Nouveau coup de tonnerre dans l’Union. Quatre ans après l’amende record infligée à Apple par la Commission, le Tribunal de l’Union estime qu’elle a fait fausse route et annule sa décision. Mais ce n’est « pas la fin de l'histoire ».
En août 2016, la Commission européenne infligeait à Apple une amende astronomique de 13 milliards d’euros pour des « avantages fiscaux » accordés par l’Irlande. L’affaire avait fait grand bruit, le pays s’étant formellement opposée à ce redressement, avant de signer un accord avec le fabricant américain en avril 2018.
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Ils ont donc décidé d'attaquer la Commission devant le Tribunal de l’Union européenne qui vient de rendre sa décision, estimant qu’elle n’était pas parvenue à démontrer « l’existence d’un avantage ».
Démontrer l’existence d’une aide
Pour appuyer son verdict, le Tribunal commence par un rappel des faits : « La Commission a estimé que les rulings fiscaux en question constituaient une aide d’État illégalement mise à exécution par l’Irlande. L’aide a été déclarée incompatible avec le marché intérieur. La Commission a exigé la récupération des aides en question. Selon les estimations de la Commission, l’Irlande aurait accordé 13 milliards d’euros d’avantage fiscaux illégaux à Apple ».
L’Irlande, Apple Sales International (ASI) et Apple Operations Europe (AOE) ont demandé au Tribunal de l’Union européenne d’annuler cette décision et il vient de leur donner raison jugeant que « c’est à tort que la Commission a déclaré l’existence d’un avantage économique sélectif et, partant, d’une aide d’État en faveur d’ASI et AOE ».
Dans ses conclusions, il explique que « la Commission n’est pas parvenue à démontrer à suffisance de droit l’existence d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE ». En effet, « si la Commission peut qualifier une mesure fiscale d’aide d’État […], ce n’est que pour autant que les conditions d’une telle qualification sont réunies (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2006, Belgique et Forum 187/Commission, C‑182/03 et C‑217/03, EU:C:2006:416, point 84) ».
Il incombe donc à la Commission de « démontrer que les conditions d’existence d’une aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, étaient réunies ». Ce qui n'a pas été le cas selon le Tribunal.
Cet article précise en effet que « Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ».
Si le Tribunal approuve « les appréciations de la Commission relatives à l’imposition normale en vertu du droit fiscal irlandais applicable en l’espèce », il considère néanmoins que la Commission « a erronément conclu, au titre de son raisonnement principal, que les autorités irlandaises ont accordé un avantage à ASI et AOE ».
Il considère ainsi qu’il « y a lieu d’annuler la décision attaquée dans son ensemble, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens soulevés par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE », comme indiqué dans l’arrêt complet.
L’Irlande et Apple aux anges
En plus d’un revers important pour la Commission, c’est également le cas pour Margrethe Vestager qui affirmait en août 2016 que « l'enquête de la Commission a conclu que l'Irlande avait accordé des avantages fiscaux illégaux à Apple, ce qui a permis à cette dernière de payer nettement moins d'impôts que les autres sociétés pendant de nombreuses années. En réalité, ce traitement sélectif a permis à Apple de se voir appliquer un taux d'imposition effectif sur les sociétés de 1 % sur ses bénéfices européens en 2003, taux qui a diminué jusqu'à 0,005 % en 2014 ».
L’Irlande se félicite évidemment de cette décision : « Nous saluons l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne annulant la décision de la Commission européenne d’août 2016, qui alléguait que l’Irlande avait fourni des aides d’État à Apple. L’Irlande a toujours été claire sur le fait qu’il n’y avait pas de traitement spécial des deux sociétés Apple – ASI et AOE. Le montant exact de l’impôt irlandais a été facturé conformément aux règles fiscales irlandaises normales ».
Même joie chez Apple, qui en profite pour s’afficher comme un fervent défenseur des impôts : « cette affaire ne portait pas sur le montant des impôts que nous payons, mais sur l’endroit où nous devons les payer. Nous sommes fiers d’être le plus grand contribuable au monde, car nous connaissons le rôle important que joue le versement d’impôts dans la société ».
Une étape, « pas la fin de l'histoire »
L’histoire n’est pas terminée comme le rappel le Tribunal : « Un pourvoi, limité aux questions de droit, peut être formé, devant la Cour, à l’encontre de la décision du Tribunal, dans un délai de deux mois et dix jours à compter de sa notification ».
« Je pense que ce sera une étape intermédiaire, importante certes, mais certainement pas la fin de l'histoire », déclare à l'AFP Alfonso Lamadrid, avocat spécialisé dans les affaires de concurrence. En cas de pourvoi, la décision définitive devrait donc intervenir d’ici la fin de 2021. Dans tous les cas, cette décision intervient dans un contexte particulier.
La France a en effet mis en place une taxe sur les géants du numérique, défendue par Bruno le Maire, mais celle-ci est décalée jusqu’à la fin de l’année pour laisser place à un texte au niveau européen. Réponse du berger à la bergère, les États-Unis vont prendre des sanctions contre la France… puis les suspendre jusqu’à la fin de l’année également.
De quoi relancer les débats sur l'intérêt d'une politique fiscale commune.