Qu'implique la construction d'un smartphone équitable ?

Du temps, principalement
Tech 7 min
Qu'implique la construction d'un smartphone équitable ?
Crédits : Fairphone

Vous connaissez peut-être Fairphone, le smartphone qui met l’accent sur la réparabilité. Mais qu’est-ce que ça implique, au juste, de construire un téléphone respectueux de l’environnement et des personnes qui le construisent ? On a posé la question à Agnès Crépet, directrice informatique chez le constructeur.

En mars prochain, le Fairphone 2 recevra sa dernière mise à jour. Au-delà de cette date, la deuxième version du téléphone équitable ne sera plus supportée par son constructeur. Celui-ci déconseille d’ailleurs de continuer d’y utiliser des applications recueillant des données sensibles à partir de mai, pour des raisons de sécurité.

Cette histoire pourrait ressembler à celle de beaucoup d’autres téléphones, rattrapés par l’obsolescence et les évolutions logicielles, si le Fairphone 2 ne présentait pas quelques spécificités. Il a reçu des mises à jour pendant sept ans et demi, pour commencer, bien plus que les trois à cinq ans initialement prévus.

Surtout, avant même d’exister, la perspective d’un Fairphone 2 a si bien convaincu que la campagne de précommande qui devait permettre d’en lancer la fabrication a généré 9 millions d’euros (contre 7 millions d’euros réunis en crowdfunding pour le premier modèle, en 2013).

Le smartphone en question est un produit, on l’aura compris, de Fairphone, cette marque hollandaise qui s’illustre par le soin qu’elle met à construire des téléphones équitables, soigneux aussi bien de l’environnement que des droits des personnes qui participent à la création des outils en question.

Le militantisme au cœur

Que ce soit par le nombre de terminaux vendus ou par les valeurs, Fairphone est loin de ressembler aux autres constructeurs de téléphone. Elle n’a pas été fondée comme société, en réalité, mais plutôt comme un mouvement d’activistes, qui visait, en 2010, à alerter le public sur l’usage de minerais provenant de zones de guerre ou de conflits dans les appareils électroniques que nous utilisons au quotidien. En 2013, elle lance sa première campagne de crowdfunding, avec le succès que l’on sait, et se constitue en entreprise. L’aventure est lancée.

Le travail s’organise autour de « quatre axes », raconte Agnès Crepet, directrice informatique et longévité logicielle de l’entreprise : « les matériaux, les usines, la longévité des produits (matériel et logiciel) et l’étape réusage et recyclage ». Le travail sur l’éthique et l’équité accompagne, de fait, le cycle de vie complet du téléphone.

Travailler là où les filières sont implantées

Le minage des terres rares est au cœur de la mission de Fairphone, qui travaille pour le moment à rendre plus équitable l’extraction de 14 des métaux nécessaires à la construction de ses téléphones (en moyenne, un smartphone contient de 60 à 70 matériaux différents, un Fairphone en contient 50).

Au Congo, où l’entreprise a tissé des liens avec des mineurs locaux, cela revient à se frayer un chemin entre les milices et les mafias, faire le tri entre les grandes mines (Large Scale Mining), souvent gérées par de grosses entreprises, mais souvent mêlées au marché noir, et les plus petites (Artisanal Scale Mining), où les conditions sont plus dangereuses et les chances de voir des enfants travailler, plus élevées, « mais où il est possible d’interagir avec la population directement concernée ».

Il s’agit, aussi, de trancher entre des mines vierges (de l’extraction directe du sol, « notamment pour le cobalt ou le cuivre ») et « urbaines », « où il s’agit de travailler sur des minerais recyclés ».

Pour établir une seule filière de ce type – et Fairphone en a ouvert dans plusieurs pays en fonction des besoins – « ça prend du temps, parfois jusqu’à trois ou quatre ans », estime Agnès Crepet. « C’est complètement inverse à la logique de l’industrie, qui cherche à produire toujours plus, toujours plus vite. »

Mais c’est le seul moyen de tisser des liens solides, de bien comprendre les priorités et les besoins des populations locales « dont on ne veut surtout pas présager des besoins » et d’imaginer les meilleures manières de travailler avec elles.

Dans les usines d’assemblage, même chose. Fairphone travaille avec la Chine, « parce que c’est là que la majorité des téléphones du monde sont construits, et qu’on est convaincus que pour améliorer les choses, il faut travailler là où les choses se passent mal, pas en déplaçant l’effort vers l’Europe ou ailleurs ». Sur place, Fairphone a donc interrogé les ouvriers chinois sur leurs problématiques. La première réponse qu’ils aient reçue a concerné les salaires, si bas qu’ils obligent les travailleurs à faire des heures à rallonge.

Fairphone s’est donc engagé dans une démarche de paiement de « living wage », « c’est-à-dire que nous nous engageons à payer des revenus décents et pas simplement minimaux ». Comme sur à peu près toutes ses actions, Fairphone communique sur le sujet et détaille ses calculs, puisqu’une partie de son action, selon les mots d’Agnès Crepet, consiste à « montrer l’exemple ». En définitive, mieux payer les ouvriers en charge de l’assemblage des téléphones est revenu à une augmentation de prix de 1,85 dollar pour le Fairphone 3+ et une de 1,99 dollar pour le Fairphone 4.

Augmenter la durée de vie des terminaux

La simple construction d’un smartphone (ou d’un ordinateur, ou d’une tablette) représente déjà 76% des coûts environnementaux de son usage global, selon GreenIT. Mais une fois que le dispositif arrive entre les mains de son utilisateur, il est encore possible d’en alléger la facture écologique. C’est pour œuvrer sur ce point que Fairphone a dès le départ conçu ses outils de manière à pouvoir les réparer – remplacer la batterie quand elle s’affaiblit, changer l’écran facilement s’il se casse, etc.

Autre facteur d’obsolescence, cela dit : la partie logicielle. En matière de maintien informatique, Apple est généralement bon élève – la marque n’a lâché le support de son iPhone 6s, sorti en 2015, que fin décembre – et Google de cancre – les rapports se succèdent, qui pointent le nombre toujours croissant de terminaux menacés d’obsolescence faute de support Android de longue durée. Avec ses équipes, Agnès Crépet travaille donc à passer outre les limitations d’Android, ce qui lui a permis de fêter les sept ans de support logiciel du Fairphone 2.

Pour la dernière étape, enfin, Agnès Crépet insiste : « on promeut et on fait, autant que possible, de la réutilisation, puis du recyclage. Mais celui-ci est vraiment le dernier échelon, il y a même des éléments qu’on ne peut pas recycler, donc au maximum, on pousse à prolonger l’utilisation. » Et de comparer, comme elle le fait souvent en conférence, le smartphone à un gâteau : « une fois que vous avez mélangé de la farine et des œufs puis fait cuire votre préparation, difficile de re-séparer vos ingrédients. Pour certains alliages de métaux, c’est pareil. »

D’où la nette préférence de Fairphone pour la réparation et l’usage prolongé de chaque terminal. En plus de fournir les pièces de rechange en cas de besoin, la société a tout de même mis en place un programme de recyclage et de réusage.

Celui-ci peut servir aux propriétaires de Fairphone 2, par exemple, qui pourront y renvoyer leur téléphone lorsque celui-ci sera définitivement obsolète. En échange, ils recevront une carte-cadeau… et ils auront évité d’ajouter un téléphone de plus à l’immense pile de déchets électroniques que nous constituons chaque jour (en France, il y aurait 1,08 téléphone inutilisé par habitant, soit 72,8 millions d’appareils).

Montrer l’exemple pour sensibiliser

Un jour, peut-être, il sera possible de garder son téléphone dix, vingt ans. En attendant, « on ne cherche pas à dire qu’on est les meilleurs, mais vraiment à montrer que c’est possible, indique l’ingénieure. Le but, c'est d’enfin pousser l’industrie électronique à agir de manière responsable. »

Même si ses moyens sont maigres, comparé à un Google ou un Apple (Fairphone compte 120 employés et est rentable depuis 2020), la société fait donc du lobbying, en France et en Europe, en faveur des indices de réparabilité et de longévité, notamment.

« Je sais bien que mettre une note, c’est plein de biais, ça cache une partie des détails, conclut Agnès Crépet. Mais pour celui ou celle qui n’y connait rien, quand il arrive dans son magasin pour choisir son nouveau smartphone, ça peut l’aider à se faire une idée. » Ça peut participer à sensibiliser.

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