Ces derniers mois, nous avons assisté à une explosion du nombre de plateformes de jeux dématérialisés sur PC, venues compléter l'offre proposée par les éditeurs et par le géant du secteur, Steam. Ont-elles vraiment des arguments pour justifier leur multiplication ?
Il y a quelques années, Steam a réussi à remplacer beaucoup d'autres icônes sur le bureau des joueurs, en regroupant la plupart des jeux à succès dans une interface unique. Depuis, un florilège de nouvelles icônes est revenu aux côtés de celle du mastodonte Steam.
En plus des classiques Origin, Uplay ou Battle.net, de nouvelles têtes sont apparues, Epic Games s'est ajouté à la liste des éditeurs offrant leur propre plateforme, tandis que Discord, Twitch et Itch sont venus jouer les trouble-fête. Tous ont des atouts à faire valoir, mais pour l'utilisateur, cette multiplication des plateformes apporte une nouvelle complexité.
Faut-il mettre tous ses œufs dans le même panier ? Comment s'assurer de n'avoir aucun doublon entre ses différentes ludothèques ? Quelle part du gâteau ces plateformes laissent-elles aux studios ? Autant de questions auxquelles nous allons tenter de répondre.
Steam, un leader attaqué de toutes parts
Impossible d'esquiver Steam. Pionnière du genre, la plateforme de Valve a fait ses premiers pas en septembre 2003, d'abord pour assurer un minimum d'indépendance vis-à-vis de son éditeur de l'époque : Sierra, qui appartenait alors à Vivendi.
Si Valve ne donne plus de chiffres officiels sur le nombre d'utilisateurs inscrits sur sa plateforme (il était question de quelque 125 millions de comptes actifs en 2015), l'entreprise communique volontiers sur le nombre d'utilisateurs connectés simultanément. Son pic a été atteint en janvier 2018 avec 18 537 490 utilisateurs connectés. Sur le mois de décembre 2018, le maximum hebdomadaire gravitait plutôt autour de 16,9 millions, dont quelque 5 millions en jeu.
Via son API, Valve a également fait fuiter malgré elle en juillet 2018 des données permettant de retrouver avec précision le nombre de personnes possédant tel ou tel titre. Le jeu le plus « possédé » est ainsi le free-to-play Team Fortress 2 avec 50,2 millions de joueurs, suivi par Counter Strike : Global Offensive (46,3 millions, récemment passé free-to-play) et PlayerUnkown's Battlegrounds (36,6 millions).
La plateforme se distingue à la fois par son « Workshop », une boutique de mods directement intégrée au client, permettant d'installer et de retirer des mods en un clic sur les jeux compatibles. Autre atout : Steam propose une place de marché sur laquelle les joueurs peuvent s'échanger des objets tels que des cartes à collectionner, des émoticônes, ou des skins d'armes.
Les transactions utilisent évidemment de l'argent réel, la plateforme prélevant une commission sur chacune d'elles. Pour les cartes à collectionner liées aux promotions de fin d'année, huit variantes différentes s'échangent sur le marché, à raison d'environ 5 000 transactions par jour pour chacune d'elles, soit un total de 40 000 transactions par jour, sur lesquelles Valve ponctionne un centime d'euro (sur un prix de vente compris entre 4 et 5 centimes).
Ajoutez à cela les commissions sur les centaines de milliers de caisses Counter Strike qui trouvent preneur à 2 centimes chaque jour, et celles sur les dizaines de milliers d'autres objets ainsi échangés (parfois à plus de 100 euros et la part de Valve augmente avec le prix), et vous aurez une idée de l'importance de cette place de marché pour l'éditeur.
C'est justement sur la commission prélevée lors de la vente de jeux que Valve est attaquée dernièrement. Sur chaque copie vendue via Steam, 30 % de la valeur hors-taxe du jeu est ainsi prélevée par la plateforme, les 70 % restants allant aux ayant-droits (éditeur, studio....)..
Valve a récemment assoupli cette règle en instaurant des prélèvements dégressifs en fonction du chiffre d'affaires réalisé par le jeu. Au-delà de 10 millions de dollars, le taux passe a 25 % et même à 20 % si la barre des 50 millions est franchie. Une politique qui fait hurler les studios indépendants dont les revenus sont déjà minces.
Epic Games Store : here comes a new challenger
Le 4 décembre dernier, c'est sur ce front des commissions qu'Epic Games est venu attaquer Valve, avec son Epic Games Store. L'argument massue de la nouvelle échoppe, d'un éditeur en pleine veine grâce à sa bombe nucléaire Fortnite, n'est pas destiné aux joueurs, mais aux éditeurs et au studios de développement.
Là ou Valve prélève 30 % des revenus, Epic Games assure se contenter d'une commission de 12% seulement, laissant ainsi 88 % des recettes aux ayant droits. L'affaire est encore plus intéressante pour les jeux exploitant l'Unreal Engine 4, puisqu'Epic ne ponctionnera pas les 5 % de royalties dues à l'utilisation de son moteur pour les copies de jeux vendues sur sa boutique. L'éditeur espère ainsi étoffer rapidement son catalogue de jeux, voire de priver Steam des titres développés avec l'Unreal Engine 4 en attirant les studios vers son échoppe, avec la promesse d'une répartition des revenus qui les avantage.
Pour plaire aux studios, l'appât du gain n'est pas forcément un argument suffisant. Encore faut-il que la base de joueurs accédant à la boutique soit suffisamment importante. En effet, si récupérer davantage d'argent par vente est intéressant, encore faut-il que les clients ne se comptent pas seulement en centaines, quand les titres les plus populaires se vendent par centaines de milliers, voire par millions sur Steam.
Epic peut s'appuyer sur son énorme base de plus de 200 millions de joueurs de Fortnite (avec des pics à plus de 8 millions en simultané). Ce chiffre couvre à la fois la version PC du jeu, et celles sur consoles et mobiles. Difficile donc en l'êtat de déterminer la quantité de personnes disposant du client Epic Games installé sur leur ordinateur, historiquement lié à Fortnite. Il devrait néanmoins se chiffrer en millions.
Pour appâter les joueurs l'entreprise fondée par Tim Sweeney compte s'appuyer sur un autre levier : la promesse de nouveaux jeux gratuits toutes les deux semaines. Depuis son lancement, trois jeux ont été offerts par Epic aux utilisateurs de son client : le succès critique Subnautica, Super Meat Boy, et What Remains of Edith Finch. Mais il est encore trop tôt pour déterminer si ces efforts ont eu un effet notable sur la fréquentation de la boutique en ligne, qui pour l'heure compte une grosse dizaine de titres seulement à son catalogue.
En attendant, Ubisoft a d'ores et déjà choisi d'abandonner Steam et Origin au profit de l'offre d'Epic Games, pour la distribution sur PC de l'un de ses prochains grands titres, The Division 2. Un allié de poids dans une bataille qui ne fait que commencer.
Origin : l'abonnement pour se différencier
Chez Electronic Arts, le client maison s'appelle Origin. Né en 2011, il descend directement de l'ancien EA Download Manager conçu en 2006. On y trouve non seulement l'ensemble des jeux les plus récents de l'éditeur, qui ne sont plus proposés sur des plateformes tierces, et quelques titres provenant d'Ubisoft (comme Assassin's Creed Odyssey), Codemasters (GRID 2, F1 2012...) ou Focus Home Interactive (comme Vampyr) et même CD Projekt.
Si la plateforme n'offre pas de fonctionnalité exceptionnelle, on retrouve un système de discussion entre joueurs, des trophées et... pas grand-chose de plus. Oubliez donc la possibilité d'installer facilement des mods pour vos jeux ou d'échanger quelque objet cosmétique que ce soit avec vos camarades.
C'est avec son bouquet Origin Access que la plateforme d'Electronic Arts se distingue du reste. Pour 3,99 euros par mois, ou 24,99 euros par an, l'offre Basic propose d'accéder à une grande partie du catalogue d'EA ainsi qu'à quelques jeux provenant d'autres éditeurs. À l'heure actuelle, cela correspond à 122 titres, dont Star Wars Battlefront II, FIFA 18, Battlefield 1, Mass Effect Andromeda ou encore Opus Magnum et Les Sims 4 (en édition Digitale Deluxe). De plus, les nouveaux titres d'EA qui n'ont pas encore été intégrés au bouquet sont testables pendant 10 heures de jeu effectif, et ce avant leur lancement.
Une seconde offre, Origin Access Premier, porte le catalogue à 129 titres en ajoutant entre autres Battlefield V, FIFA 19 Edition Ultimate, Madden 19 Edition Hall of Fame, Unravel two, Darksiders III et deux extensions pour Les Sims 4. Pour les titres nouvellement sortis, tous les DLC à venir sont inclus dans l'offre, y compris pour Anthem. Le prix est par contre porté à 14,99 euros par mois ou 99,99 euros par an. Dans les deux cas, les jeux sont uniquement accessibles pendant la durée de l'abonnement.
Battle.net : plus fermé que les opinions de tonton à Noël
Blizzard dispose également de sa propre plateforme de distribution de jeux : Battle.net. Celle-ci est complètement hermétique aux éditeurs tiers, puisque seuls certains jeux Blizzard y sont distribués, ainsi que Destiny 2 et Call of Duty : Black Ops IV, édités par sa maison mère, Activision Blizzard.
Au niveau des fonctionnalités, Blizzard n'assure que le service minimum. On y retrouve donc un chat écrit ou vocal entre joueurs (en tête à tête ou en groupe) et la possibilité d'offrir des jeux ou du contenu à ses amis. On peut également retrouver ses contacts via leur nom réel plutôt que par un pseudonyme, avec leur accord. Bref, si cette plateforme est populaire, c'est davantage grâce à ses exclusivités, que pour les fonctions qu'elle propose...
Uplay : le bastion d'Ubisoft
Comme ses deux grands rivaux, Ubisoft dispose également de son petit pré carré : Uplay. Le client fait surtout office de boutique en ligne pour l'éditeur. On y retrouve des informations sur les titres à venir, les évènements accessibles en jeu, ou sur les promotions en cours. Les titres free-to play ainsi que les démos jouables sont quant à elles mises en avant dans une section « jeux gratuits » au fond de la ludothèque du joueur.
Sur le front social, Ubisoft assure le service minimum, avec un chat écrit et la possibilité de créer des groupes d'amis pour faciliter les conversations. Côté modding : aucune fonctionnalité particulière n'est à noter. En leur absence, l'éditeur français a tenté d'attirer les joueurs en offrant certains titres, comme Beyond Good & Evil.
On notera tout de même une initiative plus que sympathique : les Défis Club. Sous cette appellation, on retrouvera des tâches à réaliser en jeu, qui sont récompensées soit par des points d'expérience, qui ont pour principal intérêt de montrer à vos amis que vous êtes le plus fort, soit par des points Club.
Ces derniers peuvent être dépensés à loisir pour acquérir des bonus divers, tels que des armes, des accélérateurs de gain d'expérience en jeu, des costumes, ou même la bande originale de certains jeux. Autre note positive, les points acquis sur PC peuvent tout à fait être dépensés pour des récompenses sur vos jeux console liés à votre compte.
Ceux qui n'ont cure de ce genre de babiole pourront aussi les échanger contre des bons offrant 20 % de réduction sur les titres vendus sur la plateforme, précommandes incluses. Un bon moyen de faire profiter aux clients des 30 % de commission que l'éditeur n'a pas à payer ailleurs.
GOG : zéro DRM et un sorceleur
Chez GOG, le client (Galaxy) est optionnel et toutes les opérations (achat, remboursement, téléchargement) peuvent s'effectuer directement depuis son navigateur web préféré.
Si le catalogue est essentiellement composé de titres ayant déjà eu une longue carrière commerciale (on pense à The Settlers II, Theme Hospital, Alpha Centauri ou encore Fallout premier du nom), GOG propose également une sélection plutôt riche de titres récents, provenant surtout de studios indépendants ou de petits éditeurs. Factorio, Democracy 3, ou encore Stellaris sont ainsi au catalogue.
Tous ces titres ont un point commun : ils sont vendus sans le moindre DRM limitant leur utilisation ou leur partage. Y compris The Witcher III, le fleuron de CD Projekt, propriétaire de la plateforme. Une propriété suffisamment rare pour être soulignée.
Au niveau des fonctionnalités, le client GOG Galaxy a pour particularité de savoir gérer différentes versions d'un même jeu. Ainsi, si la mise à jour 1.2 de votre jeu préféré cause des bugs chez vous, vous pouvez facilement revenir à la mouture précédente... à condition que l'éditeur permette ce fonctionnement.
Itch : indépendance 5/5
Itch, aussi connu sous le nom de Itch.io, est une plateforme bien singulière. Son client PC se résume à un navigateur minimaliste permettant d'accéder au contenu du site. On y retrouve un catalogue de plus de 145 000 titres, dont 138 000 gratuits, c'est au bas mot 10 fois plus que sur Steam.
N'espérez cependant pas trouver le dernier blockbuster dans cette échoppe. L'immense majorité du catalogue est composée de titres jouables sur navigateur, ou de petites créations réalisées lors de game jams comme le Ludum Dare. Il n'empêche que cela reste une expérience vidéoludique intéressante.
Discord, l'invité surprise
Outre les éditeurs de jeux vidéo, ces derniers temps des acteurs périphériques de l'industrie vidéoludique ont commencé à s'intéresser à la distribution de jeux pour renforcer l'attrait de leurs plateformes ou de leurs offres avec abonnement. Les deux exemples les plus notables sont évidemment Discord et Twitch. Nous reviendrons sur le second un peu plus bas.
Discord est avant tout une plateforme de discussion, remplaçant à la fois les messageries de groupe (à la IRC) et les logiciels de chat vocal comme Mumble et TeamSpeak, qu'il pense ringardiser. Le service gratuit est devenu indispensable pour de nombreux joueurs, qui y retrouvent la plupart de leurs communautés en ligne, bien au-delà des jeux vidéo eux-mêmes. Ce succès a fait réagir Valve, les dernières versions de Steam intégrant un nouveau système de discussion étonnamment proche du nouveau venu.
Ce dernier a intégré une boutique de jeux dans son application de messagerie. On y retrouve une trentaine de titres disponibles à l'achat avec des œuvres récentes, comme Darksiders III, ou Dead Cells, mais également des jeux moins connus présentés comme « découverts sur Discord ».
La plus grosse partie du catalogue, soit 73 jeux, est quant à elle regroupée dans une offre d'abonnement baptisée Discord Nitro. Facturée 9,99 € par mois, ou 99,99 euros par an, elle permet un accès illimité pendant la durée de l'abonnement à l'ensemble du catalogue.
Pour étoffer sa ludothèque, Discord joue sur la même corde qu'Epic Games, mais en poussant l'exercice encore plus loin. Quand Epic propose de prendre 12 % de commission sur les ventes, Discord estime que 10 % suffisent et assure travailler à des améliorations de ses méthodes pour réduire encore sa part.
Côté fonctions, il faut là aussi oublier le modding, l'échange de biens numériques où les forums communautaires que peut proposer Steam. Discord peut néanmoins faire valoir ses outils comme la création de « serveurs » où regrouper ses amis en fonction de leurs centres d'intérêt ou tout simplement les membres d'une guilde, avec à la fois du chat de groupe écrit et audio, ainsi qu'une gestion fine des permissions de chacun.
L'échec de Twitch
Twitch a de son côté jeté l'éponge après environ 18 mois de bataille. Son service de vente de jeux lancé en avril 2017 a en effet fermé ses portes fin novembre 2018.
La filiale d'Amazon espérait ainsi diversifier ses sources de revenus, ainsi que celles de ses créateurs de contenu. Il n'y avait pas de boutique à proprement parler, mais la plateforme ajoutait des liens sous les streams des diffuseurs éligibles à la monétisation. Liens qui permettaient d'acquérir une copie des jeux ainsi diffusés, le tout en utilisant un simple compte Amazon.
La répartition des revenus était par ailleurs particulièrement favorable à la plateforme. Sur le prix de vente d'un jeu elle collectait une commission de 30 % sur laquelle elle redistribuait 5 % au streameur, à condition qu'il fasse partie de son programme d'affiliation, ce qui laissait bon nombre de diffuseurs sur le carreau.
Fait amusant : Twitch a expliqué à nos confrères de TechRaptor que l'arrêt de la vente de jeux était dû au fait que ce service ne représentait qu'une portion minime des revenus des streameurs et que cette fonction avait justement été ajoutée pour diversifier leurs revenus. Peut-être y avait-il un curseur à bouger pour remédier à cela ?
Quoi qu'il en soit, Twitch n'a pas complètement disparu de l'environnement des joueurs PC. Les amateurs de MMORPG ou de Kerbal Space Program y retrouveront par exemple une base d'add-ons pour leurs jeux préférés, avec une interface permettant de les mettre à jour en quelques clics. Il s'agit des derniers vestiges du Curse Client, acquis par la société il y a quelques années.
Comment fait-on marcher tout ça sans s'y perdre ?
Un problème vient se poser à l'utilisateur lorsqu'il multiplie les plateformes pour ses jeux : comment retrouver facilement quel logiciel lancer pour accéder à tel titre ? Si la réponse est aisée pour certains comme FIFA 19 (Origin uniquement) ou World of Warcraft (Battle.net uniquement), où se diriger pour une petite partie de Super Meat Boy ? Steam ? Origin ? Epic Games ? GOG ?
Playnite, une application libre que nous vous avons présentés il y a tout juste un an, se propose de réunir l'ensemble de vos ludothèques sous une interface unifiée. Elle s'appuie sur les API des différentes plateformes pour y récupérer les informations qui vous concerne et lister tous les jeux de vos comptes. Il n'est toutefois pas possible d'installer de jeu sans les clients officiels ni d'y acheter le moindre jeu, ceci restant l'apanage des plateformes commerciales.