Échec de Vega-C (VV22) : en cause, une sur-érosion de la tuyère fabriquée en Ukraine

Échec de Vega-C (VV22) : en cause, une sur-érosion de la tuyère fabriquée en Ukraine

Ça n'a pas marché

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Martin Clavey

Publié dans

Sciences et espace

03/03/2023 7 minutes
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Échec de Vega-C (VV22) : en cause, une sur-érosion de la tuyère fabriquée en Ukraine

Le 20 décembre dernier, le lanceur Vega-C décollait pour son premier vol commercial. Mais la fusée a finalement essuyé un échec. La tuyère du second étage, fabriquée en Ukraine, serait en cause. Si la crise de l'Europe spatiale n'en est pas à ses débuts, son industrie est loin du bout du tunnel.

Après les annonces de retard d'Ariane 6, le premier lancement commercial de Vega-C en fin d'année devait permettre à l'Agence spatiale européenne (ESA) de se projeter un peu plus positivement dans le futur. Mais la version améliorée du lanceur Vega, dont le premier étage est propulsée par un moteur P120C que l'on retrouvera par deux ou quatre sur Ariane 6, a échoué. L'ESA et Arianespace promettaient de dévoiler les résultats de la commission d'enquête ce vendredi 3 mars.

C'est choses faites. Selon les premières investigations de cette commission, la cause serait une détérioration graduelle de la tuyère du second étage Zefiro 40, explique l'ESA. L'agence européenne a tenu, ce jour, une conférence de presse conjointe avec Arianespace et Avio (le maître d’œuvre industriel italien de Vega-C).

La tuyère du constructeur ukrainien Youjnoyé serait en cause

L'allumage du moteur P120C du premier étage et, plus globalement, le décollage de Vega-C se sont passés sans problème. De même pour l'allumage du moteur du deuxième étage. Mais peu après, une baisse de pression a été observée (151 secondes après le décollage).

Selon la commission d'enquête, celle-ci serait due à une « sur-érosion thermo-mécanique inattendue du composite carbone/carbone (C/C) constituant l’insert du col de tuyère, acheté par Avio en Ukraine ». Si le communiqué commun ne précise pas l'entreprise ukrainienne en cause, Giulio Ranzo, le PDG d'Avio, a donné, sur le bout des lèvres, son nom en fin de conférence de presse : c'est le constructeur connu sous son nom russophone du « Bureau d'études de Youjnoyé » ou de « Bureau d'études de Pivdenne » en ukrainien. Les pièces auraient été fabriquées un peu avant l'invasion du pays par la Russie.

Cela confirme en tout cas les informations du journal La Tribune publiées hier, qui rajoutait que « le groupe italien Avio a préféré un fournisseur ukrainien à ArianeGroup, qui jusqu'ici livrait cette pièce considérée comme critique pour le lanceur Vega ».

Un choix décrié

La commission conclut de cet incident que « les critères d’acceptabilité utilisés pour le col de tuyère en C/C n’étaient pas suffisants pour en garantir l’aptitude au vol », et interdit de vol l'utilisation de ce matériau composite spécifique.

Le responsable technique d'Arianespace, Pierre-Yves Tissier, a expliqué que le problème du col de tuyère défectueux viendrait d'un problème d'homogénéité globale du composite. Une tomographie a bien été effectuée sur la pièce avant l'utilisation, mais celle-ci s'est focalisée sur la recherche d'éventuels défauts isolés et non sur la globalité de la pièce.

Cet échec met le doigt sur ce choix d'Avio, étonnant au premier abord, de changer de fournisseur pour cette pièce pourtant critique et de passer par un constructeur ne faisant pas partie de l'Union européenne. Selon une source de La Tribune, les pièces fournies par ArianeGroup avaient jusqu'ici donné satisfaction sur l'ensemble des vols Vega.

Lors de cette conférence de presse, Giulio Ranzo a justifié ce choix en évoquant deux raisons. D'une part, par le fait que le col de tuyère de Vega-C est un « nouveau produit », c'est-à-dire qu'il n'est pas exactement le même que celui de Vega du fait du poids du nouveau lanceur. Il ne suffisait donc pas de reprendre les cols de tuyère de Vega. D'autre part, il a affirmé qu'ArianeGroup manquait de disponibilité pour fabriquer ce genre de pièces. Avio a donc dû, selon lui, se reporter sur un autre fabricant, en dehors de l'Union Européenne.

À court terme, Avio va revenir vers une utilisation de cols de tuyère fabriqués par ArianeGroup comme c'était le cas pour les Zefiro 23 et 9 de Vega, mais sans précisions sur les délais pour obtenir cette pièce. Le maître d'œuvre italien cherche encore une solution à long terme, car ArianeGroup n'est pas en mesure d'assurer l'ensemble des demandes de production de ce genre de pièces. 

Giulio Ranzo a assuré qu'aucune autre pièce de Vega-C ne venait du fabricant ukrainien.

L'Europe spatiale (encore) en crise

Après les nombreux reports d'Ariane 6, ce problème de production dans la réalisation de l'autre lanceur européen Vega-C ancre l'Europe spatiale dans une crise un peu plus profonde encore. Stéphane Israël, président exécutif d’Arianespace, a déclaré que « pour nos clients, ces échecs sont inacceptables et nous leur présentons nos excuses ».

Il a rappelé qu'Arianespace avait enregistré un très grand nombre de commandes en 2022 : 19 pour Ariane 6 et 8 pour Vega-C, ajoutant « maintenant, nous devons livrer ». Effectivement, le constat est simple, mais la réalisation semble beaucoup plus délicate : l’Europe est privée du lanceur léger Soyouz (embargo russe), du moyen Vega-C (le temps des réparations) et du lourd Ariane 6 (le vol inaugural n’aura pas lieu avant la fin de l’année). 

Si les trois protagonistes de la conférence de presse, l'ESA, Arianespace et Avio ont tout de même insisté sur leur solidarité, le CNES, lui, a envoyé le 28 février une lettre à l'ESA, que s'est procuré le journal Les Echos, lui demandant des comptes sur l'échec de Vega-C.

« Le fait que ni l'industrie, ni l'agence n'aient vérifié si le processus de fabrication de Youznoe [autre transcription de Youjnoyé, ndlr] était dûment qualifié, est en soi un problème majeur », écrirait le CNES dans cette lettre. Selon le journal, l'agence spatiale française demanderait dans ce courrier une refonte profonde du management des projets de l'ESA et pointerait l'incapacité de l'ESA à « favoriser la coopération européenne » qui devrait être sa raison d'être.

Bruno Le Maire est aujourd'hui en Italie et doit notamment rencontrer son homologue sur les sujets d'Espace, Adolfo Urso, ministre des Entreprises et du Made in Italy de la République italienne, et discuter d'une meilleure gouvernance des projets spatiaux européens. Mais la crise de l'Europe spatiale a l'air bien trop profonde pour être réglée en une seule rencontre ministérielle entre la France et l'Italie.

Lancement de Vega cet été, Vega-C avant la fin de l’année

L'ESA annonce tout de même un nouvel agenda pour l'année 2023 avec les deux décollages d'Ariane 5 en avril et en juin, un décollage de Vega (les tuyères sont fabriqués par ArianeGroup) pour la fin de l'été et promet celui de Vega-C pour avant la fin de l'année. Rappelons que l'agence a aussi promis – après plusieurs reports – qu'Ariane 6 devrait faire son premier vol dans l'année 2023 mais rien n'est moins sûr.

Écrit par Martin Clavey

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Sommaire de l'article

Introduction

La tuyère du constructeur ukrainien Youjnoyé serait en cause

Un choix décrié

L'Europe spatiale (encore) en crise

Lancement de Vega cet été, Vega-C avant la fin de l’année

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Commentaires (11)



Bruno Le Maire est aujourd’hui en Italie




bon ca va alors :mdr:


Quand on voit le graphe des lancements sur la page Wikipedia, ça fait quand même peur. Sur 2019, 2020 et 2022, ils ont foiré un lancement sur deux. Si on compare avec les lancements d’Ariane 5 c’est le jour et la nuit.


Sale histoire pour le spatial européen, je ne sais pas si l’Europe s’en relèvera, au vu de l’avance prise notamment par SpaceX.
Si on ajoute à ça le tournant de l’automobile électrique qu’on a pas aussi bien pris (euphémisme) que la Chine continentale, l’énergie on importe des hydrocarbures et on ne sait plus faire du nucléaire, il nous reste Airbus, le luxe et la santé. Ça se rétrécit…


Ce n’est plus une avance mais un gouffre…


Je pense sincèrement qi’il ne faut pas lancer la pierre à AVIO.
Pour de sombres raisons politiques, l’Italie et la France étaient en froid à propos d’un supposé favoritisme d’Arianespace envers Ariane et au détriment de Vega. La décision de confier la tuyère à une société ukrainienne était certainement politique et non économique … et probablement pas issue de la direction technique d’AVIO. L’Italie a également menacé de lancer les Vega depuis les Açores ou une autre base européenne, et de quitter Kourou.
Depuis l’Italie et la France se sont réconciliés, en fait juste avant l’IAC, mais le mal était fait. Le premier lot de tuyères était réalisé.



Pour revenir aux multiples échecs de Vega. Je mettrais à la décharge d’AVIO que l’industrie des lanceur italienne est encore en phase d’apprentissage et que le faible nombre de lanceurs réalisés, ne permets pas de constituer des équipes stables et expérimentées. Si on lancait une dizaine de Vega par an, les équipes de production seraient bien plus rodées.


“ArianeGroup n’est pas en mesure d’assurer l’ensemble des demandes de production de ce genre de pièces”: y’a quand même pas des dizaines de lancements de fusées tous les mois, non?



Et si les lignes de production sont utilisées pour d’autres secteurs industriels, et bien il faut les gicler car je pensais avoir lu que conserver l’accès à l’espace était une priorité absolue pour l’Europe…



Difficile à comprendre… :cartonrouge:



Edit: le commentaire de xapon éclaire pas mal les choses :yes:


Je serait curieux des raisons qui pousse a dire qu’il n’ont pas la capacité. Problème de temps, de moyen, d’emplois qualifiés ?



(reply:2122611:hurd) C’est en général un ensemble de facteurs mais lorsqu’il s’agit de pièces spécifiques identifiées comme critiques, le nombre de facteurs peut descendre à un seul. L’histoire suivante est du vécu : départ en retraite du seul employé qui savait utiliser la machine dédiée à la pièce X et était certifié pour réaliser les étapes suivantes du processus (vérification de la conformité et qualification de la pièce en usine). Résultat: ordre du client de s’arranger pour faire revenir Mr Y comme expert (salaire de technicien initial multiplié par au moins 5) pour faire fabriquer le nombre de pièces nécessaires pour le reste du programme + les rechanges.




Justificatifon de l’entreprise pour ne pas avoir fait le nécessaire : trop de temps à passer pour faire monter en compétences un nouveau technicien au vu du nombre annuel de pièces à faire qui était trop faible.



Le risque est de faire faire par quelqu’un d’autre une tâche qui nécessite une connaissance technique pointue, dans la précipitation avec les résultats qui en découlent.


Déjà vu, une entreprise faire revenir une équipe de retraités, pour les faire réaliser une pièce conforme avec les jeunes, le tout filmé.
La pièce était le bloc de propergol de quelques tonnes du lanceur, une paille.



(reply:2122974:tractopelle) La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences est vraiment calamiteuse dans certaines entreprises. Mon exemple concernait une personne, là c’est tout une équipe !! :cartonrouge:




Mode complotiste ON: manquerait plus que cette équipe ait fait ça exprès pour revenir avec un salaire d’expert. Dans ce cas, bravo ! :8 Mode complotiste OFF


Les retraités n’étaient pas complotistes, juste heureux de revenir et d’être reconnus, voire encore indispensables.
Après je ne sais pas qui serait responsable du fiasco initial. L’État qui démarre un programme d’équipement, et l’interrompttrès longuement, sachant qu’il devra repartir ? L’entreprise qui acculée par le changement de volume du programme, n’a plus/ne se donne plus les moyens de produire sans vendre juste pour conserver le savoir faire ?
Mais quelques années plus tard, à la reprise du programme, le savoir faire n’était plus là, les premières pièces produites non conformes et mêmes dangereuses à cause des fissures, elles ont été détruites…
Ces retraités ont sauvé le programme.