Next INpact diffuse la lettre par laquelle la Hadopi a commandé une étude juridique à deux maitres des requêtes du Conseil d’État sur la faisabilité de l’amende au dernier stade de la riposte graduée. Une amende que l’autorité infligerait elle-même, contrairement au système actuel qui confie cette tâche au juge.
Afin d’obtenir ce document, il n’aura finalement pas été nécessaire de mener notre procédure CADA auprès de l’autorité publique indépendante jusqu’au bout. Ce fichier a en effet été transmis notamment à plusieurs représentants des ayants droit et associations de défense, histoire de les alerter du chantier en cours.
Et quel chantier ! Est remise sur la table la mise à jour de la réponse graduée vers un système d’amende. Un système déconnecté de toute intervention des tribunaux, contrairement à la procédure votée dans la douleur en 2009.
C’est peu de le dire, depuis des années, les ayants droit militent pour muscler la réponse graduée, à leur goût trop gentillette.
Une Hadopi face au goulot de la justice
À ce jour, la Hadopi est bien rodée à l’envoi d’avertissements. Si le seuil symbolique de 10 millions a été atteint début septembre, l’autorité publique indépendante reste tributaire des décisions des parquets et tribunaux. Les abonnés avertis qui persistent à ne pas sécuriser leur ligne peuvent être envoyés directement aux portes des tribunaux de police, pour s’en sortir finalement avec de simples remontrances. Voilà pourquoi seules 151 condamnations ont été décidées depuis l’application de la loi de 2009.
Un chiffre bien trop faible aux yeux de Nicolas Seydoux. L’influent président de l’association de lutte contre la piraterie audiovisuelle rêve de longues dates d’un système entièrement automatisé. Voilà quelques jours au ministère de la Culture, il nous vantait encore les charmes d’« amendes automatiques, exactement comme les amendes de stationnement » où « quelqu’un qui a téléchargé 10 fois à la limite, payerait 10 fois 20 ou 25 euros ».
Du monde en faveur de l’approche radar
Avec un tel mécanisme, la Hadopi devenue inutile serait évidemment supprimée et ses 9 millions de subventions annuelles réaffectées à d’autres postes.
En effet, les relevés d’adresses IP seraient toujours du ressort des ayants droit, mais une fois dressés, les constats seraient envoyés à Rennes pour être traités comme les excès de vitesse flashés par des radars. Adresse IP ou plaque d’immatriculation, même combat !
Un scénario qui ne déplait pas à la SACEM lorsque son président Jean-Noël Tronc affirmait en 2012 : « Si je suis pris à 57 km/h sur la voie sur berge à Paris, on ne m’envoie pas un email d’avertissement, on me retire trois points à mon permis et je dois payer une amende ». Ou à Fleur Pellerin, alors ministre de la Culture, qui caressait en 2013 l’idée « de reprendre un peu le modèle des radars automatiques sur les autoroutes et d'avoir un système d'amendes beaucoup plus faibles en terme de montants. »
Les producteurs de musique, le pied enfoncé sur l'accélérateur, plaidaient pour une amende automatique de 140 euros, pas moins.
Une mission lancée à la demande de la Hadopi
Retour à 2017. La Hadopi sait aussi qu’un système d’amende automatisé, la fameuse approche radar, la condamnerait sur le champ.
Comme l’avait déjà révélé Next INPact, elle a commandé fin août, auprès de deux maîtres des requêtes au Conseil d’État, une étude juridique sur la faisabilité des amendes. « Une étude un peu orientée » nous dénonce-t-on déjà du côté de l’industrie du cinéma, et pour cause : si la haute autorité envisage bien différents scénarios d’amende, tous passent par son intervention, en écartant donc sa mise à mort.
Quels scénarios ? Il s’agit principalement de la sanction administrative pécuniaire, et l’alternative de l’amende forfaitaire pénale où « tout abonné contrevenant identifié se verrait proposer le paiement d’une amende pour éteindre l’action publique, qu’il pourrait contester devant le juge pénal ». Dans tous les cas, insistons : l’intervention du juge serait postérieure à la décision de la Hadopi.
Seulement, le droit a des écueils que les pulsions sanctionnatrices n’ont pas. Voilà pourquoi dans la lettre de mission, dévoilée ci-dessous, la Hadopi souhaite être éclairée sur plusieurs points :
- « Une sanction administrative pourrait-elle être fondée sur les constats de personnes privées, à savoir les ayants droit ?
- Une automatisation des sanctions supposerait-elle l’institution de la présomption de culpabilité à partir de constats matériels, et celle-ci vous parait-elle juridiquement possible en l’espèce ?
- Dans quelles limites et conditions, l’objectif du renforcement de la dissuasion pourrait-il être plutôt atteint par un recours accru aux procédures et décisions simplifiées, telles la composition pénale ou l’ordonnance pénale, et dans les cas les plus graves par des actions en contrefaçon ? »
Les réponses des deux maitres des requêtes sont attendues fin novembre.
Quand Mireille Imbert-Quaretta s’oppose à l’amende
Pourquoi ces questionnements ? Ces scénarios bien rodés ont connu un barrage de poids dans leur histoire. En juin 2015, Mireille Imbert-Quaretta, alors présidente de la tourelle prépénale de la Hadopi, les avait fusillés dans une note adressée aux sénateurs Corinne Bouchoux et Loic Hervé.
Dans cette pièce restée secrète, mais que nous avions pu consulter , « MIQ » pointait deux passages de la décision du Conseil constitutionnel rendue le 10 juin 2009 :
- « L’autorisation donnée à des personnes privées de collecter les données permettant indirectement d’identifier les titulaires de l’accès à des services de communication en ligne conduit à la mise en œuvre, par ces personnes privées, d’un traitement de données à caractère personnel relatives à des infractions » ;
- « Qu'une telle autorisation ne saurait, sans porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée, avoir d'autres finalités que de permettre aux titulaires du droit d'auteur et de droits voisins d'exercer les recours juridictionnels dont dispose toute personne physique ou morale s'agissant des infractions dont elle a été victime ».
Dit autrement, pour le Conseil constitutionnel, une collecte d’adresses IP par des personnes privées n’est possible que dans la perspective d’exercer des recours juridictionnels. En confiant à la Hadopi la possibilité de distribuer elle-même des amendes, le système ne respecterait donc plus le fléchage imposé par le bloc de constitutionnalité.
Selon MIQ, on pourrait même arriver à un système de présomption de culpabilité avec un mécanisme très nerveux où il y aurait autant d’amendes que de faits constatés. On imagine sans difficulté la douloureuse pour un abonné dont la connexion a servi à échanger 200 fichiers, chacun sanctionné de 140 euros…
Au Sénat, des suggestions pour répondre aux contraintes constitutionnelles
Dans leur rapport sur Hadopi, les sénateurs Corine Bouchoux et Loic Hervé avaient malgré tout déduit de leurs auditions les multiples vertus de cette mise à jour : « la crédibilité de la sanction, l'effet dissuasif sur les contrevenants, l'allègement du traitement des dossiers et le désencombrement des tribunaux, notamment ».
Malgré cette note, les deux parlementaires plaidaient pour un système d’amende administrative qui « a pour avantage de maintenir, au sein de la Hadopi, l'actuel système pédagogique de la réponse graduée avec sa série de recommandations successives aux internautes ».
Ils suggéraient la création d’une « commission des sanctions » pour bien séparer poursuite, instruction et « jugement », un peu comme au sein de la CNIL. Et pour rester dans les lignes de la décision de 2009 du Conseil constitutionnel, ils proposaient enfin que le relevé des IP soit confié à la Hadopi.
Une piste qui aurait cette fois pour funeste effet de sectionner une juteuse branche d’activités de Trident Media Guard, la société chargée de glaner ces adresses pour le compte des ayants droit de la musique et du cinéma.