La proposition de loi Avia démagnétisée au Sénat

Amendements haineux
Droit 5 min
La proposition de loi Avia démagnétisée au Sénat
Crédits : Romain Vincens (CC BY-SA 3.0)

La proposition de loi Avia a été, comme prévu, revue et corrigée par la commission des lois au Sénat. Christophe-André Frassa, rapporteur, a totalement fait refondre le texte pour tenir compte notamment des critiques incendiaires adressées par la Commission européenne. L’examen en séance est prévu le 17 décembre.

Adieu l’obligation de retrait en 24 heures voulue par la députée LREM. Adieu l’obligation de filtrage généralisée. Adieu les notifications (ou signalements) vagues qui auraient placé les plateformes dans une situation intenable. Le texte en sortie de commission des lois, présidée par Philippe Bas, n’a plus grand-chose à voir avec la proposition adoptée sans difficulté par la majorité LREM à l’Assemblée nationale.

Quelles sont les principales mesures adoptées ? 

Dans la proposition de loi Avia, les hébergeurs ne retirant pas certains contenus haineux en moins de 24 heures risquaient jusqu’à 1,25 million d’euros (pour les personnes morales).

Christophe-André Frassa a fait disparaître cette infraction. Il a préféré toucher au socle de la loi sur la confiance dans l’économie numérique pour ajouter les injures publiques à caractère discriminatoire et le négationnisme au sein des « contenus devant faire l’objet d’un dispositif technique de notification spécifique mis en place par les hébergeurs ».

Lorsqu'un tel contenu sera supprimé, les hébergeurs comme YouTube, Twitter ou Facebook devront lui substituer « un message indiquant qu’il a été retiré ». Enfin, le texte prévoit que les contenus retirés pourront être conservés pendant une durée maximale d’un an « pour les besoins de la recherche, de la constatation et de la poursuite des infractions pénales, à la seule fin de mettre ces informations à la disposition de l’autorité judiciaire. »

Retour du formalisme, suite aux critiques européennes 

Laetitia Avia avait voulu également alléger considérablement le formalisme des « notifications », soit les mentions obligatoires lorsqu’un internaute signale un contenu manifestement illicite à un hébergeur. Comme elle nous l’indiquait, la députée LREM avait voulu « simplifier l’expérience utilisateur », « simplifier le « process ».

Elle avait ainsi fait sauter l’obligation de préciser la localisation exacte du contenu litigieux, laissant donc Twitter et les autres réseaux sociaux, se débrouiller pour le retrouver, le tout dans un délai de 24 heures. Le point avait été vertement épinglé par la Commission européenne.

Christophe-André Frassa a rétabli ce formalisme suite à l’adoption de cet amendement. Petite nuance importante : le sénateur oblige à nouveau les internautes à contacter d’abord l’éditeur pour ensuite se retourner devant les hébergeurs, sauf s’agissant des propos qualifiés de haineux. 

Suppression du filtrage généralisé

L’article 2 prévoyait que les opérateurs de plateforme en ligne devaient supprimer la rediffusion des contenus déjà retirés, sauf à être lourdement sanctionnés. Techniquement, la mesure imposait la mise en place d’un filtrage généralisé de l’ensemble des flux passant entre leurs mains, sans limites de temps et à leurs frais.

Elle a été mise à l’index par la Commission européenne, et l’article, supprimé en commission des lois.  

Des obligations extensibles à l'ensemble des opérateurs

Le texte amendé revoit également les relations entre CSA et plateformes en réécrivant les diverses obligations auxquelles ces dernières pourront être soumises.

Remarquons que les moteurs de recherche ont été évacués du spectre. Inversement, Christophe-André Frassa veut rendre possible l’extension de ces obligations à un acteur de taille plus modeste, inférieure à un seuil défini par décret, mais qui jouerait « un rôle significatif pour l’accès du public à certains biens, services ou informations en raison de l’importance de son activité et de la nature technique du service proposé. »

Parmi ces obligations, les plateformes, même de petite taille donc, devront mettre en place « un dispositif de notification uniforme directement accessible et facile d'utilisation permettant à toute personne de signaler un contenu illicite dans la langue d’utilisation du service ».

Elles devront encore mettre en œuvre « les procédures et les moyens humains et, le cas échéant, technologiques proportionnés permettant de garantir le traitement dans les meilleurs délais des notifications reçues et l’examen approprié des contenus notifiés, ainsi que de prévenir les risques de retrait injustifié ». 

Un point non négligeable a été confirmé : les infractions à la LCEN passent de 75 000 à 250 000 euros comme dans la PPL Avia adoptée par les députés. Ce niveau concerne les personnes physiques, pour les personnes morales, le droit pénal prévoit que le montant est multiplié par cinq, soit 1,25 million d’euros. Un niveau rehaussé concernant aussi bien les hébergeurs que les FAI.

À l’article 4, la commission de la Culture a fait modifier plusieurs lignes, comme déjà exposé dans nos colonnes, s’agissant notamment des questions procédurales.

Empêcher la viralité des contenus haineux 

Remarquons l’ajout de cet amendement avec lequel le CSA pourra encourager les opérateurs « à mettre en œuvre des dispositifs techniques proportionnés facilitant, dans l’attente du traitement de la notification d’un contenu illicite, la désactivation ou la limitation temporaire des fonctionnalités qui permettent de multiplier ou d'accélérer l’exposition du public à ce contenu, et notamment les possibilités de partage, d’interaction, ou d’envoi de messages liés à ce dernier. »

L’idée ? Casser la viralité des contenus haineux. L’amendement de Christophe-André Frassa propose par exemple que cette limitation soit notamment réservée aux « signaleurs de confiance », sans que cette qualité soit définie clairement. 

Adoption de l'amendement interopérabilité

Celui sur l’interopérabilité a également été adopté. Le CSA pourra encourager les opérateurs « à mettre en œuvre des standards techniques communs d’interopérabilité entre services de communication au public en ligne, conformes à l’état de l’art, documentés et stables, afin de favoriser le libre choix des utilisateurs entre différentes plateformes. » 

« Face à des grandes plateformes dont le modèle, fondé sur "l'économie de l'attention", explique le rapporteur, l’interopérabilité permettrait aux victimes de haine de se "réfugier" sur d’autres plateformes avec des politiques de modération différentes, tout en pouvant continuer à échanger avec les contacts qu’elles avaient noués jusqu’ici ». 

Des mesures ont été taillées pour les annonceurs publicitaires.  Le vendeur d'espaces devra leur communiquer « un compte rendu de la liste des domaines et des sous-domaines sur lesquels l’annonceur publicitaire a diffusé des publicités ». Une manière d’informer ces derniers des sites sur lesquels sont diffusés leurs publicités.  

La PPL supprime également la compétence du juge unique et crée également un observatoire de la haine en ligne auprès du CSA. Enfin, la date d’entrée en vigueur de la loi, si elle est votée, est fixée au 1er juillet 2020. Laetitia Avia, qui n’a eu de cesse de souligner l’urgence de son texte, préférait la date du 1er janvier 2020.

Relevons pour finir que les amendements ambitieux du sénateur Grand ont été déclarés irrecevables. Il voulait en particulier interdire la captation de sons ou l’enregistrement d’images, transmises sans consentement, « de fonctionnaires de la police nationale, de militaires ou d'agents des douanes se trouvant dans l'espace public ». 

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