Si Presstalis (ex-NMPP) connait des problèmes structurels depuis près de 20 ans, 2018 pourrait battre des records. Au programme : nouveaux plans de soutien et de restructuration, retenue sur les revenus des éditeurs... Canard PC nous explique comment cela casse son retour aux bénéfices.
Pour les sites d'information en ligne, l'accès aux contenus est un casse-tête. Outre le bouche-à-oreille, c'est à travers de grandes plateformes aux énormes audiences que l'on peut toucher un public important, de Facebook à Twitter en passant par Google et son service d'actualités.
Pour un journal ou un magazine, le plus souvent payants, les kiosques sont un point de visibilité capital. C'est chez eux que passent chaque jour des millions de Français, qui peuvent découvrir une publication, la feuilleter et pourquoi pas l'acheter. Mais la distribution dans plus de 20 000 points de ventes n'est pas chose aisée. C'est même une activité pour laquelle le principal acteur français, Presstalis, est déficitaire depuis des années.
Récemment, la société a dû faire face à de nouveaux mauvais résultats, l'incitant à ponctionner les revenus des éditeurs pour assurer sa survie. Mais voilà, ce sont désormais ces sociétés, parfois indépendantes, qui portent tout le risque... et pourraient ne pas s'en remettre.
C'est ce que nous détaille Ivan Gaudé de Canard PC, dont la société éditrice (Presse Non-Stop) était en route pour un retour aux bénéfices après plusieurs années dans le rouge et quelques évolutions.
Notre dossier sur la crise de Presstalis, de la loi Bichet à Canard PC :
- La diffusion de la presse n'est pas qu'un problème du numérique, malgré la loi Bichet
- Presstalis promet le retour aux bénéfices en 2019, mais cette fois « les chiffres sont fiables »
- Canard PC nous détaille sa situation difficile, renforcée par la crise de Presstalis
La grogne monte chez les « petits » éditeurs
Depuis les dernières annonces de Presstalis, de la CSMP et du ministère de la Culture, les communiqués et réactions se multiplient, en attente d'une décision finale.
Sept éditeurs de presse indépendants, de titres comme Le 1/America, Alternatives économiques, Philosophie magazine, Politis, Ebdo, Sciences humaines, Les Grands Dossiers des Sciences humaines, Le Cercle Psy, Society, So Film et So Foot ont décidé de sortir du bois.
Dans une tribune publiée le 8 février, ils disent ne pas croire en la fin annoncée du papier, mais plutôt à l'importance d'une presse de qualité. Pour eux, la vente au numéro est encore majoritaire, les incitant à « renouveler le lectorat de la presse et la fréquentation des points de vente » tout en investissant dans la publicité chez les diffuseurs.
Le collectif, qui se dit indigné par « l’ampleur et la soudaineté de la crise » chez Presstalis, proposait sa propre contribution en huit points à la CSMP, annoncée comme « établie sur la base d’une information notoirement insuffisante. Ni le rapport Rameix, ni la situation financière de Presstalis à la fin de l’année 2017, ni les détails du plan de redressement présenté le 31 janvier ne nous ont été transmis ».
Dans les grandes lignes, ces éditeurs demandent une plus grande transparence sur la situation de Presstalis, son plan de redressement, les hypothèses de travail retenues ou encore un tableau de bord trimestriel sur l’évolution de la société pendant la durée du PSE.
Comme David Assouline, ils demandent un point sur ce qui a mené la coopérative à une telle situation. « L’asymétrie d’information entre d’un côté les administrateurs de Presstalis et l’État, qui ont conçu et négocié le plan de sauvetage dans le secret, et de l’autre l’ensemble des acteurs concernés, est criante, et en contradiction totale avec l’esprit coopératif » ajoute le collectif qui dit comprendre le besoin de mesures d'urgences.
Mais il demande à ce que toutes les décisions prises soient limitées à six mois, le temps de convoquer des États généraux de la distribution de la presse « réunissant tous les acteurs de la filière, y compris les diffuseurs ». Ces éditeurs critiquent également la différence faite entre ceux « optant pour l'apport en compte courant ne verraient pas leur compte de résultat impacté par la contribution exceptionnelle. Le compte courant serait une créance rémunérée par des intérêts et ayant vocation à être remboursée. Pour les autres éditeurs, il s’agit d’une charge et d’une perte définitive » qui constitue une inégalité entre « les plus riches en trésorerie » et les autres.
« Si le principe d’une contribution devait être maintenu, celle-ci devrait constituer une créance remboursable et rémunérée pour tous les éditeurs » précise le collectif. Il invite au passage à des règles prenant en compte la situation financière et capitalistique des sociétés concernées (pour exempter celles qui en auraient besoin), mais aussi à la charge globale sur le réseau afin de pénaliser par exemple les titres avec un fort taux d'invendu.
Le collectif refuse enfin le gel des transferts pendant les six prochains mois et l'allongement des délais de paiement. Il a été partiellement entendu avec des modifications au plan de départ annoncées ce lundi 19 février : « le taux de la contribution est différencié : 2.25% pour Presstalis et 1% pour les MLP. Ces taux différenciés ont été fixés en considération d’une stabilité des parts de marché entre les messageries sur la période » selon le communiqué.
Concernant les modalités de règlement, la CSMP « fixe des délais plus longs que ceux actuellement pratiqués par Presstalis et les MLP. L’allongement retenu est de l’ordre de 14 jours » mais précise qu'en raison de la situation des petits éditeurs, il est prévu pour « ceux réalisant moins de 1 million d'euros de VMF, les délais de règlement demeureront substantiellement identiques à ceux actuellement pratiqués. Cette disposition devrait concerner environ 89 % des éditeurs distribués par les MLP et 79% des éditeurs distribués par Presstalis ».
« C'est Canard PC qui va trinquer »
Chez Presse Non-Stop qui édite Canard PC et Canard PC Hardware et chez qui le coût de la distribution au numéro représente environ 40% du prix de vente, on retrouve la même inquiétude. En janvier, son directeur de la publication, Ivan Gaudé, s'alarmait de la situation et des décisions prises.
« Apparemment, le premier hold-up ne suffisait pas : après nous avoir braqué de 25 % de nos revenus pendant deux mois, nous avons appris le 25 janvier que nous serions également ponctionnés de 2,25 % tous les mois pendant… 4 ans et demi. Et cette fois, cette retenue arbitraire, validée par le tribunal de commerce pour essayer de sauver Presstalis, s’applique sur tous les journaux, qu’ils soient distribués par Presstalis ou par les MLP » lançait-il, alors que Canard PC a justement décidé de quitter Presstalis pour les MLP il y a un an, la transition ne s'étant effectuée qu'en début d'année.
Début février, il alertait sur la situation devenue dangereuse pour la société. Qu'il soit question de sauvetage ou de liquidation de Presstalis, « actuellement, Canard PC n’a les moyens de survivre à aucune de ces deux situations ». L'équipe a pourtant connu une année faste avec le lancement d'un site dédié à une nouvelle offre numérique, ainsi qu'une nouvelle formule de son navire amiral qui vient d'être mise en vente.
Après un financement participatif réussi, une année 2017 sous pression
Le bilan de la campagne Kickstarter de 2016 qui avait permis de financer le site, publié quelques jours après la diffusion du dernier article, affichait un résultat de 259 000 euros répartis comme suit :

L'équipe précise que « la création du site lui-même a coûté au total un peu plus que prévu (par rapport aux 60 000 euros demandés initialement), ce qui est normal : vu le succès de la campagne, nous avons été un peu au-delà du minimum initial ». Le coût final est ainsi de 72 000 euros, auxquels sont ajoutés 11 000 euros de retard correspondant au « manque à gagner dû au retard du site web et frais des prolongations d’abonnements offertes pour compenser ».
Les dépenses pour les goodies, frais d’impression et d'envois des 21 numéros de chaque abonnement papier souscrit ont également été plus élevés que prévues, notamment « parce que nous ne pensions pas que vous seriez aussi nombreux à prendre un abonnement papier lors d’une campagne pour un site web ».
Une fois les frais de la plateforme retirés, restaient donc 73 500 euros qui, pour Canard PC, ne sont pas à considérer comme un gain net : « les coûts salariaux nécessaires pour écrire tous les articles que proposent ces abonnements ne sont pas pris en compte ici », les articles publiés sur le site ou dans le magazine étant identiques, bien que nécessitant une adaptation spécifique à chaque format.
Mais cette réussite n'était pas la garantie de bons chiffres. Après deux années supérieures à 2 millions d'euros de chiffre d'affaires, 2017 « sera aux alentours de 1,7 million » nous confie Ivan Gaudé. Les trois exercices ont été en déficit : « 2015 a soldé l’arrêt d’Humanoïde, 2016 et 2017 sont des années de transition difficile avec la mise en place et l’essor de l’offre numérique », précise-t-il.
Le modèle de Canard PC a ainsi subi une assez large transformation pendant cette période, passant d'un rapport d'un tiers d'abonnement contre deux tiers de vente au numéro en 2015 à l'inverse deux ans plus tard. Comme l'équipe s'y attendait, la forte souscription à des abonnements via la campagne Kickstarter a impacté la vente en kiosque.
Revenir à l'équilibre, malgré Presstalis... avec le soutien des lecteurs
L'objectif était ainsi de revenir à l'équilibre d'ici 2018, ce qui serait empêché par « l'affaire Presstalis », alors que la vente au numéro représentait encore la moitié du chiffres d'affaires en 2016, sans compter les rares pages de publicité qui perdent de leur intérêt lorsque la diffusion baisse.
« L’ensemble des ponctions prévues telles qu’annoncées aujourd’hui, soit 25 % sur décembre et janvier, ajoutés aux 2,25 % sur quatre ans et demi, devraient nous coûter plus de 100 000 euros sur la période, dont 40 000 euros sûrs la première année ». Un problème alors que la marge de Presse Non-Stop, lorsqu'elle est positive, est inférieure à 2 %.
Le magazine qui fêtera ses 15 ans cette année annonce donc qu'il va demander le soutien de ses lecteurs « pour survivre à 2018 en continuant à exister sur papier ». Cela prendra la forme d'une campagne de financement participatif proposant des abonnements. De plus, le 1er mars, l'équipe dévoilera « une transformation brutale du magazine et de son fonctionnement » ainsi que son « plan pour sortir Canard PC de ce traquenard et les différentes façons de nous aider ».
« Le premier objectif de la campagne sera de nous aider à avaler ce racket » nous indique Ivan Gaudé, précisant que ce ne sont pas des coûts que Presse Non-Stop peut absorber seule pour le moment. « Plus généralement, mis à part le scandale de la chose, je suis extrêmement inquiet sur l’avenir de la distribution pour la presse spécialisée indépendante » nous confie-t-il, dubitatif au sujet d'un « plan conçu en dépit du bon sens ».
Autre sujet d'inquiétude, la façon dont seront traités les indépendants dans cette phase de résolution des problèmes de Presstalis : « La logique des forces en action aujourd’hui indique que les nouvelles conditions qui seront inévitablement mises en place dans les 6 à 12 mois nous seront très défavorables (et à tous les petits d’une manière générale) [...] Canard PC doit de toute façon muter pour survivre, et nous n’allons pas attendre » conclut-t-il, espérant sans doute que de toutes ces mauvaises nouvelles, pourra émerger un retour à la rentabilité de Presse Non-Stop.