons), « le comportement des GAFA est un paramètre à prendre en compte pour nos services de renseignement au vu de l’exploitation de données de souveraineté… impossibles à protéger ». Les enjeux ne sont évidemment pas les mêmes s’il s’agit de puissances amies ou hostiles. S’en suit une recommandation sur les données :
« Favoriser un accès indépendant aux systèmes et aux données spatiales en développant une filière souveraine de la donnée spatiale, sur l’ensemble de la chaîne, de l’amont (collecte) à l’aval (usages), notamment en ce qui concerne nos capacités de stockage de données. »
Est-ce qu'en la matière, l'initiative Gaia-X pourrait apporter une partie de la réponse en renforçant la position des acteurs européen ? La question se pose également dans les choix de l'administration et des acteurs sensibles.
CSO, CERES : six satellites dédiés au renseignement
La version 2.0 de l’ère spatiale française a débuté fin 2018 avec la mise en orbite du satellite CSO-1, à bord d’un lanceur Soyouz. Ils seront trois à terme, avec comme but de remplacer Helios 1 et 2 (lancés entre 1995 et 2009). Ce programme avait été mis sur pied en 1985, en pleine guerre froide avec pour objectif « la surveillance du bloc soviétique ». Après la chute de l’ancien bloc, il s’est focalisé sur l’Afrique et le Moyen-Orient.
Le ministère des Armées vante les mérites de ce programme qui « apporte une qualité d’image sans équivalent en Europe permettant aux armées d’accéder à un plus grand niveau de détails, une plus-value significative pour les activités de renseignement et de ciblage ». Des accords bilatéraux ont été signés avec plusieurs de nos voisins européens : Allemagne, Suède et Belgique depuis fin 2018, d’autres étaient visiblement intéressés.
En plus de l’imagerie, l’écoute spatiale militaire va se renforcer d’ici fin 2021 avec trois satellites CERES (Capacité d'Écoute et de Renseignement Electromagnétique Spatiale), en remplacement de ceux du programme ELISA.
Le ministère des Armées explique que cela « permettra de récolter régulièrement sur l’ensemble du globe des informations sur des radars et des systèmes de télécommunications, en vue de produire du renseignement d’origine électromagnétique. Cette capacité spatiale sera unique en Europe ».
Iris et Céleste prendront la relève (vers 2030)
Comme nous l’avons expliqué dans la première partie de notre dossier, l’espace appartient à tout le monde, la France en profite donc pour surveiller ses voisins sans crainte : « les satellites sont soumis à un régime juridique spécifique (droit de l’espace), ce qui leur permet de survoler l’intégralité de la surface du globe en toute souveraineté (pas d’autorisation de survol nécessaire) ».
Voici quelques exemples d’utilisation dans le cadre de missions militaires :
« Cartographier les centres de télécommunications et les radars dans les zones de conflit, évaluer leur niveau d’activité, préciser le danger représenté par ces radars ennemis pour garantir la suprématie des avions français, déterminer l’architecture des réseaux de communication adverses. »
CERES se combine donc parfaitement avec CSO qui apporte des « capacités de suivi de situation et de veille stratégique, aide à la prévention et à l’anticipation des crises, planification et à la conduite des opérations ».
La relève est déjà prévue : de nouveaux programmes seront lancés dès 2023, mais il faudra encore attendre plusieurs années avant que des satellites ne soient construits et a fortiori placés en orbite. Les noms de code sont Iris (pour les capacités d’observation optiques) et Céleste (pour l’écoute électromagnétique).
En creux, le message est clair : la France ne compte pas se laisser distancer et souhaite disposer de capacités de pointe. On comprend alors les enjeux autour de la surveillance de l’espace et des mécanismes de contre-attaque : perdre ce genre de satellites militaires serait une catastrophe pour le renseignement.
Le budget doit suivre
Sans qu’il s’agisse à proprement parler de renseignement, la France va renforcer ses capacités spatiales sur d’autres points détaille le rapport. Deux premiers satellites SYRACUSE IV seront lancés d’ici 2022 et complétés par un troisième d’ici 2030 pour les télécommunications spatiales militaires.
Pour la surveillance de l’espace (et de nos moyens de renseignement), « les moyens de veille (GRAVES) et de poursuite (SATAM) des orbites basses seront modernisés en priorité ». Concernant la navigation par satellite, des équipements pour les militaires seront modernisés à partir de 2024, via le programme OMEGA.
But de l’opération : proposer du matériel qui résiste aux interférences et au brouillage, et apporter une capacité autonome de géolocalisation en utilisant à la fois les signaux GPS et Galileo (le système européen).
« Dans les prochaines années, les huit satellites souverains dont nous disposons seront ainsi intégralement remplacés, ce qui n’est pas sans incidences budgétaires », explique le rapport. Mais c’est le prix à payer pour que la France conserve une autonomie du renseignement et « son statut de puissance mondiale ».
La question qui vient naturellement est donc celle du budget, en hausse : « Les montants consacrés à nos moyens spatiaux de défense dans la LPM [Loi de programmation militaire, ndlr] 2019-2025 sont en augmentation de 1,9 milliard d’euros par rapport à la LPM précédente sur la période 2014-2019. Ils sont en effet passés de 2,9 milliards d’euros à 4,8 milliards d’euros ». En juillet, la ministre des Armées affirmait que « les ressources financières seront dégagées pour avoir les moyens de nos ambitions ». L’avenir nous dira si c’est bien le cas.
Le rapport préconise que « la contribution budgétaire de la nation devra être du même ordre » pour la prochaine période (2026-2030). C’est d’ailleurs une des recommandations : « Confirmer la trajectoire budgétaire permettant le renouvellement de nos capacités de renseignement spatial contribuant à la fonction stratégique prioritaire « connaissance et anticipation ».