Dans l’affaire opposant Altice à Reflets, la décision du tribunal de commerce vient de tomber : les trois articles déjà en ligne peuvent rester, mais nos confrères ne peuvent pas en publier de nouveaux en exploitant les données publiées par le groupe Hive. Ils doivent également verser 4 500 euros de frais.
Le 24 septembre, Reflets expliquait que le groupe Altice poursuivait Rebuild.sh (la société qui édite Reflets) au tribunal de commerce suite à la publication d’une série de trois articles.
La décision vient de tomber : « Le juge déboute Altice sur une partie de ses demandes, mais nous interdit de publier de nouvelles informations et nous condamne à verser 4 500 euros au groupe de Patrick Drahi », expliquent nos confrères. La décision du tribunal est disponible par ici.
Cette affaire prend racine dans la loi du 30 juillet 2018 sur le secret des affaires et son décret d’application du 11 décembre de la même année. Renaud Le Gunehec, avocat au Barreau de Paris, expliquait dans Légipresse que, dans cette loi, « la clause de sauvegarde de la liberté d’expression est pauvrement rédigée ».
« On espère donc qu’aucune entreprise n’aura le ridicule de saisir un tribunal de commerce contre un journaliste ou un éditeur, par exemple pour demander en référé l’interdiction de "la poursuite des actes d’utilisation ou de divulgation d’un secret des affaires" », ajoutait-il. Pour reprendre les paroles de Brassens dans la chansson Gare au gorille, « la suite lui prouva que non ! ».
Reflets n’est pas censuré « sur le passé… mais sur l’avenir »
Reflets explique sur son site que la décision de justice, ordonne « à la société Rebuild.sh de ne pas publier sur le site de son journal en ligne « reflets.info » de nouvelles informations ». Pour nos confrères, « cette décision au très intense parfum de censure légale est plus qu’étrange… ». Nos confrères doivent également verser 1 500 euros de frais à Altice Group Lux, Altice France et Valais Management Services ; soit 4 500 euros au total.
Pour le reste, les autres demandes d’Altice sont, toujours selon nos confrères, rejetées. « En clair, nous ne sommes pas censurés sur le passé… mais sur l’avenir […] Ainsi, ce qui a été publié ne violait pas le secret des affaires, mais ce que nous pourrions publier, que cela le viole ou pas, ne doit pas être porté à la connaissance du public ? On ne peut pas faire mieux en terme d'interdiction et de censure indiscriminées ».
Pour connaitre le raisonnement du tribunal, il faut plonger dans les détails de la décision.
Round 1 : respect de la vie privée vs secret des affaires
On peut y lire que les sociétés du Groupe Altice affirment subir « des troubles manifestement illicites et qu’elles se trouvent en présence d’un danger imminent en raison de la publication en ligne par le journal Reflets de données à caractère privé et financier obtenues frauduleusement à la suite du piratage informatique réalisées par le Groupe Hive ».
Le tribunal rappelle aussi qu’Altice avait publié un communiqué le 2 septembre affirmant « qu’aucune donnée sensible n’a été compromise, notamment les données des clients, les données des partenaires commerciaux ou les données relatives à nos partenaires financiers ».
Le tribunal explique que les extraits de publications cités par Altice lors de l’audience – qui parlent notamment des déplacements et achats de Patrick Drahi – « relèvent de l’appréciation du respect ou non de la vie privée, débat qui ne peut être porté devant le président du tribunal de commerce ». Pour le tribunal, le « trouble manifestement illicite résultant d’une violation du secret des affaires ne peut être retenu ».
Ce qui explique que les articles déjà publiés peuvent rester en ligne. Altice demandait leur retrait, avec une astreinte de 500 euros par jour de retard à compter du prononcé de l’ordonnance.

Round 2 : danger imminent vs liberté d’expression
La décision revient ensuite sur la notion de dommage imminent, c’est-à-dire qui « n’est pas encore réalisé, mais qui se produira surement si la situation présente doit perdurer ».
Reflets ayant manifesté son intention de poursuivre la publication d’articles sur les données révélées par Hive, le tribunal estime que « cette volonté affirmée […] fait peser une menace sur les sociétés du groupe Altice face à l’incertitude du contenu des parutions à venir qui pourraient révéler des informations relevant du secret des affaires ». Pour Reflets, au contraire, cela relève du « débat d’intérêt général et de la liberté d’expression ».
Le tribunal explique ne pas avoir la compétence pour statuer sur une éventuelle atteinte à la liberté d’expression « qui nécessite ici un débat au fond ». Il prend par contre des « mesures conservatoires propres à faire cesser un dommage imminent, résultant d’une menace avérée ».
Pour résumer : « nous ordonnerons à Rebuild.sh de ne pas publier sur site de son journal en ligne Reflets.infos de nouvelles informations, dont il n’est pas contesté qu’elles ont été obtenues illégalement par le groupe Hive, quand bien même ce dernier les aurait déjà mises en ligne ».
Round 3 (à venir) : faire appel et affaire Avisa Partners
Nos confrères affirment qu’ils vont « évidemment interjeter appel de cette décision ».
Pour rappel, une autre affaire judiciaire est en train de se jouer avec Avisa Partners qui attaque plusieurs sites en justice, dont Next INpact, Arrêt sur Image, Médiapart et Reflets. Un huissier nous a déposé en main propre une citation à comparaitre le 28 novembre prochain au tribunal judiciaire de Paris.