Uber files : ce que dit le rapport parlementaire

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Uber files : ce que dit le rapport parlementaire

Après six mois de travail, la commission d'enquête sur les Uber files a publié le résultat de ses travaux sur « l'ubérisation, son lobbying et ses conséquences ». Elle y décrit une faillite de la protection de l'État de droit permise par la présence de soutiens à l'entreprise américaine jusqu'aux plus hauts niveaux du gouvernement.

« Comment des décideurs publics ont-ils pu laisser une entreprise multinationale refusant de s’acquitter de ses obligations légales s’imposer sur un secteur réglementé par l’État ? » C’est la question qui revient, au gré du rapport de la commission d’enquête relative aux révélations des Uber Files, rendu public ce 18 juillet.

Après six mois d’enquête, et l’audition de 120 personnes, le groupe parlementaire conclut qu’Uber « a trouvé des alliés au plus haut niveau de l’État, à commencer par l’ancien ministre de l’Économie, devenu Président de la République, M. Emmanuel Macron », et ce quand bien même l’entreprise déployait « une stratégie de l’illégalité totalement assumée ». Des révélations d’autant plus graves qu’elles se sont poursuivies dans le temps, soulignent les députés :

« Depuis l’élection à la Présidence de la République de l’ancien ministre de l’Économie, de graves manquements de l’État à faire respecter le droit demeurent, offrant aux plateformes une certaine impunité. Pire, la stratégie de lobbying de ce capitalisme de plateforme semble totalement intégrée à la stratégie politique de l’exécutif d’attaque du salariat sous couvert de "présomption d’indépendance". »

La commission d’enquête parlementaire a été créée à la suite de la publication de l’enquête du consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) décortiquant 124 000 documents internes à l’entreprise et datés de 2013 à 2017. 

Elle avait pour mission de détailler les actions de lobbyings menées par Uber pour implanter ses véhicules de transport avec chauffeur (VTC) dans l’Hexagone et d’évaluer les conséquences économiques, sociales et environnementales de l’implantation de l’acteur américain en France. La commission devait, surtout, estimer le rôle et les réponses des décideurs publics face à l’incursion de la société américaine.

Initiée par La France Insoumise, présidée par le député Renaissance Benjamin Haddad, la commission a dû composer avec quelques frictions politiques qui se lisent en introduction. La rapporteure (Danielle Simmonet, LFI) y regrette en effet « que la commission d’enquête n’ait pu auditionner aucun des anciens membres du cabinet du ministre de l’Économie de l’époque, M. Emmanuel Macron, puisque le bureau de la commission d’enquête s’y est systématiquement opposé ».

Des manquements à la protection de l’État de droit (et des travailleurs)

Uber Files avait démontré que la plateforme de VTC avait « imposé, au mépris de la légalité, un état de fait à l’État de droit », adoptant une « stratégie d’évasion et d’optimisation fiscales agressive », usant du « travail dissimulé », « échappant au versement des cotisations sociales » et « se soustrayant sciemment aux contrôles des autorités ». 

Un dispositif adopté en toute connaissance de cause, illustre le rapport, puisque les Uber files ont permis de mettre la main sur une présentation interne résumant la « pyramide de merde » à laquelle faisait face Uber lorsque l’entreprise a tenté de lancer Uberpop en Europe. En légende, « la meilleure défense, c’est l’attaque ».

Uber
Crédits : ICIJ

Pour réussir dans ses projets, la société a déployé un « lobbying agressif » dès 2013, note la commission, recourant à tous les moyens possibles pour convaincre – des liens chez Google, d'autres parmi les cercles d’anciens énarques, un appel à l’ambassadrice des États-Unis en France pour obtenir des entrées à Bercy ;  le recours à des cabinets spécialistes des affaires publiques ; de la manipulation de l’information via la commande d’études économiques favorables en échange de rémunérations ; la corruption de chauffeurs pour organiser des manifestations contre paiements, etc.

Des méthodes qui « n’ont suscité que peu de réactions de la part des pouvoirs publics », voire ont trouvé chez eux des positions « favorables » à son développement, « par idéologie ou par naïveté ». Au premier rang des soutiens de l’entreprise « figure M. Emmanuel Macron, avec lequel Uber a entretenu des liens extrêmement privilégiés », note le document. Le rapport revient notamment sur l’accord conclu entre le futur président de la République et l’entreprise pour « alléger les conditions de formation et d’examen des chauffeurs ». 

Ce type de relations explique en partie que « les autorités publiques aient manqué à leur mission de protéger l’État de droit en faisant respecter les règles en vigueur », indique la commission d’enquête, et ce, tant sur le développement de l'Uber « cœur » (celui dédié aux transports) qu’aux autres implications de ses activités (livraison, travail temporaire, etc). 

En effet, l’« ubérisation » acceptée pour l’entreprise co-créée en 2009 par Garrett Camp et Travis Kalanick a eu tôt fait de s’étendre à des écosystèmes complets. Et la commission d’enquête de pointer que des plateformes de livraison comme Deliveroo, Getir ou Stuart, ou de travail temporaire comme Mediflash ou StaffMe, ont eu tôt fait de suivre l’exemple d’Uber et ses déclinaisons. 

Le tout a participé à « une extrême précarisation des travailleurs, au premier chef ceux qui sont sans papiers », tandis que montait en parallèle la « menace » de « l’accumulation de données par ces plateformes et les pratiques induites par le management algorithmique ». Si Uber avait réussi à avancer ses pions grâce à des promesses de gains économiques, « les promesses d’Uber en termes de création d’emplois n’ont pas été tenues » note encore le rapport. 

Contrôles trop faibles

Parmi les carences, la commission note que diverses lois continuent de ne pas être appliquées. La « loi Thévenoud », qui devait adapter la définition juridique de la maraude que les taxis ont le droit de réaliser jusqu’à trouver des clients, interdisait par exemple aux VTC « de stationner ou de circuler sur la voie publique », les obligeant plutôt à retourner à leur base entre chaque course. Presque dix ans après l’entrée en vigueur du texte, force est de constater qu’il n’est pas appliqué, indique la rapporteure. 

Si elle admet une augmentation des contrôles de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) à partir de 2013, la commission s’étonne aussi que cette dernière n’ait pas recouru aux mesures extraordinaires dont elle dispose après la découverte du « kill switch », utilisé par Uber pour soustraire des informations aux enquêteurs (en pratique, l'entreprise a bloqué les accès d'ordinateurs perquisitionnés à treize reprises dans sept pays différents pour empêcher les contrôles des forces de l'ordre).

« Les Uber files ont révélé jusqu’à quel degré de cynisme les dirigeants d’Uber étaient allés ; ces faits étant connus, la rapporteure déplore que l’État n’ait pas fait preuve de davantage de fermeté à l’égard de la plateforme. »

De même, elle s’étonne de ce qu’Uber n’ait « pas fait l’objet d’un traitement spécifique au sein de la direction générale du travail », comme l’a expliqué son directeur général M. Pierre Ramain, quand bien même Uber fait figure de proue dans l’évolution du travail provoquée par l’économie de plateformes.

Outre la DGCCRF et l’inspection du travail, la commission d’enquête pointe que les contrôles de l’Urssaf, de la direction générale des finances publiques (DGFiP) ou encore de la CNIL, notamment sur des questions de respect du Règlement Général sur la protection des données (RGPD), ont aussi été insuffisants ou inefficaces. 

« Les conséquences du développement d’Uber ont pourtant été néfastes pour l’ensemble des acteurs du secteur du transport public particulier de personnes (chauffeurs de taxis, chauffeurs de VTC et leurs clients), sans compter les pertes pour la société toute entière liées au non-paiement de l’impôt sur les sociétés et des cotisations sociales ou à l’impact négatif sur l’environnement » indique la commission d’enquête. 

Autres problématiques importantes : le rapport parlementaire souligne « de graves failles au sein du dispositif censé prévenir les conflits d’intérêts et garantir la transparence des échanges entre représentants d’intérêts et responsables politiques ». Cela a permis aux entreprises, aidées par leurs immenses moyens financiers, de « braver la loi votée par les représentants du peuple pour implanter un modèle capitaliste d’externalisation de l’emploi destructeur du salariat et des droits des travailleurs, avec l’unique intention de réaliser un maximum de profits ».

Ainsi, la création d’une « Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi (ARPE) » est aussi pointée comme un outil supplémentaire au service des volontés purement capitalistes d’Uber. En effet, les enquêteurs parlementaires n’y voient qu’une manière d’ « éviter la requalification en salariat de l’activité des travailleurs des plateformes susceptibles de leur conférer une protection maximale ».

Quarante-sept recommandations 

Sur le lobbying, la commission d’enquête s’inquiète de constater que les efforts des plateformes restent toujours aussi intenses, et ce, alors que « la propension du Gouvernement à écouter les gros aux dépens des petits se poursuit ».

Pour répondre à la variété de problématiques identifiées, la commission parlementaire formule pas moins de quarante-sept recommandations, dont elle souligne que douze sont prioritaires. Ces dernières concernent tant le droit des travailleurs (« Instaurer une présomption réfragable de salariat pour les travailleurs des plateformes ») que les dispositifs de contrôle au sens plus large (« Créer une autorité indépendante ou une mission interministérielle afin de délivrer sous condition un agrément à toute plateforme afin de vérifier qu’elle respecte bien l’ensemble des réglementations »).

La commission d’enquête formule plusieurs autres recommandations visant à améliorer la transparence de la vie publique et la lutte contre la corruption. Elle s’appuie par ailleurs sur la directive sur les services numériques en cours de traduction dans le droit français pour demander à ce que les sanctions contre les entreprises numériques soient réelles et plus élevées en cas d’illégalité. 

Dans le cadre des travaux menés à l’échelle européenne sur une directive sur le travail via des plateformes, enfin, la rapporteure s’interroge « sur la proximité de la position défendue par le Gouvernement français au Conseil de l’Union européenne avec celle exprimée par les plateformes visant à maintenir une "présomption d’indépendance" des travailleurs » et enjoint plutôt à défendre la position du Parlement européen, qui vise à généraliser la « présomption de salariat » dans le cadre du travail pour des plateformes en ligne. 

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