La CADA pointée du doigt pour des « décisions absurdes anti-transparence »

Quand CADA rime avec cata
Droit 9 min
La CADA pointée du doigt pour des « décisions absurdes anti-transparence »
Crédits : seb_ra/iStock/Thinkstock

L’association Regards Citoyens vient de lancer un appel à témoignages face aux « décisions absurdes anti-transparence » de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA). L’institution se défend dans nos colonnes en affirmant que ses avis sont « suffisamment motivés en droit », ce qui est toutefois loin d’éteindre l'ensemble des critiques.

La CADA est à nouveau pointée du doigt. Peu connue du grand public, l’autorité indépendante peut être saisie lorsqu’un citoyen reproche à une administration de ne pas lui communiquer un document qu’il estime public (rapport, statistiques, code source...). Jusqu’ici, cette sorte de médiateur était principalement critiqué en raison de ses délais de traitement des dossiers.

En 2017, il fallait par exemple attendre plus de 90 jours (en moyenne) avant d’avoir un avis de la commission. En mai dernier, le député Stanislas Guérini, désormais délégué général de LREM, avait d’ailleurs interpelé le gouvernement à ce sujet. Le parlementaire avait de quoi être remonté : la CADA est censée se prononcer en un mois...

Une « jolie collection de décisions absurdes anti-transparence »

Avant-hier, l’association Regards Citoyens a invité les personnes ayant déjà eu affaire à la CADA à partager leurs mauvaises expériences. « Alors que la loi CADA permet plus de transparence que jamais, nous commençons à avoir une jolie collection de décisions absurdes anti-transparence », explique le collectif à l’origine notamment du site « NosDéputés.fr ». Sur Twitter, celui-ci a détaillé plusieurs épisodes effectivement peu glorieux pour la commission, autour du hashtag #WTFCada.

En janvier 2017, la CADA a par exemple retenu qu’une administration n’avait pas à mettre en ligne un document administratif, du fait de l’absence de publication d’un décret d’application de la loi Numérique. Problème : les dispositions permettant de demander la diffusion d’un tel document n’avaient pas à être complétées par voie réglementaire... L’autorité s’est manifestement trompée de base légale.

En juin de la même année, la commission a suivi le ministère de l’Intérieur en émettant un avis défavorable à la communication de données relatives aux équipements des policiers et gendarmes, et ce alors que le même ministère avait d’ores et déjà publié ces informations, mais sous forme de PDF difficilement exploitable (voir les explications de cette mésaventure de notre confrère Alexandre Léchenet).

Regards Citoyens raconte également comment la CADA, saisie par nos soins, a jugé il y a peu que l’administration pouvait se défausser sur des tiers pour remplir ses obligations de diffusion de certains documents administratifs. L’institution a en effet donné raison au ministère des Armées, qui refusait de mettre en ligne plusieurs documents liés à son contrat « Open Bar » avec Microsoft Irlande, au motif que ceux-ci étaient déjà disponibles sur le site Internet de l’Association de promotion du logiciel libre (April) – à qui ils avaient précédemment été communiqués.

Nous avons pour notre part apporté notre grain de sel, certains avis de la CADA nous ayant particulièrement surpris ces dernières années.

L’association Ouvre-boîte, qui œuvre pour l’ouverture de données publiques, a elle aussi répondu à l’appel de Regards Citoyens. Le collectif déplore notamment que la CADA ait récemment changé d’avis : au nom du « secret des affaires », la commission a jugé que les « codes emballeurs » de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) n’étaient pas communicables, et que cette position « rempla[çait] » ainsi celle exprimée dans un précédent avis.

Une impression de reculs en série

Mais pourquoi donc une telle initiative ? « C'est né de micro-énervements liés à certains avis de la CADA, ou à la non-application du droit d'accès aux documents administratifs » nous raconte Tangui Morlier, de l’association Regards Citoyens. « Nous avions l’impression qu’on assistait à un recul. Lors d’une réunion, on a commencé à se dire qu’il fallait lister tout ça, puis est venue l’idée de partager ce sentiment avec les gens qui nous suivent, pour peut-être connaître d’autres cas. »

« L'initiative est très à propos », confirme-t-on chez Ouvre-boîte. « Généralement, on ressent que l’autorité n'a pas le temps d'instruire correctement les demandes. » L’association craint d’ailleurs que les saisines de la CADA finissent par devenir « aussi longues que la procédure devant le tribunal administratif, mais sans le contradictoire », l’institution ayant tendance à « reprendre en tous points l'argumentation de l'administration ».

En octobre 2018, lors de l’entrée en vigueur des nouvelles obligations d’Open Data « par défaut » de la loi Numérique, l’association Regards Citoyens regrettait elle aussi que la CADA ait « un dialogue avec les administrations lors de l'instruction des dossiers », mais « sans que le requérant puisse répondre aux arguments exprimés (qui sont parfois totalement fantaisistes) ».

Il y a quelques mois, le ministère de la Culture a par exemple expliqué à la CADA qu’un rapport que nous sollicitions n’existait pas, alors que nous avions eu l’occasion d’en voir des extraits par le biais d’une source.

Problème de moyens, d’organisation ?

Pour Ouvre-boîte, certains des témoignages issus de l’initiative #WTFCada « illustrent bien le manque de moyens de la CADA, ce qui se ressent sur la qualité de ses avis ». Cela fait en effet plusieurs années que l’autorité se dit « engorgée », face à un nombre croissant de saisines (voir notre article).

Cependant, Regards Citoyens pointe surtout du doigt le fonctionnement interne de la commission. « Vu de l’extérieur, il semble y avoir un problème d'organisation au sein de la CADA », lance à cet égard Tangui Morlier.

Si l’on se replonge dans les statistiques de l’institution, on découvre effectivement que celle-ci tenait à peu près les délais à la fin des années 2000 : 35 jours en moyenne pour le traitement des dossiers en 2008, contre 94 jours en 2017. Et ce pour un nombre d’avis rendus pas si éloigné de ce que l’on pourrait imaginer : 4 548 en 2008, pour 5 315 en 2017.

« Il y a quelques années, la CADA rendait des avis plus rapidement. Et pourtant, elle avait moins de personnel », soupire-t-on chez Regards Citoyens. « Trois emplois ont été créés au secrétariat général qui est passé de 14 à 17 membres de 2016 à 2018 », expliquait d’ailleurs Mounir Mahjoubi, le secrétaire d’État au Numérique, début novembre, en réponse à l’interpellation du député Guérini.

Tangui Morlier enfonce le clou : « La CADA n'a jamais eu autant de rapporteurs [ces agents chargés de l’instruction des dossiers, ndlr], et pourtant, elle n'a jamais été aussi lente ! »

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Sollicitée par Next INpact, la CADA n’a pas souhaité réagir. « À ce stade, cela n'appelle pas de réponse de notre part. Les décisions de la commission sont suffisamment motivées en droit », balaye simplement l’institution.  

Lors de la présentation du projet de loi de finances pour 2019, les pouvoirs publics laissaient pourtant entrevoir quelques améliorations. Le délai moyen de traitement des dossiers devrait en effet s’établir à 75 jours au titre de l’année 2018, pour atteindre 65 jours à partir de cette année. Le recours croissant à des « ordonnances » prises directement par le président de la CADA, sans délibération du collège, pour les affaires les plus simples, expliquerait notamment ces progrès.

« Le vent a tourné »

En coulisses, certains estiment malgré tout que « le vent a tourné ». « Le contexte a énormément changé ces dernières années », nous confie en ce sens un ancien membre de la CADA.

De nouveaux textes sont entrés en vigueur, à l’image de celui sur le « secret des affaires ». Marc Dandelot a succédé à Serge Daël à la présidence de l’institution, fin 2014, alors que ce dernier était apprécié des « pro-transparence »...

Manon Perrière, qui officiait en tant que rapporteure générale de la CADA, a quitté son poste fin 2017 pour rejoindre le cabinet du secrétaire d’État Olivier Dussopt.

Les parlementaires qui siégeaient au sein de la CADA ont également dû laisser leurs places suite aux élections législatives et sénatoriales. « Le député René Dosière [connu notamment pour ses demandes de transparence auprès de l’Élysée, ndlr] était par exemple très assidu », explique un bon connaisseur du dossier. « Or, il y a des choses qu'il n’est pas possible de faire en présence des représentants du Parlement. »

« La CADA a un rôle éminemment politique », rappelle enfin notre source. Sauf que l’exécutif est loin d’afficher un grand soutien à l’institution. Fin 2015, un projet de fusion entre la CNIL et la CADA avait par exemple suscité beaucoup de réticences du côté notamment de Regards Citoyens. Un simple « rapprochement » fut finalement décidé dans le cadre de la loi Numérique.

L’actuel gouvernement se fait quant à lui relativement discret sur ce dossier. Trop même, diront certains : Mounir Mahjoubi, qui devait faire un discours lors des 40 ans de la CADA, en octobre 2018, a finalement renoncé à intervenir.

Pour l’ancien membre de la CADA que nous avons pu interroger, la commission « croule sous le travail ». Si le nombre d’avis rendus n’est pas forcément en grande augmentation, il n’en va pas de même quant au nombre de saisines déposées auprès de l’autorité – qui n’arrivent pas à être toutes examinées au cours de leur année d’enregistrement. « Les agents de la CADA sont au bord du burn-out, ce qui explique peut-être ces erreurs de droit ou de jurisprudence soulevées par Regards Citoyens. »

La CADA invitée à se ressaisir

Faudrait-il revoir le mode de fonctionnement de la CADA ? « Ce n'est pas une réforme qu'il faut, c'est simplement que la CADA retrouve le sens de sa mission » répond Tangui Morlier, de Regards Citoyens. « Le problème n'est pas d'ordre juridique. On veut que cette institution fasse son travail. Et qu’elle le fasse bien ! »

Même son de cloche du côté d’Ouvre-boîte, où l’on aimerait que la CADA « prenne plus à cœur son rôle d'arbitre et dénonce les excès de passivité de certaines administrations ». « Actuellement, une réforme touchant le droit d'accès à l'information publique ne pourrait se conclure que par des régressions », craint en outre l’association.

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