Si la loi Numérique permet aux citoyens d'obtenir une explicitation des « règles » et « principales caractéristiques » de mise en œuvre de tout traitement algorithmique fondant une décision individuelle, rares sont les administrations à se plier à ces demandes. Face à l'inertie du fisc et de la CAF, Next INpact a décidé de saisir la CADA.
Attribution d’allocations familiales ou de bourses scolaires, montant des impôts... Depuis le 1er septembre 2017, toutes les décisions individuelles prises « sur le fondement d'un traitement algorithmique » doivent (théoriquement) être accompagnées d’une « mention explicite » informant l’usager qu’un programme informatique est venu s’immiscer dans le calcul de ses APL, de sa taxe d’habitation, etc.
Avec cette petite ligne rendue obligatoire par la loi Numérique, chaque acteur public est au passage tenu de rappeler au citoyen qu’il a le droit d'obtenir la communication des « règles » et « principales caractéristiques » de mise en œuvre du traitement algorithmique utilisé.
Sauf qu’en dépit de nos efforts, nous avons été bien incapables de trouver cette fameuse mention – tant dans des décisions émanant de Pôle emploi que de la CAF, en passant par l’administration fiscale... Qu’à cela ne tienne ! Rien n’empêche de demander directement la communication de ces éléments.
C’est ce que nous avons tenté, après avoir reçu notre avis de taxe d’habitation.
Demande d'explicitation de l'algorithme utilisé pour le calcul de la taxe d'habitation
Sur le fondement de l'article L311-3-1 du Code des relations entre le public et l'administration, nous avons sollicité auprès de la Direction générale des finances publiques (DGFiP) les « règles » définissant le traitement algorithmique utilisé pour le calcul de la taxe d’habitation, ainsi que « les principales caractéristiques de mise en œuvre de ce même traitement ».
Notre demande se poursuivait de la sorte : « À titre indicatif, l'article R311-3-1-2 du même code dispose que « L'administration communique à la personne faisant l'objet d'une décision individuelle prise sur le fondement d'un traitement algorithmique, à la demande de celle-ci, sous une forme intelligible et sous réserve de ne pas porter atteinte à des secrets protégés par la loi, les informations suivantes :
- Le degré et le mode de contribution du traitement algorithmique à la prise de décision ;
- Les données traitées et leurs sources ;
- Les paramètres de traitement et, le cas échéant, leur pondération, appliqués à la situation de l'intéressé ;
- Les opérations effectuées par le traitement. »
Cinq jours plus tard, réponse de la DGFiP : « Que est est (sic) l'objet de votre demande ? »
Tentative tout aussi infructueuse au sujet de la prime d'activité
Même (més)aventure – ou presque – avec la CAF, sollicitée pour une explicitation de l’algorithme utilisé pour le calcul de la prime d’activité. « Vous souhaitez que je vous communique les textes qui définissent les règles de traitement de la prime d'activité. Je vous adresse, ce jour, par courrier, la copie des textes » nous a-t-on répondu.
Nous avons eu beau expliquer à la CAF comme au fisc qu’il s’agissait d’une demande d’éclaircissement sur le fonctionnement d’un algorithme, rien n’y a fait... Nous avons reçu par La Poste un décret relatif à la prime d’activité, une délibération de la CNIL, une décision de la CNAF. Mais aucun document ayant trait par exemple au « mode de contribution du traitement algorithmique à la prise de décision » (sans parler de la « forme intelligible »...).
Faute de nouveau retour et d’avoir pu obtenir la moindre explicitation de la part de la CAF et de la DGFiP dans un délai d’un mois, nous avons saisi la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA). L’institution, malheureusement déjà bien surchargée, devrait se prononcer d'ici quelques mois sur ce qui relève, à nos yeux, d’un refus de communication.
La loi Numérique peine encore à produire ses effets
Le silence conservé par l’administration fiscale est d’autant plus surprenant que Lionel Ploquin, « l’administrateur des données » de la DGFiP, a récemment expliqué devant l’Assemblée nationale qu’une « part importante du travail » était « déjà faite » sur ce dossier. « Si, comme nous y invite et le prescrit la loi pour une République numérique, nous devons demain faire un effort de transcription en langage compréhensible et clair pour un usager de l'algorithme, nous n'aboutirions pas à un résultat différent de ce que notre documentation aujourd'hui met à la disposition des usagers » avait-il déclaré.
Malheureusement, il n’y a pas que pour ce cas de figure que les nouvelles obligations nées de la loi Numérique de 2016 peinent à produire leurs effets... Après avoir constaté que de nombreuses administrations rechignaient à appliquer leurs premières obligations d’Open Data « par défaut », Next INpact a décidé de déposer la semaine dernière deux requêtes devant le Conseil d’État (voir notre article).