La Commission européenne vient de présenter sa feuille de route pour un marché unique numérique, prévu pour la fin 2016. Le projet comprend de nombreuses réformes, notamment celle des télécoms, du droit d’auteur et des données personnelles, mais aussi des mesures visant à favoriser les entreprises européennes. Un objectif ambitieux, qui reste encore soumis aux débats et lobbyings.
Le projet marché numérique unifié en Europe avance et nous savons désormais quel périmètre il couvre. Fin mars, la Commission européenne avait présenté ses priorités pour le marché unique numérique, entre autres la réforme du droit d’auteur et la neutralité des plateformes. Ce midi, elle a détaillé sa feuille de route, avec l’ensemble des mesures qui seront prises pour garantir un échange des données et un commerce électronique sans contrainte en Europe.
Le travail est nécessaire, selon l’institution : « seuls 15 % [des Européens] effectuent des achats en ligne dans un pays de l’UE autre que le leur [...] 7 % des PME seulement vendent à l'étranger [et] les administrations ne peuvent profiter pleinement des outils numériques » explique-t-elle dans son communiqué.
Le projet passe par 16 « actions » réparties en trois objectifs. L’ensemble de ces mesures devrait être mises en place d’ici la fin de l’année prochaine. Ce marché unique est porté par Jean-Claude Juncker, le président de la commission, Günther Oettinger, commissaire en charge du numérique et Andrus Ansip, vice-président chargé du dossier. « [Ces actions] doivent être réalisées rapidement afin de contribuer plus utilement à la création d’emplois et à la croissance. Cette stratégie est notre point de départ, et non la ligne d’arrivée » affirme ce dernier dans son communiqué.
Briser les barrières entre pays, avec quelques exceptions
Le premier des trois « piliers » de ce marché unique numérique est l’amélioration de l’accès au numérique, pour les particuliers et les entreprises. La moitié des mesures concernent cet objectif, assez vaste il faut dire. Concrètement, il s’agit de limiter les barrières techniques et commerciales pour la circulation des contenus (par exemple unifier le traitement de la TVA, faciliter l’envoi de colis ou limiter le blocage géographique) ou d’unifier la législation, sur la protection des consommateurs et le droit d’auteur. Ce dernier point est un chantier important, qui oppose frontalement les porteurs du projet à certains ayants droit.
Les mesures consistent donc à :
- établir des règles visant à faciliter le commerce électronique entre pays ;
- accélérer l’adoption de règles communes pour la protection des consommateurs ;
- limiter les coûts de transport de colis entre pays, qui seraient trop élevés actuellement ;
- interdire le blocage géographique d’un contenu dans un pays, « une pratique discriminatoire injustifiée utilisée pour des raisons commerciales » à l’exception des contenus audiovisuels, « dont le financement dépend de l’exclusivité territoriale » ;
- identifier les problèmes de concurrence potentiels affectant les marchés du commerce électronique, une enquête étant annoncée aujourd’hui ;
- réformer le droit d’auteur pour l’unifier au niveau européen, en améliorant l’accès aux œuvres partout en Europe, comme nous l’a expliqué l’eurodéputée pirate Julia Reda, qui se penche sur cette réforme au nom du Parlement européen ;
- examiner la directive « satellite & câble », qui vise à faciliter la diffusion de contenus audiovisuels entre pays, pour peut-être l’étendre aux diffusions en ligne ;
- réduire la charge administrative imposée aux entreprises par les différents régimes de TVA, ce qui implique des changements importants pour elles.
Développer les réseaux et services européens
Le deuxième pilier est « la création d’un environnement propice » au développement des réseaux et des services innovants. Le premier but est d’encourager le déploiement des réseaux télécom, un chantier important partout en Europe, surtout en France. On espère par contre que cette initiative se déroulera mieux que la fin des frais de roaming en Europe, votée par le Parlement, mais reportée par le Conseil Européen.
Le second est d’aider le développement d’une industrie et de services européens, y compris sur la cybersécurité. Cela passe entre autres par un équilibrage du marché avec les services américains, déjà sous le feu de l’UE. « Les grandes plateformes américaines respectent de moins en moins les règles nationales », ce qu’une législation européenne empêcherait, a affirmé Andrus Ansip lors de la conférence de presse, citant Google et Microsoft. Dans le détail, il s’agit de :
- réviser la réglementation des télécommunications, par la réforme du Paquet télécom, qui inclut entre autres la gestion des fréquences, l’assouplissement de l’itinérance et la neutralité du Net, pour un résultat concret encore flou ;
- réexaminer le cadre des médias audiovisuels « pour l'adapter au 21e siècle », y compris pour intégrer les nouveaux modes de diffusion des contenus (comme la vidéo à la demande) ;
- analyser le rôle des plateformes en ligne (moteurs de recherche, réseaux sociaux, boutiques d'applications) sur le marché, par exemple sur la transparence des résultats de recherche (entendre de Google) ou les relations entre plateformes et fournisseurs ;
- renforcer la confiance dans la sécurité des services en ligne, par la révision de la directive sur les données personnelles, prévue pour la fin de l’année ;
- proposer un partenariat avec l’industrie sur la cybersécurité, y compris par des investissements publics.
De la confiance et de l’interopérabilité pour l’économie numérique
Le dernier pilier consiste à « maximiser le potentiel de croissance de l'économie numérique ». Pas question de pilule miracle marketée par email ici, mais de trois mesures qui visent à faciliter la circulation des données en Europe, de donner confiance dans la sécurité des services « cloud » et de donner les clés suffisantes aux citoyens pour qu’ils ne subissent pas le numérique, notamment en améliorant les services publics en ligne :
- proposer une initiative européenne en faveur de la libre circulation des données, pour supprimer les barrières entre pays qui n’ont rien à voir avec la protection des données.
De même, l’UE lance une initiative « en faveur de l’informatique en nuage », qui consiste à certifier les services « cloud », encourager le changement de fournisseur de services d’informatique en nuage et travailler sur un « nuage pour la recherche » ; - définir les priorités en matière de normes et d'interopérabilité dans plusieurs domaines, dont « la santé en ligne, la planification des transports ou l’énergie (compteurs intelligents) » ;
- fournir aux citoyens européens les compétences suffisantes pour profiter du numérique, ce qui passe entre autres par la simplification et l’homogénéisation des administrations en ligne, qui devront être bien plus interopérables à l’avenir.
La plupart de ces 16 mesures sont déjà en plein chantier, depuis plusieurs années pour certaines, comme la révision du marché des télécoms européen ou bien l'arrivée d'un compteur ERDF intelligent. La Commission européenne fait surtout le point sur ce qui est à venir, en réaffirmant les nobles objectifs d’un marché unique libéré des contraintes inutiles, souvent imposées par les pays.
Une partie de ces dossiers, notamment en matière de télécoms, de protection des données et de droits d’auteur, font tout de même l’objet de lobbyings intenses de la part des industries concernées, qui voient par moment assez mal le chamboulement de règles qu’ils estiment déjà assez ouvertes et protectrices des consommateurs. Cela sans compter sur l’opposition de certains États à ces réformes, qui complique encore la donne.
La victime pourrait bien être le calendrier promis : la mise en place de ces mesures d’ici la fin 2016 semble tenir compte des délais prévus pour chaque réforme, ce qui reste un cas idéal. La Commission européenne a défini sa ligne directrice, reste à l’ensemble des institutions européennes de continuer d’avancer, que ce soit le Conseil Européen ou le Parlement, chacun pouvant se renvoyer la balle plusieurs fois avant que le texte n'aboutisse à un consensus. Pour certains points, comme le roaming, la navette a déjà commencé, mais obtenir des résultats concrets avant fin 2016 n'est pas gagné.