La Commission sénatoriale menace TikTok de suspension

Six mois pour répondre

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« La tactique Tiktok : opacité, addiction et ombres chinoises », tel est le titre du rapport rendu le 6 juillet par la Commission d’enquête sénatoriale après quatre mois de travail. Celle-ci demande des réponses de la société tant sur sa structure capitalistique que sur l’usage qu’elle fait des données utilisateurs et sur le fonctionnement de ses technologies, sous peine de sanctions.

Au tour de la France de s’en prendre à TikTok. Après quatre mois travail, la commission d’enquête sénatoriale a rendu un rapport très sévère sur l’application sociale plébiscitée par plus d’un milliard d’utilisateurs actifs dans le monde et 14,9 millions en France (22,4 millions de visiteurs uniques chaque mois).

En cause : une entreprise qui joue beaucoup trop de l’oxymore, selon le rapporteur de la Commission Claude Malhuret (Les Indépendants - Républiques et Territoire). Au cours de leur travail, les enquêteurs ont été « frappés par l'écart entre le fait que TikTok utilise la "transparence" comme un leitmotiv dans sa communication et la réalité d’une opacité manifestement voulue », explique-t-il. 

Sur la variété de questions posées, par oral comme par écrit, sur la nature des données transmises en Chine, le fonctionnement de l’algorithme ou encore le fonctionnement exact de l’entreprise, impossible pour la Commission d’obtenir des réponses claires. « On a eu 85 % de non-réponses, et sur les 15 % restant, c’était des réponses floues, illustre André Gattolin (Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants). On avait l’impression qu’ils se foutaient de nous. » 

La séparation entre TikTok et sa version chinoise Douyin, un jeu de communication

Intitulé « La tactique Tiktok : opacité, addiction et ombres chinoises », le rapport s’attaque d’abord à la stratégie de TikTok de se faire accepter comme une entreprise « internationale, voire américaine ». Que ce soit par la bouche du PDG de TikTok Shou Zi Chew, face au Congrès américain, ou celle du directeur des relations publiques de TikTok France Eric Garandeau, entendu par la Commission d’enquête, le but est le même : effacer les liens entre ce versant international et la branche chinoise de la maison-mère ByteDance, qui gère Douyin, la version chinoise de TikTok. 

Mais les dirigeants de TikTok ont beau « passer leur temps à dire le contraire », pointe Claude Malhuret, l’application et la société qui la développe « restent dépendantes de la Chine et de l’État chinois sur tous les plans : techniques, capitalistique, juridique et politique ». Une « inféodation au régime chinois » qui ne fait « aucun doute », estime la commission, à défaut de réponses plus précises de l’entreprise. 

Point de vue capital, les sénateurs s’étonnent par exemple que TiktTok, qui prône la transparence, ait choisi d’implanter la structure ByteDance Ltd aux îles Caïmans, « paradis des sociétés écrans ». Ils constatent par ailleurs que plus de 20 % du capital est détenu par Zhang Yiming, fondateur de ByteDance strictement contrôlé par le parti communiste – en 2018, il avait dû se livrer à un sévère exercice d’autocritique pour éviter que l’application ne soit bloquée par les autorités – et son ami et actuel PDG Liang Rubo.

Surtout, indique le rapport, « il est très probable que comme la plupart des entreprises du secteur du numérique créées en Chine, ByteDance ait un statut de VIE (variable interest entity) », statut qui permet à des acteurs économiques « d’accueillir des investissements étrangers tout en garantissant le contrôle des autorités chinoises ». 

Sur le plan juridique, les sénateurs ont aussi découvert que, malgré son absence de l’organigramme présenté par TikTok, la présidence de la branche française de TikTok (TikTok SAS) était assurée par Zhao Tian, « née en Chine, ayant acquis la nationalité canadienne et qui résiderait actuellement à Singapour ». 

Si elle est invisible sur les documents de l’organisation, cette ancienne vice-présidente de Toutiao (un agrégateur d’actualités créé par ByteDance à ses débuts et qui a rencontré grand succès), formée à l’académie diplomatique de Pékin est aussi présidente de TikTok UK et siège au conseil d’administration de TikTok en Australie. C’est donc elle qui détient la responsabilité de la branche française de TikTok – accessoirement détenue par TikTok UK, elle-même détenue par ByteDance Ltd.

Autant d’éléments qui traduisent, pour la commission d’enquête, les divers liens profonds que ByteDance Ltd et même TikTok France maintiennent avec la Chine – donc le risque que l’application peut présenter pour la sécurité nationale. Juste après l’audition de M. Garandeau, TikTok a annoncé aux sénateurs prévoir de remplacer Zhao Tian par un responsable européen. 

Une dépendance technique à la Chine 

Autre large axe de dépendance de TikTok à son pays natal : la technique. C’est simple, pointe Claude Malhuret, « Tiktok ne peut fonctionner sans les services de DouYin en Chine. » C’est là-bas que les principales opérations technologiques sont faites, c’est là-bas que les milliers de brevets sont déposés, c’est aussi là-bas que « les principaux ingénieurs de l’entreprise gèrent son algorithme ». 

« Espionnage, chantage, désinformation au profit du régime chinois… les risques sont évidents » liste le rapporteur, citant notamment la fuite de 80 documents internes révélées par Buzzfeed en juin 2022. Les documents avaient permis de montrer que des données d’utilisateurs américains avaient été manipulées à plusieurs reprises depuis la Chine.

Autre exemple de dépendance technique : les employés de TikTok en Chine comme à l’international utilisent la même messagerie, Lark, construite en interne. « Une autre démonstration que l’ensemble du personnel chinois et étranger partage technologies et messages », et qui expliquent que des pays comme l’Inde ou l’Indonésie aient « purement interdit l’application dans leur pays », pour le rapporteur.

« TikTok est le plus mauvais élève de toutes les plateformes en matière de confidentialité », continue Claude Malhuret, citant autant l’ARCOM que le ministre délégué au numérique Jean-Noël Barrot et la CNIL, en particulier auprès des plus jeunes. 

La question de l’addiction, ou a minima de l’ « abrutissement » provoqué par le design algorithmique de l’application ont effectivement fait partie des préoccupations des enquêteurs. Après avoir interrogé des théoriciens comme des cliniciens en contact avec les adolescents, ceux-ci rapportent de vives inquiétudes envers les effets de l’outil sur le développement des adolescents et des enfants.

Fondamentalement, les sénateurs critiquent l’opacité qui entoure le fonctionnement de l’algorithme de TikTok, la manière dont l’entreprise agit sur le contenu du fil « Pour Toi » présenté aux utilisateurs et sur ses pratiques de modération et de lutte contre les fausses informations. 

Information et mise en conformité ou risque de suspension

Si TikTok tente depuis plusieurs mois de rassurer les pays occidentaux, les propositions de projets « Texas », aux États-Unis, puis « Clover », en Europe, sont, elles aussi, décortiquées par la commission d’enquête. Parmi ses griefs : le manque de précision du calendrier de mise en œuvre d’un tel projet, et le fait qu’une logique de géolocalisation des données en Europe ne suffirait pas à protéger les citoyens européens. 

En effet, les infrastructures cloud choisies viendraient probablement d’Outre-Atlantique, « ce qui soumettrait les données au principe d’extraterritorialité américain ». Par ailleurs, ByteDance Ltd resterait soumis aux propres principes d’extraterritorialité que le gouvernement chinois est en train de consacrer (.pdf). 

À l’issue de son travail, la commission d’enquête a formulé 21 recommandations, en tête desquelles l’interdiction de TikTok « aux personnels des opérateurs d’importance vitale (OIV) devant jouer un rôle important en cas de crise ». 

Surtout, les sénateurs veulent que TikTok détaille une série de points – sur sa gestion de la modération, sur ses pratiques de « bonus » (heating) et d’invisibilisation (shadow ban) de contenus, sur les statuts et la répartition des droits de vote à son conseil d’administration, entre autres - et qu’elle se mette en conformité avec les prescriptions du Digital Services Act, notamment en matière de modération et de lutte contre la désinformation.

Faute d’action de la part de l’entreprise d’ici au 1er janvier 2024, « nous estimons que le risque pour la sécurité nationale et le bien-être des utilisateurs, en particulier des plus jeunes, demanderont des mesures d’urgence ». En pratique, les sénateurs recommanderont dans ce cas-là une suspension de TikTok en France et que le gouvernement demande sa suspension au sein de l’UE à la Commission européenne.

Selon La Lettre A, TikTok organise le 11 juillet un déjeuner de lobbying pour discuter de la manière dont il protège les données des utilisateurs avec différents parlementaires français. 

Commentaires (13)



Selon La Lettre A, TikTok organise le 11 juillet un déjeuner de lobbying pour discuter de la manière dont il protège les données des utilisateurs avec différents parlementaires français.




Vu ce qui est présenté juste avant, ils devraient pouvoir se contenté de 34 canapés. Y’a pas l’air d’y avoir grand chose à expliquer.


Au bout d’un moment, faut arrêter de menacer et passer à l’action quand c’est flagrant qu’ils se foutent de notre gueule.



(reply:2141676:alex.d.) suis bien d’accord. 85% de non réponses, ça devrait être une interdiction pure et simple de pouvoir utiliser l’application en France.



Il faut faire du lobbying à l’Élysée aussi. Ça a bien réussi à Facebook.


Quand on pense qu’il suffirait que les gens ne l’installe pas…


Amusant de lire que la CEO de ByteDance China (la maison mère qui a créée TikTok), Kelly Zhang, est diplômée en dessin & peinture. Après tout, pas vraiment besoin de rentrer dans le code pour comprendre et réussir à lobotomiser les masses principalement de la génération Z (qui de mon point de vue, dégage une image plus négative que les boomers, niveau efforts, connaissances et culture G…bref…)



Pour ce genre de poste, le top est clairement un Doctorat PhD en psychologie…. :langue:
.
.
Chez Google, c’est plutôt doctorat en génie informatique:




  • Eric Schmidt (Princeton & UC Berkeley)



  • Larry Page (Stanford)



  • Sergey Brin (Stanford), (attention il est Russe tout comme Pavel Durov)





Ha non, Eric & Larry, ils ont laissé tomber leur PhD avant la fin, trop motivés par leur nouvel Search Engine algorithm (comme un certain Mark Z, qui a laissé tomber Harvard en cours de route…). Finalement, pas si mauvaise décision…




Bon Zhang Yiming, le CEO Worldwide et fondateur de ByteDance a lui quand même un Master en Génie informatique.



:D


Kelly Zhang vient du jeu vidéo apparemment, c’est classique qu’elle soit diplômée des Beaux-Arts.



J’ai vu aussi qu’elle faisait partie des 100 plus grosses fortunes mondiales ? Comme quoi l’ambition ne touche pas seulement les écoles d’ingénieur et de commerce.



(reply:2141704:consommateurnumérique)



(quote:2141704:consommateurnumérique)
Kelly Zhang vient du jeu vidéo apparemment, c’est classique qu’elle soit diplômée des Beaux-Arts.



J’ai vu aussi qu’elle faisait partie des 100 plus grosses fortunes mondiales ? Comme quoi l’ambition ne touche pas seulement les écoles d’ingénieur et de commerce.




Tout à fait, j’ai fait en effet un raccourci.



Disons que pour nous autres Français, le diplôme initial va définir pour beaucoup la carrière qui va suivre, alors que pour les Anglo-Saxons, l’expérience et les succès dans une carrière sont beaucoup plus valorisés.



En France, les RH mettent les gens très rapidement dans des cases métiers dont il est assez difficile de sortir…. Le diplôme avant tout…


USA: on bannit Huawei et ZTE
Europe: Heu… ouais. nous aussi on va bannir Huawei et ZTE



USA: on bannit TikTok
Europe: Heu… ouais. nous aussi on va bannir TikTok



Mais dans l’autre sens…




Europe: Heu… ouais. On va juste renommer le Safe Harbor en Privacy Shield.



:roll:



(quote:2141749:127.0.0.1)
USA: on bannit Huawei et ZTE Europe: Heu… ouais. nous aussi on va bannir Huawei et ZTE



USA: on bannit TikTok Europe: Heu… ouais. nous aussi on va bannir TikTok



Mais dans l’autre sens…




Europe: on va bannir les GAFAM à cause du Safe Harbor. USA: Non. Europe: Heu… ouais. On va juste renommer le Safe Harbor en Privacy Shield.



:roll:




Ça s’appelle la…. bureaucratie… :D



pierreonthenet a dit:


Quand on pense qu’il suffirait que les gens ne l’installe pas…




C’est trop facile de dire ça. Ces applis sont conçues depuis zéro pour être virales et addictives en utilisant les mécanismes psy de l’addiction et de la dépendance. Elles utilisent sans vergognes des failles psychologiques connues et documentées scientifiquement pour rendre l’utilisateur accro et pour l’inciter à partager avec son entourage.



Dire qu’il suffit de ne pas installer c’est équivalent à dire qu’il ne faut pas commencer à fumer. Ouais, tout le monde est d’accord avec ça, c’est sûr c’est super, mais ça répond pas du tout à comment on fait pour aider ceux qui veulent arrêter.


Je suis d’accord que ça n’aide pas à arrêter, mais c’est tout de même vachement dommage qu’il soit nécessaire d’arrêter, là où il “suffit” de ne pas commencer.
Bref, c’est fou à quel point c’est malsain, certes, mais c’est aussi fou à quel point il y en a plein qui tombent dans le panneau…



jpaul a dit:


comment on fait pour aider ceux qui veulent arrêter.




Mais personne veut arréter !



l’UE cherche à bannir tiktok car elle se sent menacé par la chine, elle cherche pas à voler au secours des nobrain qui sont tombés dedans !


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