Firefox franchira prochainement une étape majeure avec l’arrivée de la version 57. Disponible en bêta depuis hier soir, elle est renommée pour l’occasion Quantum, du nom de son nouveau moteur de rendu. Mozilla a de vastes ambitions et semble s’en donner les moyens.
Firefox Quantum doit arriver le 14 novembre. Cette fameuse version 57 est attendue de pied ferme tant sa mission est importante. Pour Mozilla, il en va désormais de sa propre image : le nouveau moteur de rendu et les différentes optimisations réalisées cette année doivent redonner à Firefox une réputation de navigateur performant.
Les changements introduits ces derniers mois sont particulièrement nombreux. La version 54 a ainsi accéléré le démarrage et généralisé le multiprocessus à l’ensemble des utilisateurs. Une étape cruciale puisque le navigateur était le dernier parmi les plus utilisés à ne pas proposer une telle architecture, apte à mieux tirer parti des cœurs multiples des processeurs. Il s'agit de la suite logique du projet Electrolysis, qui avait déjà séparé l’interface du rendu, chacun ayant son propre processus. La version 55 a suivi en promouvant le 64 bits par défaut sous Windows.
Electrolysis est en fait à la base de presque tout le reste, car le changement profond introduit par Mozilla permet désormais la suite des opérations, avec l’arrivée de Quantum et des WebExtensions. Passons donc en revue les améliorations de Firefox 57 avec l’arrivée de la bêta.
Quantum, le nouveau moteur de rendu
Quantum désigne désormais à la fois le moteur et le nom de cette version de Firefox. Mozilla tient clairement à ce que le changement soit perceptible. Le passage en bêta fixe la liste des fonctionnalités attendues pour la version finale, car tous ces changements n’étaient jusqu’à présent disponibles que dans le canal Nightly.
Le plus gros changement est donc l’arrivée du nouveau moteur, ou plutôt « des moteurs ». Quantum est en effet un projet au long cours se divisant en plusieurs parties. Stylo est par exemple le nouveau moteur CSS, qui s’occupe d’analyser les fichiers correspondants, d’appliquer les règles de styles et de calculer l’ensemble des tailles et positions des objets.
Compositor s’occupe de son côté de rassembler les éléments rendus séparément pour composer – justement – la page web demandée par l’internaute. La nouvelle architecture multiprocessus permet également à Quantum DOM d’opérer, en modifiant le fonctionnement global du JavaScript. Un changement qui permet surtout de réduire la consommation en ressources pour les onglets en arrière-plan (chacun disposant de son propre thread). Objectif proclamé, empêcher qu’un rendu sur l’onglet actif ne soit ralenti.
Notez que l’un des composants majeurs de Quantum, WebRender, n’arrivera qu’avec Firefox 59, attendu pour le 6 mars 2018. Il aura à charge d’utiliser autant que possible le GPU pour les opérations de rendu et devrait être synonyme de nouvelle hausse des performances. Il partage avec les autres parties de Quantum une écriture du code en Rust, créé par Mozilla pour contourner les limitations rencontrées dans le passage au multiprocessus. Quantum DOM reste en C++, de même que Flow, centré sur l’optimisation et la correction des bugs dans le code existant.
À l’utilisation, Firefox 57 procure une nette sensation de vitesse, même si la mouture 54 avait déjà fait un gros pas dans cette direction. Dans un billet de blog, Mozilla présente son nouveau navigateur comme deux fois plus rapide que la version 52 sur le test Speedometer 2.0, et plus de 30 % plus performant que Chrome 61, tout en consommant en moyenne 30 % de mémoire vive en moins. Des chiffres qu’il faudra confirmer en pratique quand la version finale sera disponible.
Nouveau look pour une nouvelle vie
Pour être certain que Firefox Quantum soit aussi visible que possible, l’éditeur lui adjoint une nouvelle icône. On reste évidemment dans la thématique du « renard de feu », mais les couleurs en sont plus vives, pour mieux faire passer l’idée d’un gros dépoussiérage.
Mais Firefox 57 voit surtout son interface rénovée. Fruit du projet Photon, elle commence par rebasculer sur des onglets rectangulaires, mettant à mort les arrondis tant décriés il y a trois ans. Barres plus fines, couleurs plus claires (le thème sombre reste évidemment disponible), icônes simplifiées et retravaillées : Photon donne un coup de jeune au navigateur. Un bémol néanmoins : déplacer la fenêtre est parfois moins facile, car il n’y a plus d’espace au-dessus des onglets.
Cette interface modernisée se veut aussi plus réactive, Mozilla ayant retravaillé ses animations. À noter également l’apparition d’un bouton Bibliothèque, qui rassemble dans un même menu l’historique, les marque-pages, les téléchargements, onglets ouverts et captures d’écran. Firefox Quantum intègre en effet le nouvel outil de capture que nous avons récemment évoqué.
L’ensemble s’accompagne d’une nouvelle page à l’ouverture d’un onglet, avec les classiques barre de recherche, sites les plus visités et autres recommandations.
Le passage aux WebExtensions n'est pas sans heurts
La version 57 sera également celle du grand passage aux WebExtensions, Firefox abandonnant alors définitivement son ancien modèle. Ce standard, adopté notamment par Chrome et prochainement par Microsoft, a de nombreux avantages, dont celui d’être parfaitement compatible avec la nouvelle architecture multiprocessus.
La conséquence la plus directe est que Firefox 57 n’accepte que des WebExtensions. Si vous installez la bêta et vous rendez compte que certaines ne sont plus là, ne cherchez pas plus loin : sans mise à jour du développeur, les anciens modules ne peuvent plus fonctionner.
Dans la pratique, beaucoup ont déjà reçu des mises à jour en ce sens au cours de l’année, le navigateur étant compatible avec les WebExtensions depuis un moment déjà. Des extensions très utilisées comme µBlock, Privacy Badger, Ghostery, Cisco WebEx, Amazon ou encore Evernote sont d’ores et déjà utilisables.
Malheureusement, beaucoup n’ont pas encore sauté le pas. C’est notamment le cas du gestionnaire de mots de passe LastPass. L’éditeur a confirmé qu’une WebExtension serait prête avant la parution de Firefox 57, mais les utilisateurs de la bêta ne pourront pas contourner le problème. Adblock Plus, Video DownloadHelper, NoScript, Tab Mix Plus, FlashGot, Stylish, FireFTP, Signets iCloud, Skype, Session Manager, User Agent Switcher ou encore Xmarks ne fonctionnent pas.
Mozilla a beau prévenir depuis longtemps de cet important changement, il est un peu inquiétant de voir autant d’extensions incompatibles un mois et demi avant le lancement de Firefox Quantum. Et l’éditeur aurait raison de s’en faire : c’est invariablement contre Firefox que la colère des utilisateurs se dirigera si de nombreuses extensions ne fonctionnent plus du jour au lendemain.
Côté fonctionnalités, un peu de neuf également
Changer de moteur, d’interface et d’icône représente bien sûr l’essentiel de Firefox Quantum. Il y a toujours quelques nouveautés supplémentaires.
On retrouve donc, comme évoqué plus haut, l’outil de captures d’écran, qui permet de capturer tout ou partie d’une page, avant d’enregistrer le résultat localement ou en ligne. L’intégration de Pocket se renforce également, puisque les éléments ajoutés dans le service prennent aussi place dans la nouvelle Bibliothèque. Il est aussi question d'une option pour éviter le tracking via les options d'accessibilité et de la possibilité d'activer la gestion des clés de sécurité U2F.
On ne trouve cependant pas dans cette bêta les onglets contextuels dont nous avions parlé lors des Rencontres mondiales du logiciel libre, signe qu’ils ne sont pas encore prêts. La fonction permet pour rappel de créer des onglets isolés du reste du navigateur pour certains usages particuliers, comme le site d’une banque, un intranet, etc.
Côté développeurs, il y a aussi du neuf, puisque l'édition qui leur est dédié a elle aussi été mise à jour. Les outils intégrés ont pour la plupart été réécrits pour mieux tirer parti des améliorations de Firefox, tout en se voulant plus en phase avec des frameworks comme React (Facebook). De nouveaux éléments sont en outre supportés, notamment CSS Grid et CSS Variables. Le premier est une nouvelle manière de structurer une page, tandis que le second permet de savoir quelle valeur a une variable, et pourquoi.
Quantum est un va-tout
Personne ne se plaindra d’une concurrence renouvelée, surtout quand il s’agit de lutter contre un Chrome devenu omniprésent et dont la gloutonnerie est une critique régulière. Mozilla a d’ailleurs choisi ses thèmes à mettre en avant pour se faire entendre en évoquant la consommation de mémoire vive.
Mais s’il est agréable de voir les projets de la fondation aboutir, il ne faut pas oublier que Firefox est en perte continuelle de vitesse. Le monde du web est essentiellement gouverné par les moteurs Webkit et Blink, le second étant un fork du premier réalisé par Google. Au vu des efforts alignés par Mozilla depuis environ six mois, il est clair que l’éditeur jette toutes ses réserves dans la bataille.
Firefox Quantum a-t-il de quoi renverser la vapeur ? Le potentiel est là en tout cas, mais la réponse est toujours beaucoup plus complexe que de « simples » performances ou une interface rajeunie. Le vrai problème de Mozilla sera d’arriver à casser une nouvelle fois les habitudes. Nouvelle car il faudrait que l’éditeur refasse finalement ce qu’il avait provoqué avec Firefox 1.0 dans un monde outrageusement dominé par Internet Explorer 6 à l’époque.
Cette 57e version pourrait en tout cas réussir chez la frange d’utilisateurs qui attendait justement un gros sursaut de Mozilla pour se débarrasser de Chrome. La partie pourrait se jouer finalement sur les petites différences pratiques, les fonctionnalités anodines et surtout l’épaisseur du catalogue d’extensions.
Il sera aussi intéressant de voir si la question de la vie privée, des publicités et du contrôle des données revient sur le devant de la scène, Apple et Google ayant été très audibles sur le sujet ces derniers temps (voir ici ou là), mais pas Mozilla. Reste à faire le point lors de la sortie de la version finale, le 14 novembre prochain. Une partie du succès de Firefox Quantum est désormais entre les mains des développeurs d’extensions, et on imagine que Mozilla va mettre les bouchées doubles pour motiver les retardataires.