La loi destinée à accentuer la lutte contre l’épidémie Covid-19 a été publiée au Journal officiel peu après 5 heures du matin. Avec elle, l’état d’urgence sanitaire est déclaré pour deux mois. Un (long) décret détaille les mesures d’application, y compris la nouvelle rédaction de l’autorisation de déplacement.
L’état d’urgence sanitaire débute aujourd’hui pour deux mois, soit jusqu’au 24 mai. Cela ne signifie en rien que l’épidémie sera stoppée à cette date puisque cette situation exceptionnelle pourra prendre fin avant ou bien après. Le cas échéant, elle nécessitera l’adoption d’une nouvelle loi, comme expliqué hier dans notre longue actualité (gratuite jusqu'à 17h30, aujourd'hui).
La loi n’a pas été déférée au Conseil constitutionnel. Impossible donc de déterminer si elle est conforme à la Constitution de 1958, au préambule de la Constitution de 1946 ou encore à la Déclaration des droits de l’Homme. Tel n’est pas le cas de la loi organique adoptée, elle aussi ce week-end.
Le Premier ministre l’a soumise au contrôle des neuf Sages. Il faut dire que ses effets sont lourds. Afin de faire face aux conséquences de l’épidémie du SARS-CoV-2, ce texte suspend jusqu’au 30 juin 2020 les délais des questions prioritaires de constitutionnalité.
Normalement, lorsqu’ils sont saisis d’une procédure en ce sens, la Cour de cassation et le Conseil d’État ont trois mois pour décider d’un tel renvoi. Ensuite le Conseil constitutionnel a trois autres mois pour rendre sa décision. Dit autrement, les éventuelles QPC qui viseront la loi sur l’état d’urgence ne pourraient être traitées au plus tard que fin décembre 2020.
En examinant la loi organique à la demande du Premier ministre, le Conseil constitutionnel a désormais jusqu’à fin juin pour décider si un tel report est dans les clous des principes fondamentaux de la cinquième République. Dans tous les cas, la loi cette fois ordinaire pourra s’appliquer dans toute sa rigueur à partir d’aujourd’hui.
Réécriture des exceptions aux mesures de confinement
Le gouvernement a publié dans la foulée le principal décret d’application du texte. Il fixe les mesures propres « à garantir la santé publique » dans le contexte du coronavirus. L’objectif ? Non pas stopper ou trouver une solution immédiatement, mais « ralentir » sa propagation, afin d’éviter ou d’aggraver l’asphyxie des services de réanimation.
« Les rassemblements, réunions, activités, accueils et déplacements ainsi que l'usage des moyens de transports qui ne sont pas interdits en vertu du présent décret sont organisés en veillant au strict respect de ces mesures ».
Quelles mesures ? L’article 3 du décret réécrit les situations où une personne peut exceptionnellement braver l’interdiction de sortie de domicile. Le texte prévoit 8 cas :
- Trajets entre le domicile et le ou les lieux d'exercice de l'activité professionnelle et déplacements professionnels insusceptibles d'être différés
- Déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l'activité professionnelle et des achats de première nécessité dans des établissements dont les activités demeurent autorisées (supermarchés, magasin de réparation d’ordinateurs, boulangerie, boucherie, poissonnerie, optique, journaux…)
- Déplacements pour motifs de santé à l'exception des consultations et soins pouvant être assurés à distance et, sauf pour les patients atteints d'une affection de longue durée, de ceux qui peuvent être différés
- Déplacements pour motif familial impérieux, pour l'assistance des personnes vulnérables et pour la garde d'enfants
- Déplacements brefs, dans la limite d'une heure quotidienne et dans un rayon maximal d'un kilomètre autour du domicile, liés soit à l'activité physique individuelle des personnes, à l'exclusion de toute pratique sportive collective et de toute proximité avec d'autres personnes, soit à la promenade avec les seules personnes regroupées dans un même domicile, soit aux besoins des animaux de compagnie ;
- Déplacements résultant d'une obligation de présentation aux services de police ou de gendarmerie nationales ou à tout autre service ou professionnel, imposée par l'autorité de police administrative ou l'autorité judiciaire ;
- Déplacements résultant d'une convocation émanant d'une juridiction administrative ou de l'autorité judiciaire ;
- Déplacements aux seules fins de participer à des missions d'intérêt général sur demande de l'autorité administrative et dans les conditions qu'elle précise.
Les exceptions reprennent celles publiées précédemment au fil de deux premiers décrets (le premier , le second), avec une mise à jour consécutive à une ordonnance du Conseil d’État rendue ce week-end.
Des promenades ou activités sportives durant une heure et un rayon de 1 km
Principales nouveautés ? Les déplacements pour motifs de santé sont interdits lorsqu’ils peuvent être remplacés par une téléconsultation.
Les déplacements brefs ont été eux aussi précisés : désormais vous pouvez exercer une activité sportive individuelle seul ou sortir votre animal ou vous promener cette fois avec les autres membres de votre foyer, dans la limite d'une heure quotidienne et un rayon maximal d'un kilomètre autour du domicile. Soit un périmètre de plus de 6 km par jour et même davantage lorsqu’on tient compte de l’aller et retour jusqu’à cette bordure (2 km).
Chaque personne devra disposer d’un document lui « permettant de justifier que le déplacement considéré entre dans le champ de l'une de ces exceptions ». C’est la fameuse attestation. Notons qu’il faudra qu’elle mentionne l’heure de départ si vous souhaitez bénéficier de l’exception des brèves activités personnelles.
Ces mesures sont communes à tout le territoire. Le préfet, comme le prévoit la loi ordinaire, pourra décider de mesures plus restrictives en matière de trajets et déplacements des personnes « lorsque les circonstances locales l'exigent ». Pour déterminer ces règles, le meilleur moyen est de consulter le site de votre préfecture, section « publications » (ou équivalents).
Très concrètement, le ministère de l'Intérieur va devoir actualiser son modèle d'attestation, celle diffusée sur son site n'étant plus conforme. Policiers et gendarmes pourront contrôler ces attestations, ainsi que les policiers municipaux, autre nouveauté de la loi. Au passage, « la fonction de signalement de la présence des forces de l'ordre a été totalement supprimée de Waze depuis ce weekend » indiquent nos confrères de LCI.
Transports de personnes, de marchandises, réunions interdites...
Le décret contient d’autres mesures : restrictions adressées aux navires de croisières, au transport commercial aérien vers plusieurs collectivités (la Réunion, Mayotte, la Guadeloupe, la Martinique, etc.) sauf exception (motif impérieux d'ordre personnel ou familial, motif de santé relevant de l'urgence et motif professionnel ne pouvant être différé).
L’article 6 prévoit aussi plusieurs mesures visant le transport de personnes ou de marchandises. Comme déjà annoncé dans un précédent texte, « dans le cas de livraisons à domicile, les chauffeurs, après communication avec le destinataire ou son représentant, laissent les colis devant la porte en mettant en œuvre des méthodes alternatives qui confirment la bonne livraison et ne récupèrent pas la signature du destinataire ». La livraison est réputée conforme au contrat, sauf réclamation.
L’article 7 interdit « tout rassemblement, réunion ou activité mettant en présence de manière simultanée plus de 100 personnes », que ce soit en milieu clos ou ouvert. L’interdiction vaut jusqu’au 15 avril 2020, pour l’instant. Seuls des rassemblements restent autorisés lorsqu’ils sont indispensables à la continuité de la vie de la Nation.
On retrouve la date du 15 avril s’agissant de la liste des catégories d’activités désormais fermées au public. Elle est longue : salle de conférences, de spectacles, centres commerciaux, restaurants (sauf pour les livraisons à emporter), salles d’exposition et autres musées, chapiteaux, etc.
Conformément aux vœux du Conseil d’État, « la tenue des marchés, couverts ou non et quel qu'en soit l'objet, est interdite ». Mais nuance, le préfet peut, après avis du maire, accorder une autorisation d'ouverture aux marchés alimentaires « qui répondent à un besoin d'approvisionnement de la population si les conditions de leur organisation ainsi que les contrôles mis en place », garantissent les mesures de distanciation sociales (moins de 100 personnes, etc.).
Les établissements de culte peuvent rester ouverts, mais « tout rassemblement ou réunion en leur sein est interdit à l'exception des cérémonies funéraires dans la limite de 20 personnes »...
Contrôle des prix, réquisitions
D’autres mesures à relever, comme la reprise du contrôle des prix des gels hydroalcooliques ou la réquisition des stocks de masques de protection respiratoires (FFP2, FFP3, etc.).
Remarquons au passage cet arrêté publié également aujourd'hui par le ministère de la Santé, prévoyant plusieurs mesures d’organisation du système de santé, tout autant encadrées par la loi d’urgence. Il concerne la télésanté, la possibilité pour les pharmacies de préparer des solutions hydroalcooliques, la distribution de masques dans ces officines, aux professionnels de santé, ou encore la délivrance des médicaments sous ordonnance, sans passer par le médecin.
Loi, décret et arrêté remettent les pendules à l'heure après une semaine dense au Journal officiel. Mais ils ne sont qu’une première salve. D’autres textes vont être pris sous peu, dont les fameuses ordonnances destinées à répondre aux problématiques économiques, financières ou sociales, avec plusieurs modifications attendues sur le terrain du droit du travail.