P2P : pourquoi l’administrateur de GKS.gs a été condamné

...Dans un jugement rendu par défaut
Droit 7 min
P2P : pourquoi l’administrateur de GKS.gs a été condamné
Crédits : iStock/ThinkStock

Nous avons pu nous procurer le jugement rendu par le tribunal correctionnel de la Rochelle. Le 19 février dernier, il a condamné l’administrateur de GKS.gs à plus de 2 millions de dommages et intérêts, outre 6 mois de prison avec sursis. Retour sur cette décision.

Cette affaire a opposé d’un côté le procureur de la République, suivi par une ribambelle d’ayants droit (la SACEM/SDRM, le SEVN, la FNDF, Columbia Pictures, Disney, Paramount, Tristar, la 20th Century Fox, Universal, la Warner Bros, la SCPP), de l’autre Boris P. Celui-ci a été poursuivi pour avoir notamment :

  • mis à disposition « un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public d’œuvres protégées » (en fait Gks.gs)
  • sciemment incité à l’usage d’un tel logiciel, en sa qualité d’administrateur du site web GKS.gs
  • mis à disposition des milliers d’œuvres protégées.

Le constat d’un agent assermenté de la SACEM

La plainte a été initiée par la SACEM en août 2013. Sa cible, ce fameux site GKS.GS, un « tracker » référençant des liens torrents permettant à ses membres de télécharger des films, musiques, etc. en Peer to Peer. Lors d’un précédent constat, datant d'octobre 2012, l’agent assermenté repère des liens vers 2 240 albums de musiques, 240 concerts, tout en jaugeant la présence de 242 279 To de films et séries. Pas moins. Dans son procès-verbal, il mentionne que ce site, dont l’accès se faisait sur invitation, épaulée par un système de dons, rencontre alors un certain succès : classé à la 1 296 ème place des plus visités en France, il prétend à l’époque avoir 56 636 membres, 55 650 torrents, représentant 130 158 To de données et 8 390 855 To déjà téléchargés. Des chiffres à faire tourner la tête, sur lesquels nous reviendrons.

L’agent de la SACEM souligne encore que « les mentions du site démontrent en elles-mêmes le caractère manifestement illicite de l’activité notamment celles d’acceptation "de ne pas faire état de l’existence de ce serveur et à ne pas en diffuser le contenu" et "il vous est strictement interdit d’accéder à Gks ou au contenu de ses serveurs si vous êtes affiliés à un gouvernement un groupe antipiraterie, majors ou tout autre groupe apparenté (Hadopi, SACEM, SDRM, …)" »

L’enquête préliminaire identifie rapidement l’éditeur du site

Une enquête préliminaire est alors lancée. L’administrateur (Boris P.) est facilement identifié puisque l’intéressé ne s’est jamais caché. Et pour cause, il espérait pouvoir profiter du statut d’hébergeur comme il nous l’a indiqué. Son nom se retrouve d’ailleurs à la tête du compte PayPal ouvert pour collecter notamment les dons. Selon les autorités, ce compte a reçu près de 67.500 euros entre janvier 2012 et septembre 2013. Environ 14 000 euros ont servi à payer directement l’hébergement du site. D’autres sommes, non chiffrées, ont été versées à six « complices présumés ». Enfin, un peu plus de 31 000 euros ont été virés sur le compte bancaire de Boris P.

Interrogé sur ce point, Boris P. conteste : « non, l’hébergement et les frais de fonctionnement étaient bien plus importants... Ils n'ont pas pris en compte les règlements de mes clients aussi j'ai l'impression. Je me demande aussi s'ils n’ont pas pris le "paiement à des complices" pour des paiements d'hébergement, car à part moi, personne n'a jamais touché 1€ de ce site… »

Dans la foulée, les gendarmes constatent par ailleurs que Boris P. avait déjà fait l’objet d’une procédure et d’un rappel à la loi concernant Guiks.net en octobre 2009. Désormais administrateur de Gks.gs, il opérait cette fois depuis Budapest, hébergé par OVH SAS en République tchèque, avant sa fermeture en juillet 2014.

Pas l’intention de revenir en France, un jugement rendu par défaut

Boris P. répondra aux gendarmes qu’il n’a aucune intention de revenir en France pour être entendu. Toujours dans nos colonnes, il justifie ce refus par un manque de moyens. Voilà pourquoi le jugement du 19 février a été rendu par défaut par le tribunal correctionnel de La Rochelle.

Boris P. nous affirme d'ailleurs n’avoir reçu aucune convocation pour ce procès. Dans le jugement, il est fait mention d’une citation adressée au domicile de sa mère, là où l’entreprise a son siège, transmise par lettre recommandée en Hongrie, mais dont l’accusé de réception n’a pas été réclamé.

Un site ou un logiciel manifestement illicite ?

Pour le TGI, qui n’a donc pu entendre le prévenu, il n’y a pas de doute : la mention du site, son fonctionnement, l’historique de Gks, tout démontre « le caractère manifestement illicite » de cette activité « et de son logiciel (en fait son site, NDLR) permettant la mise à disposition non autorisée à un nombre de personnes considérables (56 636 membres au 1er PV) et en quantité très importante d’œuvres protégées ».

Boris P. est alors qualifié d’« administrateur » et essentiel bénéficiaire des flux financiers, « utilisant notamment pour cela la façade légale de l’entreprise informatique en nom propre à l’enseigne Admin Serveur » hébergée au domicile de sa mère. De son côté, l’intéressé nous a expliqué que son entreprise avait bien une activité réelle : « c’est une entreprise d’infogérance, d’administration de serveurs dédiés, c’est pour cela je peux travailler depuis la Hongrie. Mon entreprise est toujours en activité ». De même, il absorbait sur son compte PayPal et les dons des membres du site et les commandes commerciales de son activité professionnelle.

gks

Faute d’éclairage suffisant, le TGI épingle tout particulièrement « son comportement délinquantiel » qui a « perduré plusieurs années, et ce malgré une précédente procédure pour des faits identiques. »

Pour ces faits, il écopera de 6 mois de prison avec sursis, outre la fermeture totale de son entreprise pour une durée de 5 ans, comme l’autorise l’article L335-5 du code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, la décision fera l’objet d’une publication judiciaire, aux frais du condamné « sur Numerama.com et dans la revue PC INpact » (signalons aux magistrats que nous ne sommes pas une revue, et que le site a changé de nom).

Fait notable cette décision semble consacrer l'extension aux sites Internet de l'amendement Vivendi Universal, autrefois dédié aux logiciels P2P. C'était là l'un des voeux de Mireille Imbert Quaretta, la présidente de la commission de protection des droits de la Hadopi, qui recommandait préalablement une mise à jour législative. Nous reviendrons plus en détail sur ce point.

Plus de 2 millions de dommages et intérêts

Sur l’action civile, visant à déterminer le montant des dommages et intérêts dû aux sociétés privées, le TGI s’est fondé sur l’article L331-1-3 du code de la propriété intellectuelle, issu de la loi sur la contrefaçon, entrée en vigueur en mars 2014. Pour mémoire, il permet à une juridiction de prendre en compte plusieurs critères pour évaluer le préjudice :

  • les conséquences économiques négatives - dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée,
  • les bénéfices réalisés par l'auteur de l'atteinte aux droits
  • le préjudice moral causé au titulaire de ces droits du fait de l'atteinte.

Cet article permet également au juge, à titre alternatif et à la demande d’une partie, d’allouer des dommages et intérêts forfaitaires, qui doivent alors être nécessairement supérieurs au montant des droits qui auraient été dus si le « pirate » avait demandé l’autorisation d’utiliser les œuvres.

Sans contradicteur, la Sacem va par exemple justifier d’une redevance minimale de 0,07 euro HT par téléchargement à l’unité et 0,7 euro HT pour un album dans la limite de 15 titres. « Soit pour 422 038 téléchargements démontrés relatifs aux 6 908 albums la somme de 295 427 euros HT soit 324 970 euros TTC ». Si la SCPP a été déboutée pour un problème de preuve, les producteurs de films ont estimé leur manque à gagner à 5 euros par films.

Au final, le TGI va estimer le montant du préjudice aux sommes suivantes :

  • SACEM/SDRM : 564 762 euros
  • SEVN : 5 000 euros
  • FNDF : 5000 euros
  • Columbia Pictures : 158 130 euros
  • Disney : 242 735 euros
  • Paramount : 221 575 euros
  • Tristar : 11 010 euros
  • 20th Century Fox : 228 785 euros
  • Universal City Studio : 172 560 euros
  • Warner Bros : 470 205 euros

Soit un peu plus de 2 millions d’euros de dommages et intérêts, sans compter la prise en charge des frais de justice.

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