Mastodon refuge pour communiquer librement sur la recherche ?

Ouvrez la cage aux oiseaux
Internet 6 min
Mastodon refuge pour communiquer librement sur la recherche ?

Après son éclosion en 2017, Mastodon a eu un regain d'intérêt depuis novembre dernier suite au rachat de Twitter par Elon Musk. Si le réseau de microblogging décentralisé basé sur Fediverse n'a pas vu tous les utilisateurs migrer soudainement, une part non négligeable de chercheurs y voit une opportunité pour parler plus librement.

Dans l'univers des réseaux sociaux, Mastodon fait souvent figure de mouche du coche des grandes multinationales dominantes. La plateforme de réseaux sociaux fédérés créée en 2017 a connu un regain de notoriété en novembre dernier suite au rachat de Twitter par Elon Musk.

S'il n'a pas remplacé Twitter dans le grand public, contrairement à ce que certains s'imaginaient, de nombreux chercheurs et chercheuses ont pointé leur nez sur Mastodon, découvrant une plateforme qui pourrait être plus accueillante pour la discussion autour des sciences et de la recherche.

Les différences avec Twitter et l'accueil ambivalent (à bras ouvert par certains, mais moqueur de la peur d'un nouvel environnement technique pour d'autres) ont refroidi certains (et fréquemment certaines). Mais d'autres y ont vu un outil porteur d'espoir pour le partage des connaissances scientifiques. Sans être la clé idéale, l'utilisation de Mastodon permettrait de mettre de nouveau en question la dépendance des chercheurs avec des entreprises comme les mastodontes de l'édition scientifique. 

Et des chercheurs poussent les sociétés savantes à profiter de ce nouvel outil pour renouveler la discussion scientifique, s'en inspirer pour reconstruire de nouveaux outils de diffusion de la connaissance et de se débarrasser de la mainmise d'entreprises comme les multinationales de l'édition.

La migration sociale des chercheurs, pas si nouvelle sur les réseaux

Dans ce que les chercheurs appellent une « correspondance » (qui n'est pas un article relu et validé par les pairs, mais plutôt une lettre adressée à leur communauté), Leslie Chan, Adrian Lenardic et Björn Brembs ont voulu expliquer à leurs collègues quelles opportunités pouvaient apporter, de leur point de vue, Mastodon à la discussion scientifique.

Ils ont publié cette correspondance en février dernier, à la fois dans l'une des revues scientifiques les plus connues et sous paywall, Nature, mais aussi en accès ouvert sur la plateforme Zenodo du Cern.

Pour eux, la remise en question de l'utilisation de Twitter par la communauté des chercheurs n'est pas une situation nouvelle dans l'histoire. Ils rappellent que dès 2009, après avoir adopté le réseau social FriendFeed, elle avait migré petit à petit vers Twitter, après son rachat par Facebook.

« Ce cas n'est qu'un exemple parmi d'autres où les dangers liés à la possession par des organisations privées à but lucratif de plateformes utilisées pour le discours scientifique sont devenus palpables pour toutes les personnes impliquées et ont été largement débattus. » soutiennent-ils.

À l'origine d'un standard du Fediverse

Et ces discussions ont été à l'origine de la création du standard ouvert pour réseaux sociaux décentralisés, ActivityPub. Ce standard est justement utilisé par le Fediverse, la fédération de réseaux sociaux dont fait partie Mastodon, avec PeerTube, Pixelfed ou Friendica.

Ces réseaux permettent à tout un chacun de créer une instance sur laquelle d'autres personnes pourront créer un compte.

« Par analogie avec les serveurs web ou de messagerie, Mastodon fonctionne sur ce que l'on appelle des instances (serveurs) et si tout le monde peut mettre en œuvre de telles instances, personne ne peut les contrôler toutes, tout comme personne ne contrôle tous les serveurs web ou de messagerie », expliquent-ils à leurs collègues.

Appel aux sociétés savantes

Et ils proposent aux sociétés savantes de s'organiser pour monter des instances Mastodon pour que les différentes communautés de recherche puissent se servir de ce réseau de façon libre. Certaines l'ont déjà fait, d'ailleurs.

Les auteurs et l'autrice de la correspondance citent, par exemple, celle du international Neuromatch, du European Laboratory for Learning and Intelligent Systems, du Dutch Centre for Science and Technology Studies, du Irish Dublin Institute for Advanced Studies, du German Helmholtz Centers, du Max Planck society et de la Society for Digital Humanities. Ils appellent à ce que d'autres organisations scientifiques fassent de même.

Certaines sociétés savantes sont devenues aussi des mastodontes de l'édition. L'American Association for the Advancement of Science (AAAS) est éditrice de Science et ses dirigeants sont plus proches de ceux d'une grosse entreprise que d'une petite maison d'édition scientifique. Mais ce sont plutôt de plus petites organisations comme la sudaméricaine SciELO qui sont visées par les auteurs et l'autrice de la correspondance.

Parallèle avec la publication scientifique

Leur discours ne se concentre pas seulement sur la discussion des chercheurs sur les réseaux sociaux. Ils l'élargissent à toute la communication entre chercheurs : « Nous identifions des parallèles entre la propriété privée de #ScienceTwitter et la propriété privée des revues scientifiques, ce qui nous amène à proposer de protéger l'ensemble des documents scientifiques des caprices des entreprises ».

L'idée est donc bien de reprendre le contrôle des outils de publication des chercheurs, que ça soit du « Toot » (ou « Pouet » en français, le tweet de Mastodon) au livre scientifique en passant par l'article.

Besoin de tiers pour instaurer la confiance ?

Si on peut comprendre le besoin de la communauté scientifique de se réapproprier ses outils de publication (sur un réseau social ou dans une revue scientifique), des questions se posent sur l'opportunité de mettre ce pouvoir entre les mains des sociétés savantes.

La pérennité des outils, du réseau et leur maintenance va demander une professionnalisation qui risque de voir se jouer les mêmes enjeux de dérive que lors de la professionnalisation de l'édition scientifique qui a vu des sociétés savantes comme l'AAAS s'éloigner de ses membres.

Il est intéressant que les sociétés savantes puissent discuter de leurs propres règles de discussion du réseau social qu'elles utilisent, comme le leur permet la création d'une instance Mastodon. Mais les communautés scientifiques ne sont pas exemptes d'enjeux de pouvoir entre leurs membres (c'est un euphémisme), et leur laisser le contrôle des réseaux sociaux des chercheurs peut finalement ajouter du contrôle individuel dans la communauté.

Mais surtout, Mastodon est un lieu de discussion personnel, même s'il est public. Le logiciel propose notamment de pouvoir échanger des messages privés qui ne sont pas chiffrés. Est-il vraiment sain que des administrateurs de l'instance, eux-mêmes membres d'une communauté professionnelle, puissent avoir accès aux messages privés de leurs collègues ?

Le fait que les auteurs de la correspondance aient choisi de la publier aussi dans la revue Nature montre qu'il n'est pas simple de s'épargner l'appui sur un tiers, même lorsqu'on est très motivés.

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