La nouvelle offensive de Microsoft dans le domaine des systèmes d’exploitation se nomme Core OS. Plusieurs produits l’intègrent déjà, d’autres le feront plus tard. Il est pourtant très discret et n’a fait l’objet d’aucune annonce. Le point sur ses caractéristiques, les problématiques auxquelles il répond et celles qu’il devra affronter.
Dans la première partie de notre dossier, nous avons vu comment les versions de Windows ont amené progressivement un découpage des briques élémentaires du système d'exploitation pour aboutir à OneCore, la base technique servant de socle aujourd'hui à toutes les plateformes utilisées : ordinateurs, tablettes, consoles, objets connectés, etc.
Notre dossier sur Core OS :
- Microsoft face au défi d'unifier Windows
- Core OS : caractéristiques et ambitions du « futur » système unifié de Microsoft
- Core OS : le plan de Microsoft pour migrer les développeurs de Win32 vers les Windows Apps
Il est maintenant temps d'aborder directement Core OS, le système auquel tous ces efforts aboutissent. Bien que Microsoft n'ait pas d'annonce pour le présenter officiellement, on le trouve dans plusieurs produits disponibles, en passe de l'être ou prévus pour l'année prochaine.
Mais comment un système unique pourrait-il répondre à tous les besoins ? Et qu'arrivera-t-il au Windows 10 utilisé au quotidien par des millions de personnes sur les ordinateurs classiques ?
Les caractéristiques principales de Core OS
Si OneCore est un socle technique, Core OS est un système complet. Il est la vision aboutie de ce sur quoi Microsoft travaille depuis longtemps : un système ramené à ses composants strictement nécessaires, modulaire et débarrassé de ses vieux boulets. Plus de Win32 ? Microsoft recommence avec ses histoires de mode S et de Windows RT !
Pas si vite. Tout ce qui ne concerne pas le système lui-même peut être « branché » sous forme de conteneur et virtualisé. Win32 sera donc encore là, mais uniquement actif si l’on a besoin de lui. L’approche est fondamentalement différente, car les vieux composants ne sont plus dans le système. Il y a donc fort à parier que le système soit beaucoup plus léger qu’un Windows 10 classique.
Outre ce gros nettoyage, les mises à jour sont pensées pour s’installer très rapidement. Microsoft ne réinvente pas la roue cela dit : la méthode retenue est déjà utilisée par Android, iOS, le dernier macOS et certains systèmes Linux/Unix.
Le système est ainsi présent dans deux partitions, dont une sert de miroir à l’autre. Quand une mise à jour doit être installée, elle le fait dans la partition miroir, sans toucher à celui en cours d’utilisation. Quand il faut redémarrer pour que les changements soient appliqués, le système permute les deux partitions. Le temps de coupure est réduit à ce seul redémarrage puisque l’installation a en fait eu lieu avant. En outre, en cas de problème, le système peut revenir à l’ancienne partition.
C’est pour cette raison que les phases de préparation et d’installation sur Android et iOS sont plus longues que le redémarrage proprement dit. Cela ne règle pas le problème du nombre de redémarrages et a le défaut d’être plus ou moins gourmand en ressources pendant l’installation. Selon ce que l’utilisateur est en train de faire, il peut donc s’en suivre une baisse de performances.
CShell, l'interface adaptive
Bon, mais un système d’exploitation, ce sont aussi des interfaces graphique et utilisateur non ? Oui, et c’est d’ailleurs ce qui a tant bousculé avec Windows 8 et sa volonté d’imposer une ergonomie commune à tout le monde, avec un bureau inséré aux forceps.
Comment, dès lors, proposer une interface et une ergonomie capables de convenir à tous les appareils, alors que les tailles d’écran varient autant ? Microsoft a eu le temps de faire murir son idée, qui a abouti sur CShell, pour Composable Shell. Le principe est un shell capable de s’adapter à toutes les tailles d’écran et au contexte d’utilisation. Si le nom vous est familier, c'est que nous l'avions abordé dans un long article consacré à ce qui était alors le projet Andromeda, « abandonné » justement pour ce qui est devenu Core OS. Polaris était son pendant pour ordinateurs.
C’est une trousse à outils contenant tout ce qu’il faut pour que Core OS puisse fonctionner sur un ordinateur, une tablette, une console, un tableau de présentation, un objet connecté, un téléphone même. Les éléments affichés dépendront de l’espace disponible et de la catégorie du produit.
En cas d’ordinateur classique, voilà une barre des tâches, un centre d’action, un gestionnaire de fichiers, etc. Une tablette ? Une adaptation des mêmes éléments à une utilisation tactile. Une console ? Plus rien de tout ça et une interface de contrôle plein écran adaptée aux manettes. Ce qui signifie, en théorie qu’une même interface n’aurait plus à gérer tous les cas de figure, notamment pour les tablettes.
Mais quel que soit le cadre d’utilisation, les développeurs pourraient cibler les composants de CShell, avec l’assurance qu’il serait toujours présent. Une approche modulaire dans la veine de Core OS, qui répond à de nombreuses problématiques de l’éditeur, mais pose presque autant de questions (nous y reviendrons).
Core OS est déjà utilisé sur plusieurs produits
Il s’agit donc d’une base autonome conçue pour fonctionner sur toutes sortes d’appareils. En théorie, toute application visant Core OS peut donc fonctionner sur n’importe quel appareil l’utilisant. Mais quels appareils ?
Core OS est en fait un système très concret puisque plusieurs produits l’utilisent déjà chez Microsoft, une information toujours suggérée ou confirmée à demi-mots, mais qui n’a réellement été mise en avant que récemment, à l’occasion de l’annonce de nouveautés matérielles : Windows 10X.
Celui qui fut notamment surnommé « Lite OS » est une variante de Core OS pensée avant tout pour les appareils embarquant deux écrans, mais pouvant être utilisée sur des ordinateurs portables et des tablettes. Le Surface Neo est le premier appareil qui l’utilisera, mais il n’arrivera qu’en fin d’année prochaine. Asus, Dell et HP ont annoncé qu’ils utiliseraient aussi Windows 10X dans plusieurs nouveaux produits (qui restent à voir).
La démonstration réalisée par Microsoft montrait l’approche modulaire du projet, avec CShell adaptant l’affichage des éléments au contexte et à la surface d’écran disponible. Gestion des applications sur chaque écran, exploitation des deux pour une seule application, barre des tâches centrée, menu Démarrer redessiné (sans vignettes dynamiques), clavier virtuel apparaissant automatiquement selon l’inclinaison, etc.
Si l’on en croit les rumeurs, Windows 10X se divise en fait en deux branches : Centaurus pour les appareils à deux écrans et Pegasus pour les ordinateurs (surtout portables) et tablettes. Vu l’approche retenue, particulièrement dans l’interface, il est probable que Pegasus sera la version la plus visible, destinée à concurrencer Chrome OS. On aurait ainsi un système « moderne » avec une nouvelle approche des interfaces sur des produits conçus pour la mobilité, qui garderaient en réserve la capacité d’exécuter des applications Win32 (probablement via le panneau d’ajout/suppression des fonctionnalités Windows).
HoloLens 2 et le Surface Hub 2X sont deux autres produits embarquant Core OS. Le premier est déjà en vente, l’autre n’arrivera que l’année prochaine, sous forme de mise à jour matérielle (et logicielle donc) pour l’actuel modèle 2S.
Si l’actuelle Xbox se sert de OneCore, la prochaine – nom de code Scarlett – se servira de Core OS. On y trouvera également un nouveau lot d’API nommé GameCore et fonctionnant sur le même principe : tout jeu développé pour GameCore fonctionnera partout où ces API seront disponibles. Donc techniquement partout où sera Core OS et, à terme, dans le Windows 10 classique. GameCore ne sera cependant pas un remplacement des API actuelles. Son utilisation sera encouragée, mais pas obligatoire.
Quid du Windows 10 classique alors ?
Voilà probablement la question que se posent de nombreux utilisateurs à l’heure actuelle. Mais de ce que l’on en sait, rien ne changera avant un bon moment. Il semble en effet que Core OS, même avec son statut de système unique et malléable, soit destiné avant tout aux nouveaux produits. Les ordinateurs, plus particulièrement fixes, ne doivent donc pas attendre de mise à jour.
S’il y a bien une chose que Microsoft a apprise (tout comme de nombreux éditeurs), c’est que les utilisateurs n’aiment pas le changement. Les nouveautés ne sont réellement excitantes que pour un public restreint de passionnés, mais l’immense majorité des utilisateurs souhaite simplement vaquer à ses occupations, chercher en ligne les informations nécessaires, taper un rapport, remplir des tableaux, etc.
Ce qui explique en bonne partie pourquoi l’ergonomie générale de Windows 10 n’a pas changé depuis son introduction il y a plus de quatre ans. Les mises à jour majeures se sont enchaînées, certaines apportant de nombreuses améliorations, mais en dehors de quelques variations et apports, les habitudes n’ont pas dû être changées. L’augmentation de la concurrence peut poser une autre question, dangereuse celle-là : si les habitudes doivent changer, rien n’empêche plus de regarder ailleurs.
On pourrait arguer que cet état est largement perceptible sur tous les produits équipés d’un écran : les systèmes d’exploitation sont arrivés à un niveau de maturité justifiant moins la course à la nouveauté, et on observe un ralentissement général de ces apports. L’accent se reporte petit à petit sur les performances et la fiabilité, ce dont personne ne se plaindra.
Il ne faut donc pas attendre de changement majeur sur les ordinateurs. L’actuelle branche de développement, qui débouchera sur la version 2004 de Windows 10, ne contient aucun élément visuel allant dans ce sens. Ce qui n’empêche évidemment pas les changements sous le capot, ce qui s’est très probablement produit, tant le cycle de développement a été long.
Mais il reste une absence de taille : une annonce officielle. Microsoft n’évoque jamais vraiment le sujet frontalement. Même Windows 10X n’a pas reçu les honneurs d’une mention de Core OS. Au risque de faire paraître le système que comme une énième édition, à la manière d’une mouture S, depuis abandonnée pour un mode S, plus souple.
Paradoxalement, pendant que l’éditeur travaille sur le système de ses rêves, la lisibilité de ses offres ne va pas connaître d’embellie soudaine. Car tandis que Windows 10 va continuer à alimenter les ordinateurs et tablettes pendant l’année qui vient, la fin 2020 sera marquée par un Neo sous Windows 10X et le smartphone Duo… sous Android.
La gamme Surface embarquera donc des produits à l’ergonomie et aux systèmes d’exploitation différents. Ce après l’arrivée récente de la Surface Pro X, qui soulève déjà ses propres interrogations puisque équipée d’un SoC ARM. On pourrait d’ailleurs signaler à Microsoft que le choix du « X » est malvenu : il signifie pour les Surface la présence d’une puce ARM, et pour Windows 10 une approche plus moderne, pensée pour le double écran.
Un même système partout est maintenant à portée de main, mais il faudra encore du temps pour que l’écosystème évolue. La thématique peut d’autant être mieux résumée qu’elle n’a guère changé dans le temps : pour entrainer les développeurs dans ce mouvement, les débouchés devront être réels et les avantages clairement expliqués. Car le contexte qui a tué Windows 10 Mobile (notamment) n’a pas changé : Android et iOS règnent toujours, les développeurs cherchent à rentabiliser leurs investissements et un concurrent devra offrir « quelque chose en plus ». Le support des PWA ne sera pas suffisant.