Mastodon est un nouveau réseau social, qui en est encore à ses balbutiements. Open source et décentralisé, il vise tout particulièrement Twitter, mais avec des différences importantes. Ce premier article vise à en expliquer la philosophie et le fonctionnement.
Depuis le week-end dernier, Mastodon est partout. Si vous en avez entendu parler, c’est que le projet se présente comme un nouveau réseau social, dont la philosophie générale est largement calquée sur Twitter. Cependant, le fonctionnement en est parfois très différent, tant sur le plan technique que dans la diffusion de l’information.
C'est lui que nous analyserons ici avec le recul des premiers jours (ce qui permet déjà à certains d'en annoncer la mort après avoir loué l'initiative). Nous passerons, dans un prochain article en accès libre, sur l’utilisation pratique de Mastodon, de la création du compte à la publication des messages, en passant par ses options, ainsi que ses limitations.
Il existe déjà plusieurs instances où s'inscrire, mais à l'heure actuelle, celle créée par l'initiateur du projet Eugen Rochko, Mastodon.social, n'accepte plus d'inscriptions pour cause de surcharge.
Notre dossier sur Mastodon :
- Mastodon, le réseau social libre et décentralisé prêt à voler dans les plumes de Twitter
- Mastodon : mais en fait, comment ça marche ?
Mastodon, qu’est-ce que c’est ?
Commençons donc par le début. Mastodon est un projet open source et décentralisé, financé en partie via Patreon. Il existe depuis plusieurs mois, même s'il n'a été annoncé comme réellement prêt que le 1er avril sur Medium.
Souvent présenté comme un service concurrent de Twitter, ce n’est pas tout à fait le cas. L'outil a ses codes, dont un mamouth comme logo ou ses « pouets » (toot en anglais) plutôt que des « tweets ». Mais Mastodon est avant tout un logiciel que l’on installe sur un serveur, pour créer ce que l'on nomme une instance. Plusieurs ont d'ailleurs déjà été mises en ligne, une liste étant maintenue à jour par ici. La Quadrature du Net propose d'ailleurs la sienne.
Précisons tout de suite un point important, pour ceux qui craindraient une structure éclatée comme autant d’ilots isolés : chaque instance est capable de communiquer avec les autres, à moins que l’administrateur du serveur n’en décide autrement. L’idée est bien entendu que les utilisateurs aient la perception d’un large service unifié, qui s’utilise presque comme un outil centralité tel que Twitter, mais dont l’arrière-plan est radicalement différent.
Il y a donc bien l’idée d'un maillage, chaque instance faisant partie – par défaut – d’un tout. Un point qui peut paraitre quelconque pour l’utilisateur mais qui, comme nous le verrons par la suite, a son importance. Par ailleurs, on parle bien de réseau décentralisé car il n’existe aucune autorité particulière dans le maillage, pas plus que de « serveur maître » ou d’instance ayant le moindre contrôle sur les autres.
En fait, chacun peut avoir des règles différentes, selon la personne qui l’a créée. Ce point explique pourquoi le pseudo complet de chaque utilisateur sera toujours sous la forme « pseudo@domaine ». Un fonctionnement que son développeur principal Eugen Rochko compare au système fédéré des emails.
Un projet qui n’est pas né du néant
Mastodon n’est pas un projet développé depuis zéro. Eugen Rochko, s’est ainsi appuyé sur GNU social (avec lequel Mastodon est compatible), un logiciel serveur développé depuis des années et dont l’objectif est justement de fournir une plateforme de microblogging. En ça, il se veut différent d'un Diaspora* par exemple.
Sa présentation générale rappelle Twitter, matinée d’éléments de type Facebook, notamment dans les réponses. Rappelons que GNU social, n’a pas toujours eu sa forme actuelle. Initialement, ce n’était qu’un ensemble de scripts PHP, un prototype produit dans le cadre de l'édition 2010 du Software Freedom Day. Dérivé de GNU FM (plateforme communautaire pour la musique), Il ne savait alors que gérer la création de groupes et la publication de messages.
Les premières années, GNU social a continué ainsi, mais partageait une base de code commune avec un projet du même acabit, StatusNet. En juin 2013, le développeur principal de ce dernier, Evan Prodromou, annonçait finalement qu’il souhaitait fusionner les deux. Depuis, il ne reste que GNU social, devenu un logiciel de communication, capable de gérer les échanges publics et privés. Il est notamment utilisé par la Free Software Foundation (FSF).
Mastodon se veut un Twitter débarrassé de ses principales limites
Eugen Rochko a eu l’occasion de donner sa vision de ce qu’est Mastodon. Les comparaisons avec Twitter sont nombreuses. Logique : le cœur du produit est le même, à savoir la publication de messages courts pour échanger avec d’autres.
À ceci près que Mastodon permet d’écrire des messages de 500 caractères de long, contre les traditionnels 140 de Twitter (à de nombreuses exceptions près). Une manière pour l’auteur d’apporter de la nuance et de juguler les « tempêtes de tweets », qui s’abattent dès qu’un échange devient houleux.
Côté look, on est assez proche de ce que propose actuellement Tweetdeck :
Mastodon dispose également d’un flux public propre à chaque instance. Celui-ci doit en théorie rester digeste, ce qui reste à prouver. Mais il doit surtout permettre d'avoir des instances spécialisées sur un sujet, une langue ou même un média en particulier. Sa consultation n’est pas obligatoire et des options permettent aux utilisateurs de ne pas y apparaître s’ils préfèrent échanger simplement avec des connaissances.
La décentralisation comporte aussi pour le moment certaines limites. Suivre un utilisateur d'une autre instance n'est pas encore tout à fait naturel, il n'est aussi pas possible d'intégrer un message sur un site tiers comme on le fait assez facilement avec un tweet. Mais cela pourrait rapidement venir.
Un logiciel libre, déjà de nombreuses facilités
Car les différences ne s’arrêtent pas là et sont plus profondes. La principale se devine aisément : il s’agit d’un logiciel libre. Rochko explique : « Mastodon n’est pas bâti pour vendre votre temps de cerveau disponible ou données analytiques aux publicitaires. Permettre à quiconque d’inspecter son code et de soumettre des améliorations signifie qu’il est construit pour les gens, par les gens, sous la surveillance des gens ». En d’autres termes, l’utilisateur n’est pas considéré comme une vache à lait : pas de publicité, pas de trackers.
L'outil peut aussi évoluer selon l'influence de la communauté, et depuis une semaine, les modifications sont nombreuses. Mais déjà, sa constitution est solide et ouverte. Outre GNU social, il est compatible avec OStatus, repose sur une API REST et se comporte comme un fournisseur OAuth2. On retrouve ainsi déjà plusieurs clients sur différentes plateformes.
Il peut aussi être déployé assez facilement via Docker, mais aussi de manière plus manuelle ou via des services comme Scalingo / Heroku. Pour simplifier la vie des utilisateurs, ils peuvent lier un compte Mastodon et Twitter, que ce soit pour retrouver des amis. Cela passe par cette application.
Apprendre des erreurs de Twitter
Eugen Rochko indique s’être abreuvé directement à la source des erreurs de Twitter, qu’il juge nombreuses, particulièrement sur le harcèlement. Sur Mastodon, quand un compte est bloqué, il n’y a plus aucune trace de lui pour le bloqueur. Un fonctionnement auquel Twitter n’est venu que très récemment, et uniquement par étapes successives. Il est également possible de le passer sous silence.
Mastodon veut frapper par la granularité de ses contrôles. Ainsi, toute publication peut être publique, non-listée (donc pas sur le fil public), privée (uniquement pour les abonnés) ou directe, ce qui correspond au DM de Twitter. Ces derniers apparaissent d’ailleurs dans le flux, sans gestion distincte.
On peut marquer un message comme ayant un contenu sensible – ce qui nécessite un clic supplémentaire pour le lecteur – bloquer les notifications provenant de comptes qu’on ne suit pas, etc.
La délicate question de la modération
La différence de fonctionnement de Mastodon se retrouve à tous les niveaux, y compris dans la modération. Un sujet particulièrement complexe, dont Twitter fait les frais, surtout depuis plusieurs mois. L’entreprise a procédé à de nombreux ajustements, certains bienvenus, d’autres plus discutables. Petit à petit, le réseau social finit par avoir dans ce domaine les fonctionnalités qu’il aurait dû posséder depuis bien longtemps.
Mais le modèle décentralisé de Mastodon change nécessairement la donne. Puisqu’il n’y aucune instance maître ni équipe de modération, les différents serveurs doivent s’autoréguler. Or, comme l’indique Rochko lui-même, la souplesse de Mastodon permet à quiconque de créer sa propre instance, selon les règles et la thématique qui lui plairont.
Cette différence est capitale. Les instances pourraient ainsi fleurir autour de thématiques précises, fédérant des communautés plus ou moins importantes, selon l’intérêt et/ou la capacité du serveur. On peut ainsi concevoir une petite instance centrée sur la philatélie et une autre, beaucoup plus imposante, sur le monde automobile.
Chaque administrateur ou équipe d’administrateurs fixe les règles qu’il ou elle entend. Aux utilisateurs de se renseigner avant et d’accepter les conditions. Les messages contenant des propos, des images ou vidéos posant problème peuvent être signalés, mais en fonction du serveur, la réponse pourrait être lente, voire inexistante.
On trouvera donc pour chaque instance un « règlement », comme décrit par Eugen Rochko sur cette page pour son Mastodon.social. Ainsi, tout ce qui touche à l’appel à la violence, à la haine, les bots trop zélés, la pornographie quand elle n’est pas marquée comme telle, les contenus gores, la pédopornographie et globalement toute forme de discrimination seront amenés à disparaître.
Rochko précise qu’il ne s’agit pas d’une contrainte juridique, mais d’une ligne de conduite fortement recommandée. C'est donc à ce niveau que les legislateurs vont sans doute chercher à intervenir. Nous aurons d'ailleurs l'occasion d'évoquer ce point en détail dans un prochain article.
Et en cas de communauté « toxique » ?
Car que se passerait-il si une instance entière était dévolue à une thématique nauséabonde ou s’agitait au point de faire trop de bruit ? Eugen Rochko indique que c’est une possibilité. Cependant, la solution existe : « Bien entendu, des communautés avec pour seul objectif de diffuser une attitude toxique apparaîtront également. Dans de tels cas, les administrateurs d’instances pourront les mettre immédiatement sur liste noire ».
Pour le développeur, ce type de blocage pourrait rapidement calmer ces activités. Recréer une instance Mastodon réclame en effet « bien plus d’efforts » que de se réinscrire sur Twitter avec un nouveau compte : il faut avoir un ou plusieurs serveurs, payer le nom de domaine et passer du temps à tout configurer.
Le fait est, dans la pratique, qu’il est encore trop tôt pour savoir comment ces comportements seront jugulés, ou si la modération pourra s’équilibrer d’elle-même, car elle dépend bien sûr de l’attitude générale des utilisateurs, et de ce qu’ils feront de Mastodon.
En outre, la modération recouvre d’autres aspects moins évidents, comme la validation des profils certifiés. Actuellement, n’importe qui sur Mastodon peut prétendre être une célébrité ou même un média. L'utilisateur doit donc être relativement attentif, notamment au domaine utilisé. Mais l'on imagine qu'une validation via une toile de confiance ou des outils comme Keybase par exemple pourrait intervenir.
Modèle commercial : c’est comme vous voulez
Enfin, la question du modèle commercial se pose. Ici, la réponse sera sensiblement la même que pour bien des projets open source : à charge de celui qui veut créer une instance de réunir les fonds. Il peut bien entendu le faire de sa poche, appeler aux dons, lancer une campagne participative (c’est le cas d’Eugen Rochko sur Patreon), etc.
En fait, le cas n’est pas très différent d’une structure comme Framasoft, qui utilise des projets libres déjà existants et en créent des instances à capacité limitée, dans le but notamment de montrer que c’est possible. L'association a d'ailleurs déjà regroupé des CHATONS afin de vous permettre de « faire pouet ».
La question qui reviendra le plus souvent est de savoir finalement à quelle audience est destinée une instance Mastodon. Plus elle se voudra générale, plus les inscriptions risquent d’être nombreuses, plus il faudra de moyens ensuite pour fournir l’infrastructure nécessaire.
Mais rien n’empêche un particulier de monter un serveur pour une petite communauté de passionnés, qui feront leurs échanges et n’auront pas envie (ou besoin) d’interagir avec d'autres. C’est la souplesse voulue par Eugen Rochko.