Mastodon refuge pour communiquer librement sur la recherche ?

Mastodon refuge pour communiquer librement sur la recherche ?

Ouvrez la cage aux oiseaux

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Martin Clavey

Publié dans

Internet

14/03/2023 6 minutes
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Mastodon refuge pour communiquer librement sur la recherche ?

Après son éclosion en 2017, Mastodon a eu un regain d'intérêt depuis novembre dernier suite au rachat de Twitter par Elon Musk. Si le réseau de microblogging décentralisé basé sur Fediverse n'a pas vu tous les utilisateurs migrer soudainement, une part non négligeable de chercheurs y voit une opportunité pour parler plus librement.

Dans l'univers des réseaux sociaux, Mastodon fait souvent figure de mouche du coche des grandes multinationales dominantes. La plateforme de réseaux sociaux fédérés créée en 2016 a connu un regain de notoriété en novembre dernier suite au rachat de Twitter par Elon Musk.

S'il n'a pas remplacé Twitter dans le grand public, contrairement à ce que certains s'imaginaient, de nombreux chercheurs et chercheuses ont pointé leur nez sur Mastodon, découvrant une plateforme qui pourrait être plus accueillante pour la discussion autour des sciences et de la recherche.

Les différences avec Twitter et l'accueil ambivalent (à bras ouvert par certains, mais moqueur de la peur d'un nouvel environnement technique pour d'autres) ont refroidi certains (et fréquemment certaines). Mais d'autres y ont vu un outil porteur d'espoir pour le partage des connaissances scientifiques. Sans être la clé idéale, l'utilisation de Mastodon permettrait de mettre de nouveau en question la dépendance des chercheurs avec des entreprises comme les mastodontes de l'édition scientifique. 

Et des chercheurs poussent les sociétés savantes à profiter de ce nouvel outil pour renouveler la discussion scientifique, s'en inspirer pour reconstruire de nouveaux outils de diffusion de la connaissance et de se débarrasser de la mainmise d'entreprises comme les multinationales de l'édition.

La migration sociale des chercheurs, pas si nouvelle sur les réseaux

Dans ce que les chercheurs appellent une « correspondance » (qui n'est pas un article relu et validé par les pairs, mais plutôt une lettre adressée à leur communauté), Leslie Chan, Adrian Lenardic et Björn Brembs ont voulu expliquer à leurs collègues quelles opportunités pouvaient apporter, de leur point de vue, Mastodon à la discussion scientifique.

Ils ont publié cette correspondance en février dernier, à la fois dans l'une des revues scientifiques les plus connues et sous paywall, Nature, mais aussi en accès ouvert sur la plateforme Zenodo du Cern.

Pour eux, la remise en question de l'utilisation de Twitter par la communauté des chercheurs n'est pas une situation nouvelle dans l'histoire. Ils rappellent que dès 2009, après avoir adopté le réseau social FriendFeed, elle avait migré petit à petit vers Twitter, après son rachat par Facebook.

« Ce cas n'est qu'un exemple parmi d'autres où les dangers liés à la possession par des organisations privées à but lucratif de plateformes utilisées pour le discours scientifique sont devenus palpables pour toutes les personnes impliquées et ont été largement débattus. » soutiennent-ils.

À l'origine d'un standard du Fediverse

Et ces discussions ont été à l'origine de la création du standard ouvert pour réseaux sociaux décentralisés, ActivityPub. Ce standard est justement utilisé par le Fediverse, la fédération de réseaux sociaux dont fait partie Mastodon, avec PeerTube, Pixelfed ou Friendica.

Ces réseaux permettent à tout un chacun de créer une instance sur laquelle d'autres personnes pourront créer un compte.

« Par analogie avec les serveurs web ou de messagerie, Mastodon fonctionne sur ce que l'on appelle des instances (serveurs) et si tout le monde peut mettre en œuvre de telles instances, personne ne peut les contrôler toutes, tout comme personne ne contrôle tous les serveurs web ou de messagerie », expliquent-ils à leurs collègues.

Appel aux sociétés savantes

Et ils proposent aux sociétés savantes de s'organiser pour monter des instances Mastodon pour que les différentes communautés de recherche puissent se servir de ce réseau de façon libre. Certaines l'ont déjà fait, d'ailleurs.

Les auteurs et l'autrice de la correspondance citent, par exemple, celle du international Neuromatch, du European Laboratory for Learning and Intelligent Systems, du Dutch Centre for Science and Technology Studies, du Irish Dublin Institute for Advanced Studies, du German Helmholtz Centers, du Max Planck society et de la Society for Digital Humanities. Ils appellent à ce que d'autres organisations scientifiques fassent de même.

Certaines sociétés savantes sont devenues aussi des mastodontes de l'édition. L'American Association for the Advancement of Science (AAAS) est éditrice de Science et ses dirigeants sont plus proches de ceux d'une grosse entreprise que d'une petite maison d'édition scientifique. Mais ce sont plutôt de plus petites organisations comme la sudaméricaine SciELO qui sont visées par les auteurs et l'autrice de la correspondance.

Parallèle avec la publication scientifique

Leur discours ne se concentre pas seulement sur la discussion des chercheurs sur les réseaux sociaux. Ils l'élargissent à toute la communication entre chercheurs : « Nous identifions des parallèles entre la propriété privée de #ScienceTwitter et la propriété privée des revues scientifiques, ce qui nous amène à proposer de protéger l'ensemble des documents scientifiques des caprices des entreprises ».

L'idée est donc bien de reprendre le contrôle des outils de publication des chercheurs, que ça soit du « Toot » (ou « Pouet » en français, le tweet de Mastodon) au livre scientifique en passant par l'article.

Besoin de tiers pour instaurer la confiance ?

Si on peut comprendre le besoin de la communauté scientifique de se réapproprier ses outils de publication (sur un réseau social ou dans une revue scientifique), des questions se posent sur l'opportunité de mettre ce pouvoir entre les mains des sociétés savantes.

La pérennité des outils, du réseau et leur maintenance va demander une professionnalisation qui risque de voir se jouer les mêmes enjeux de dérive que lors de la professionnalisation de l'édition scientifique qui a vu des sociétés savantes comme l'AAAS s'éloigner de ses membres.

Il est intéressant que les sociétés savantes puissent discuter de leurs propres règles de discussion du réseau social qu'elles utilisent, comme le leur permet la création d'une instance Mastodon. Mais les communautés scientifiques ne sont pas exemptes d'enjeux de pouvoir entre leurs membres (c'est un euphémisme), et leur laisser le contrôle des réseaux sociaux des chercheurs peut finalement ajouter du contrôle individuel dans la communauté.

Mais surtout, Mastodon est un lieu de discussion personnel, même s'il est public. Le logiciel propose notamment de pouvoir échanger des messages privés qui ne sont pas chiffrés. Est-il vraiment sain que des administrateurs de l'instance, eux-mêmes membres d'une communauté professionnelle, puissent avoir accès aux messages privés de leurs collègues ?

Le fait que les auteurs de la correspondance aient choisi de la publier aussi dans la revue Nature montre qu'il n'est pas simple de s'épargner l'appui sur un tiers, même lorsqu'on est très motivés.

Écrit par Martin Clavey

Tiens, en parlant de ça :

Sommaire de l'article

Introduction

La migration sociale des chercheurs, pas si nouvelle sur les réseaux

À l'origine d'un standard du Fediverse

Appel aux sociétés savantes

Parallèle avec la publication scientifique

Besoin de tiers pour instaurer la confiance ?

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Commentaires (9)


Mastodon c’est 2 choses pour les scientifiques




  • toute la partie échange libre entre scientifique sans passer par des outils privés

  • la possibilité de pouvoir converser dans un environnement beaucoup plus sain que Twitter, qui est plus un lieu de destruction que de création.



la possibilité de pouvoir converser dans un environnement beaucoup plus sain que Twitter, qui est plus un lieu de destruction que de création.




Je me demande toujours pour combien de temps ?



J’aime beaucoup le côté décentralisé. Mais si Mastodon atteint une taille importante d’utilisateurs alors on peut être quasi sûr que les mêmes trolls/relous/bots/etc. qui pourrissaient Twitter viendront sur Mastodon. Et alors ça sera la même ambiance toxique. Et que pourra-t-on faire contre cela ? :-/


Pour la que même si je n’aime pas Twitter, je souhaite sa survie même dans un piteux état afin de garder tous les trolls dans leur enclos. SI Twitter fini par couler, j’aurai la même inquiétude que la tienne ;/


Je pense qu’il y a un élément déterminant : y’a pas d’algo du buzz pour rechercher des clicks ou des “tendances”.



Le buzz est moins mis en avant sur mastodon et surtout pas artificiellement. Par conséquent ne le clash ne donne pas plus de visibilité.



Ensuite, la structure fédérée et la modération par instance pose des gardes fous comme indiqué dans les commentaires au dessus du mien.



Vieux_Coyote a dit:


J’aime beaucoup le côté décentralisé. Mais si Mastodon atteint une taille importante d’utilisateurs alors on peut être quasi sûr que les mêmes trolls/relous/bots/etc. qui pourrissaient Twitter viendront sur Mastodon. Et alors ça sera la même ambiance toxique. Et que pourra-t-on faire contre cela ? :-/




Probablement que ce sera comme les sites web avec communautés et commentaires : il y aura ceux qui ont une communauté supportable, et les autres, les deux s’ignorant réciproquement (avec éventuelle blacklist pour mastodon, vu le côté fédéré qui perméabilise les communautés entre serveurs).


C’est déjà le cas, en fait. Quand gab, le réseau social d’extrême droite, a voulu rejoindre le fediverse en 2019, il s’est retrouvé bloqué par à peu près toutes les instances. Ça fonctionne à la modération, avec des blocages plus ou moins radicaux



carbier a dit:


toute la partie échange libre entre scientifique sans passer par des outils privés




Vrai car le secteur de la recherche peut fournir sa propre instance. Par contre moins vrai si les chercheurs rejoignent des instances existantes car ils devront se plier aux règles de celles-ci (vu qu’elles varient selon l’instance, et la plupart reconnaissent ne pas être des espaces de discussion libre, celle où je suis incluse). Donc la meilleure approche pour qu’ils s’assurent une totale liberté éditoriale sera de connecter leur propre instance au Fediverse.




la possibilité de pouvoir converser dans un environnement beaucoup plus sain que Twitter, qui est plus un lieu de destruction que de création.




Mastodon n’est pas un environnement plus sain, c’est juste un outil. Et comme tout outil, il peut être utilisé par des tocards. La liste fediblock est pleine du même monceau de déchets qu’on peut retrouver un peu partout dans les poubelles du Web et sans aucune volonté de se dissimuler (les instances de neo nazi et autres belles facettes de notre magnifique espèce ne se cachent pas).



Donc sur ce point, la recherche pourra subir autant d’attaques qu’elle n’en subit sur Twitter. La grosse différence par contre, c’est que si le secteur arrive à bien gérer sa propre instance, il pourra avoir une modération qui lui est propre contrairement aux plateformes centralisées dont les critères peuvent varier du jour au lendemain sans crier gare.



Bref, pas moins attaqués, mais mieux outillés pour se défendre car autonomes.


Contrairement à Twitter, il y a une modération active sur le Fédiverse, mais comme c’est décentralisé, chaque instance fait plus ou moins à sa sauce, et ce sont des êtres humains derrière donc tout peut arriver. Globalement ça marche, des instances comme pialle.fr sont bien modérées, mais d’autres peuvent souffrir des biais du modérateur.


Si on comprend ce qu’est Internet, depuis ses fondements en passant par le fonctionnement de ses bases techniques les plus essentielles, on sait que ce réseau/cette interconnexion de réseaux est par nature modulaire, permettant décentralisation, isolation ou (re)connexion, voire récursivité.



Mastodon, par son fonctionnement décentralisé permettant toutes les couleurs d’un spectre infini, mais pourtant capables de communiquer, si tel est le souhait, avec n’importe quelle autre, se situe au plus proche de l’esprit de ce réseau, et de toutes les technologies qui accompagnent l’idéal de liberté qui y est né il y a 40 ans.



Nourrir l’espoir que tout le monde fuie Twitter, c’est supposer que les utilisateurs de Twitter, ou même la population générale, comprenne voire adhère, à cette philosophie, à ces idéaux.
La réalité du monde est bien plus triste : l’écrasante majorité des utilisateurs des NTIC (ou TIC, car plus si nouvelles) est bien plus ignare/je-m’en-foutiste/individualiste.



La qualité générale d’un humain moyen est un individu consommateur. Dans cette logique, il faut un produit/service prêt à être consommé passivement, sans effort.
Mastodon nécessite en tout premier lieu de choisir une instance, et de comprendre que cet endroit déterminera la vue de l’interconnexion globale, car ce n’est pas une entité unique, homogène, sans question à se poser.
On comprend ainsi aisément que Twitter gagne la bataille de la notoriété face à Mastodon, et que quoi qu’il ait advenu, quoi qu’il adviendra, certains profils ne raisonneront qu’avec des produits/services correspondant plus à ce qu’est Twitter (ou équivalent) qu’avec ce que propose/pourrait proposer Mastodon (ou équivalent).
Ce, en dépit des risques & problème collectifs que cela crée pour notre société voire nos civilisations. L’intérêt colelctif ne fait pas et n’a jamais fait partie de leur(s) équation(s).