Proton a fini par lancer son Drive en version finale. Le service est disponible à tous les utilisateurs de Proton Mail, gratuits ou payants et permet le stockage en ligne de fichiers en profitant du chiffrement de bout en bout cher à l’entreprise suisse. La base est là, mais comme nous allons le voir, il manque encore de nombreuses fonctions.
Proton travaillait sur son offre Drive depuis des années. La préversion du service a été lancée en novembre 2020, soit presque deux ans de phase bêta pendant laquelle l’entreprise a collecté de nombreux retours.
La version finale était d’autant plus attendue que l’idée d’un stockage chiffré de bout en bout et simple faisait de l’œil à de nombreuses personnes. Maintenant qu’elle est disponible, il est temps de se pencher sur ce qu’elle propose.
Sécurité et vie privée
Commençons directement par le chapitre sur lequel Proton Drive veut faire la différence.
Le chiffrement utilisé par Proton Drive est, dans les grandes lignes, le même que pour Calendar. L’entreprise se sert d’ECC Curve25519 et d’OpenPGP pour le chiffrement de bout en bout des données. Ce qui signifie qu’à l’instar de toutes les autres données stockées par le Suisse, seul l’utilisateur peut savoir ce qu’elles contiennent, pas les employés de Proton. Par contre, si vous perdez votre mot de passe vos données seront irrécupérables.
PGP génère d’abord une clé symétrique de session, qu’il utilise pour chiffrer vos fichiers. La clé de session est elle-même chiffrée par une clé asymétrique et une phrase de passe (12 mots) que vous fournissez. La clé symétrique et le mot de passe sont requis pour déchiffrer les données.
Ce chiffrement de bout en bout est appliqué aux fichiers, noms de fichiers, nom de dossiers, extensions ainsi qu’à certaines métadonnées comme la taille ou encore les date de création et de dernière modification. La signature cryptographique de l’utilisateur est appliquée sur tous les fichiers et dossiers, qui ne peuvent donc pas être lus par quelqu’un d’autre. Cette vérification intervient également à l’envoi des fichiers.
Cela ne signifie pas cependant que Proton ne peut envoyer aucune donnée aux forces de l’ordre si besoin. Comme on l’a vu il y a un an, l’entreprise peut fournir certaines informations, comme l’adresse IP. Les demandes ne peuvent provenir que des autorités suisses, mais elles peuvent collaborer avec d’autres, comme ce fut le cas à l’automne 2021 pour Europol.
On est toujours en tout cas sur un stockage en Suisse et sur un code open source, qui a d’ailleurs fait l’objet d’un audit indépendant.
Stockage et tarifs : les prétentions
Comme pour tous ses autres services, Proton encourage les clients à passer sur un modèle payant. Le compte gratuit ne propose en effet que 500 Mo à 1 Go, répartis entre Mail, Calendar, Drive et les autres. Traduction : si vous avez déjà de nombreux emails, il est probable que ces 500 Mo soient déjà amplement entamés.
Si vous souhaitez augmenter ce stockage, il va falloir payer. Proton ne propose pas de facturation pour l’un ou l’autre de ses services. Ce sont des « packs » complets dont les prix dépendent de la durée d’engagement.
Drive Plus est ainsi proposé par défaut à 3,49 euros par mois pour 200 Go de Stockage, une adresse électronique, un calendrier, une connexion VPN et une assistance « prioritaire ». Mais il s’agit du prix pour un engagement de 24 mois, avec une note de 83,76 euros à régler d’un coup. Si on descend à 12 mois, le prix grimpe à 3,99 euros, donc 47,88 euros à payer. Mais si vous souhaitez un paiement mensuel, il vous en coutera 4,99 euros par mois.

En plus de l’offre Plus, Proton propose une formule Unlimited, qui ne porte pas très bien son nom. Le stockage passe cette fois à 500 Go, accompagné de 15 adresses électroniques ou alias, de la prise en charge de trois domaines personnalisés, des avantages de l’offre Plus, des labels, dossiers et filtres illimités ainsi que 10 connexions VPN. La tarification pour 24 mois est de 7,99 euros (191,76 euros), celle pour 12 mois de 9,99 euros (119,88 euros), et la mensuelle est de 11,99 euros.
Proton propose également deux offres pour les entreprises. Mail Essentials est ainsi facturée 7,99 euros par mois et par utilisateur. Pour ce prix, chaque personne dispose de 15 Go, dix adresses, trois domaines personnalisés, des dossiers, labels et filtres, de la gestion des groupes et contacts, ainsi que de Calendar.
Pour bénéficier du Drive, il faut passer à la formule Business à 12,99 euros par mois et par personne. 500 Go de stockage sont fournis, ainsi que d’autres avantages : 15 adresses, 10 domaines, dix connexions VPN, serveurs Secure Core (protection supplémentaire pour VPN), bloqueur de publicités et logiciels malveillants, Calendar, dossiers, labels et filtres, etc. Le tout pour chaque utilisateur.
Interface et fonctions : la base
La fonction première de Drive est bien sûr de stocker vos données. Seulement voilà, on tombe d’entrée sur une carence : il n’y a pour l’instant ni client local ni application mobile. Le premier cas est particulièrement ennuyeux car il faut se contenter dès lors de l’application web.
Celle-ci se présente comme la plupart des interfaces actuellement disponibles pour ce type de service : une colonne à gauche pour les différentes sections, une grande zone à droite pour l’affichage des dossiers et fichiers, un champ de recherche en haut, une grille d’accès aux autres services à sa gauche, et à sa droite l’accès aux contacts, paramètres et compte.
Comme on est en droit de l’exiger d’un Drive, l’interface supporte les glisser/déposer, même si un bouton Importer est disponible dans la colonne, et un autre bien en évidence quand on ouvre un dossier vide. Le glisser/déposer accepte aussi bien les fichiers que les dossiers, un par un ou en groupe.
Bon point, toute l’interface est pilotable à la souris, c’est-à-dire que le clic droit fait apparaitre un menu contextuel adapté. On retrouve toutes les opérations classiques comme Renommer ou Mettre à la corbeille. De même, on peut obtenir les détails d’un fichier, notamment pour vérifier les signatures cryptographiques.
On peut également créer un lien de partage depuis le clic droit. Très bon point, on peut le protéger avec un mot de passe et définir une date d’expiration. Tous les fichiers ainsi partagés sont regroupés dans la section Partagé disponible dans la colonne de gauche. À chaque fois, on pourra très simplement cliquer sur un fichier, puis sur « Arrêter le partage » en bas à gauche de la fenêtre.
Proton Drive dispose enfin d’une gestion très correcte des images. Un double-clic sur une photo ouvre ainsi une prévisualisation remplissant toute la fenêtre. Comme une visionneuse, on peut ensuite passer à la suivante ou la précédente avec la souris ou les flèches du clavier. Depuis cette interface spécifique, on peut accéder également au zoom, au partage ou encore aux détails. Pour sortir, on clique sur la croix en haut à droite ou appuie sur Echap.
Performances : peut clairement mieux faire
Les performances sont assez aléatoires. Que ce soit sous Edge ou Firefox (dans leurs dernières révisions stables), nous n’avons pas dépassé les 8 Mo/s en moyenne, pour une connexion fibre de 500 Mb/s symétrique, qui nous permet d’avoir en général 60 Mo/s en vitesse de pointe. Nous avons constaté parfois des envolées à 20 Mo/s, mais elles ne duraient que quelques secondes. Il arrivait aussi que le flux s’effondre à moins de 1 Mo/s, particulièrement si l’on cherchait à consulter un autre dossier pendant un envoi. Ces performances ont été constatées sur plusieurs jours et sans aucun autre transfert actif.
À propos des performances, Proton Drive avertit d’ailleurs qu’elles peuvent être moindres lors d’un envoi multiple massif, comme nous l’avons fait avec des images ISO allant de 2 à 5 Go environ. Le service recommande alors de « limiter les activités gourmandes en mémoire comme le streaming ». On ne sait pas trop ce que Proton entend par là, car le streaming n’est guère gourmand en mémoire. Il s’agit peut-être d’une erreur, car il aurait été plus cohérent de parler de bande passante.
Comme vous pouvez le voir sur la capture, ce n’est pas si flagrant, et la machine n’a bien sûr affiché aucun ralentissement que ce soit. Nous avons observé le même comportement sur plusieurs créneaux horaires, avec des navigateurs en version finale ou en bêta, etc.
Si on observe assez longtemps le gestionnaire des tâches (ou équivalent sur d’autres systèmes), on s’aperçoit effectivement que la consommation de mémoire augmente dans le temps, de quelques centaines de Mo. Comme toujours avec Windows, ces chiffres sont à relativiser, le système distribuant la mémoire différemment selon la quantité totale : plus on en a, plus le système en donne aux applications. Dans le cas présent, la machine en contenait 32 Go.
Nous avons observé les mêmes performances médiocres en téléchargement. Elles sont globalement un peu meilleures, mais pas de quoi décoiffer, loin de là : entre 8 et 10 Mo/s en moyenne, sans pics particuliers dans un sens ou dans l’autre.
Si les transferts de gros fichiers permettent de voir plus facilement la vitesse que peut afficher le service pendant un temps prolongé, l’envoi d’une longue liste de petits fichiers est tout aussi important. Ici, Proton Drive n’a pas non plus brillé par ses performances. Un dossier contenant 316 documents Word et Excel (20 à 40 ko en moyenne) a mis plus de 6 min à se faire. C’est long, et même si Proton Drive peut charger jusqu’à trois documents simultanément, le service fait des pauses marquées après chaque opération.
Face à ces performances, nous avons posé la question à Proton, qui nous a répondu qu’il ne fallait pour l’instant pas en attendre davantage : « En ce qui concerne la vitesse de chargement et de téléchargement, 8 Mo/s est une performance normale avec les infrastructures actuelles. La vitesse peut varier en fonction du type de fichiers transférés. Il y a, par exemple, une surcharge plus importante pour la génération / le déchiffrement de clé pour les fichiers plus petits – que nous continuerons d'améliorer ».
Un service limité pour le moment
Proton Drive était attendu de pied ferme. Sur le plan de la simplicité, il tient ses promesses. Sur celui des performances, il se révèle médiocre. Sur celui des fonctions, l’absence totale d’applications représente pour l’instant un énorme handicap qui risque de refroidir de nombreuses personnes.
Concernant les clients « desktop », la version Windows doit arriver « dans les prochains mois », ainsi que nous l’a confirmé Proton. La version Mac arrivera « dans le courant de l’année prochaine », sans plus de précision. Et pour Linux ? « Pas pour le moment », nous a répondu l'entreprise.
Pour les applications mobiles, les versions Android et iOS doivent arriver d’ici la fin de l’année. Elles sont aussi importantes que les clients fixes, car la possibilité de consulter ses données depuis un smartphone ou une tablette est cruciale pour un Drive. Par curiosité, nous avons testé Proton Drive dans Safari sur un iPhone équipé d’iOS 16. Les donnes sont consultables, mais le confort n’est pas vraiment là. D’autant que des fonctions courantes comme la possibilité de laisser un fichier ou dossier téléchargé n’existent pas dans la version web.
À l’heure actuelle, il nous semble difficile de recommander Proton Drive autrement que pour un stockage d’appoint. Au vu de la tarification et après deux ans de phase bêta, il nous semblait préférable d’attendre les clients fixes et applications mobiles avant de déclarer la version finale. Nous reviendrons d’ailleurs tester ces derniers quand ils seront disponibles et referons alors le point sur les performances.